Pierre Saba – Dérives autour du poste de premier ministre

Régulièrement, les media et les politiques français évoquent l’affaiblissement des pouvoirs du premier ministre au profit de ceux du président de la république. Certains proposent la suppression du poste de chef du gouvernement. Celui-ci serait réduit à la portion congrue de « collaborateur » au service exclusif des intérêts du chef de l’Etat.

Pourtant, l’idée, le texte & la pratique de la constitution du IV octobre 1956 indiquent qu’il n’en est rien.

L’idée

La constitution de la Vème république est semi-présidentielle. Elle répond aux exigences du « régime parlementaire rationalisé par les pouvoirs du président de la république » (Michel Debré).

Le texte

L’article 20 de la constitution stipule que « Le gouvernement détermine & conduit la politique de la Nation »…et l’article 21 que « le premier ministre dirige l’action du gouvernement ».

La pratique

L’hypothèse d’une dissolution de l’assemblée nationale par le président de la république conduit à une élection parlementaire. Si la majorité parlementaire nouvelle est favorable à la majorité présidentielle, le régime demeure semi-présidentiel et rien ne change.

L’hypothèse d’une dissolution entrainant une élection parlementaire dont la majorité serait défavorable à la majorité présidentielle produit un tout autre effet. Le régime passe alors de semi-présidentiel à parlementaire.

Sans négliger le lien institutionnel avec le chef de l’Etat, la responsabilité du premier ministre et celle du gouvernement dépend du parlement. Certes, le chef de l’Etat continue d’exercer ses prérogatives exceptionnelles relatives au « domaine réservé ». Certes, il peut bloquer telle ou telle décision gouvernementale en refusant de contresigner ses textes. Mais il ne peut le faire continuellement sans provoquer une crise institutionnelle qui ne l’avantagerait pas. Dans cette « cohabitation » avec le gouvernement, le président de la république assure essentiellement un rôle d’unité nationale et de respect des institutions conforme aux régimes parlementaires.

Le gouvernement mène alors une politique indépendante de la présidence de la république et le parlement prend toute l’importance que le régime présidentiel lui interdit. (par exemple, le parlement français ne décide pas de l’ordre du jour).

Le premier ministre est le chef constitutionnel de la majorité. Sa fonction ni ses prérogatives ne sauraient être considérés comme facultatives.

Soit le premier ministre exerce ses prérogatives de régime semi-présidentielles, et il est un « Primus inter pares » selon Charles De Gaulle lui-même. Il est chargé de l’exécution des décisions présidentielles.

Soit il exerce ses fonctions de régime parlementaire, et il devient le chef opératif de l’Exécutif. Dans les deux cas, son rôle est différent de celui des président de la république. Il est alors dévolu à l’exécution des décisions parlementaires.

Par conséquent, l’image d’un chef de gouvernement aux prérogatives diminuant d’année en année jusqu’à le rendre inutile ne correspond pas à la réalité de ses fonctions telles que définies par la constitution ni par l’expérience accumulée depuis 1958.

Le chef du gouvernement exerce en réalité une fonction exécutive & opératoire. Selon la coïncidence des majorités présidentielles et parlementaires, la fonction est conforme ou non aux avis du chef de l’Etat.

En toute hypothèse, le suppression du poste de premier ministre ouvrirait la voie à un régime présidentiel aux conditions fort différentes de celles qui régissent aujourd’hui la France.

Pierre Saba

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