Je le dis tout de suite: personnellement je fuis la foule, j’adore les petites criques fraîches à l’heure la plus chaude mais qui vous offrent une eau transparente et chaude en fin de journée, j’adore les rochers pas facilement accessibles et brûlants de soleil, le bruit du ressac, les vagues qui éclaboussent de gouttelettes et les bois de cèdres et de cyprès qui descendent jusqu’au bleu de la mer, je ne suis pas trop fait ni pour la plage à midi ni pour le bus aux heures de pointe…
En plus, même à poil, je n’ai pas le look: je me souviens d’une fois où j’étais lézardant sur mon rafia ou ma serviette-éponge, flacon de crème hydratante à portée de main, une vague canette d’orangina dans la main, des lunettes de soleil sur le nez, béat, heureux – et me croyant fondu dans la foule thermique, quelconque parmi les quelconques, indiscernable et effacé.
Oui, mais voilà, près de ma hanche, négligemment ouvert, honteusement abandonné les fines pages sur le sable, offrant aux regards des passants sa couverture blanche aux caractères rouges et noirs ainsi que la bobine de quelque Balzac sous la transparence de la jacquette de rhodoïd, un volume de la Pléiade dormait au soleil.
Je perçois alors comme une insistante et goguenarde présence: non loin de moi une bande de facétieux et spirituels jeunes gens en chapeaux de pailles, ballons sous le bras et nénettes admiratives en arrière – me voyant lever les paupières l’un deux au regard de bachelier récent et aux dents récemment libérées d’une longue succession d’appareils dentaires contraignants me dit en zozottant à peine: « M’ande pardon, m’sieur, mais ce serait gentil de nous dire qui qu’a raison, c’est qu’avec Alfred on a fait un pari pour savoir qui paye une pizza à l’autre, pardon m’sieur, mais vous êtes prof de français ou d’histoire? »…..
« Oh, monsieur le proviseur, quelle surprise et quelle chance de vous croiser ici..… »
Mais mon meilleur souvenir est ce jour ou sur une plage quelque part entre Nice, Cannes et Saint Raphaël, je tentais de rejoindre ma famille une bouée en forme de canard autour du cou, sous un bras un matelas avec des Mickeys et des Donalds dessinés, une nef bleue gonflable décorée d’un crocodile sous l’autre bras, des seaux, des pelles, des râteaux dans une main, un sac avec des goûters, un ballon rouge et un flacon pour soigner les piqûres de moustique dans l’autre main, les clefs de ma voiture coincées entre les dents, mes orteils dans des sandales en plastique, mon individu dans un bermuda aux couleurs océanes avec des palmiers, des cahutes à toits de paille, une plage d’or bordant une mer de rêve et « Tahiti » écrit bien en travers, et soudain, soudain, le corps se dresse face à moi, en bi, mono ou zérokini, je ne sais plus, bronzé à bloc, d’une collègue que, habitué chaque jour à la croiser en son morne uniforme de pédago venant bosser par son train de banlieue, j’aurais sans doute eu du mal à reconnaître et j’entends encore cette voix qui me dit, face à moi, juste devant moi, sur ma route difficile entre matelas, serviettes, corps étendus sur le sable: « Oh, monsieur le proviseur, quelle surprise et quelle chance de vous croiser ici….. ».
J’en ris encore.
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