Jean-Claude R. Poizat. Défendre mes « privilèges », ou passer du côté des enragés

Je suis né et j’ai grandi dans ce pays, la France. Mes grands-parents étaient des agriculteurs. Mes parents ont connu une certaine ascension sociale en devenant enseignants de l’École républicaine française. Ils ont cru en l’émancipation par le savoir, la culture et l’enseignement, ils m’ont transmis des valeurs républicaines, humanistes, laïques et universalistes. Mes parents ont cru aussi dans le socialisme… dont ils semblent être un peu revenus sur le tard, suite à la désillusion politique. Moi-même je suis devenu enseignant, je ne me suis guère élevé plus haut que mes parents dans la hiérarchie sociale. J’ai reçu au berceau les valeurs parentales, et j’y ai cru dans une certaine mesure, avec une certaine dose de scepticisme liée à l’expérience de mes parents.

Aujourd’hui, la société m’apprend que toutes ces valeurs sont caduques, obsolètes et périmées. Ceux qui sont censés les promouvoir sont les premiers à les trahir, soit en ayant cessé d’y croire, quoique sans (se) l’avouer ouvertement, soit en les dénonçant violemment et bruyamment, en déclarant haut et fort que l’universalisme républicain et humaniste serait un mensonge, une hypocrisie, et même pire: le masque de l’oppression raciste, esclavagiste et colonialiste.

Ainsi, moi qui avais cru naïvement vivre dans un pays libre, émancipé et ouvert sur le monde, un pays favorable au progrès humain, je me retrouve désormais complice de crimes contre l’humanité, soutien de l’oppression et « privilégié » qui s’accroche à ses avantages frauduleusement acquis au cours d’une histoire parsemée d’exactions, de crimes et de forfaitures. Le réveil est un peu rude! Je n’étais pas vraiment « woke » et voici que je tombe du lit!

Je dois désormais choisir mon camp: ou bien défendre mes « privilèges », c’est-à-dire en fait mon droit à vivre décemment dans mon propre pays, ou bien passer du côté de la rébellion, du côté des enragés bien décidés à renverser la table pour prendre leur revanche historique: autant dire pour me faire « hara kiri ». Il n’y aura pas de compromis, de juste milieu ni de demi-mesure.


Héraclite. Johannes Moreelse. 1630

Nous le savions confusément mais nous l’avions oublié, et voici que la réalité se rappelle brutalement à nous à présent: la vie est un perpétuel changement, rien n’est jamais acquis à l’homme et, surtout, « Polemos est le père de toutes choses« , comme disait Héraclite.

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1 Comment

  1. Comme l’a montré Umberto Eco dans son étude sur l’ur-fascisme, le rejet de l’universalisme hérité des Lumières et de la culture est l’une des caractéristiques de l’idéologie fasciste.

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