Catherine Gaillard. Déambulation dans la bulle xéno-spatio-temporelle où « on » m’a projetée

Repris hier soir les longues déambulations.
Généralement, je traverse vite toute la cité HLM. Les gobelets, boites, papiers gras et sacs Mac Do volettent lentement comme les rouleaux de paille dans les vieux westerns.
Dans le coin de cet immeuble, une large flaque de pisse qui ne sèche jamais, consciencieusement et régulièrement réalimentée.
Ici un scooter cramé n’a jamais été ramassé, j’assiste à chaque sortie à sa lente désagrégation. L’odeur de brûlé ne se dissipe pas.

Une poignée de gamins de type maghrébin joue à actionner non stop la fontaine publique, la précieuse eau s’écoule partout alentours, de grosses femmes voilées et tout en noir sont alignées non loin sur les bancs.
Des groupes d’hommes, loin des femmes, certains en total look Nique & Cie, canettes de bière et de coca vidées jetées au sol autour d’eux (la poubelle la plus éloignée est à 2 mètres), d’autres moins bruyants, plus secrets, avec des barbes salafes et des pantalons sarouels remontés aux chevilles selon les recommandations des hadiths (en général je ne passe jamais près d’eux).
Pas un de tous ces adultes ne s’exprime en français.
Chez les vieilles femmes dont certaines ont des tatouages berbères sur le visage je ne suis pas sûre même qu’elles le comprennent.

Trois gamins aperçoivent Jules le petit chien, ils sont surpris, très excités : « Un chien ! un chien ! » (oui, un chien, cet animal fabuleux…)

Le plus âgé d’entre eux, un garçon d’un dizaine d’années à la limite de l’obésité, rasé sur les côtés avec une touffe frisée rescapée sur le dessus du crâne, tente une approche, ses deux copains sont très intéressés mais restent en arrière (l’animal fabuleux crache des flammes peut-être, va savoir…).
Je lui dis en souriant pour l’encourager  » N’aie pas peur, il est gentil, tu peux le caresser si tu as envie ». Le gamin se détend un peu, mais les deux autres du coup se rapprochent en gesticulant, avançant rapidement une main puis se rétractant en poussant des cris.
Le chien se rétracte aussi du coup et revient vers moi.
Des filles regardent la scène de loin.

Le gros garçon a les yeux intelligents, il est poli, gentil. Il est peut-être plus mâture que les autres avec l’habitude qu’il a sans doute d’en prendre plein la tête vu les moqueries sur son physique…
La grappe de femmes en noir s’agite sur le banc, des ordres de rapatriement de la progéniture commencent à fuser en arabe : cette femme « blanche » avec un chien (impur) qui prend du temps avec un de leurs enfants attise leur curiosité, leur méfiance peut-être.
Une animosité flotte dans l’air. Mais est-ce un fantasme ?
Est-ce que je leur prête ma propre incompréhension, ma stupéfaction d’être ainsi projetée, en 2020 mais depuis longtemps déjà, et sans qu’on ne m’ait jamais demandé la permission, dans une bulle xéno-spatio-temporelle, stupéfaction qui peut effectivement, selon l’humeur, confiner à l’animosité et la colère ?

Une vague de tendresse me traverse tout-à-coup pour le gros garçon aux beaux yeux sombres où flotte une mélancolie, et je me permets de passer ma main sur ses cheveux : « Au revoir, à bientôt peut-être.« 

Cette séquence va nourrir mes pensées une bonne partie des deux heures que va durer ma déambulation du soir…

Catherine Gaillard

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