Le racisme qui, au nord, a tué George Floyd, laisse, au sud, mourir le noir s’il n’est pas musulman. La responsabilité doit être la même pour tous.
Le racisme tue. On le sait depuis des siècles, et il faut le dénoncer, le guérir, le refuser. Mais on sait aussi que les indignations unanimes, les grandes causes sont recyclées par les extrémismes. Aujourd’hui, partout dans le monde, on dénonce le meurtre d’un Américain noir tué par des policiers aux États-Unis. Mais, au moment même où on découvre la nécessité de dénoncer, l’obligation de rappeler que ce crime persiste depuis des siècles, les effets de meute numériques et les radicalités adverses parasitent la colère. On se retrouve à slalomer, pour rester lucide, entre les racismes inverses, les appels au chaos ou à la destruction des démocraties et les extrémismes victimaires. Sur ce fait « US » se sont greffés de nouveaux populismes de la jérémiade, parfois mimétiques, qui puisent dans le catalogue des facilités de ce nouveau siècle. Et ce que l’on qualifie de crime quand il est commis par l’autre est devenu, au nom de la vengeance ou de la réciprocité du mal, un droit pour certains agitateurs.
Car – et pour éviter déjà des procès numériques – dénoncer le racisme est une obligation, mais ce qui incommode le chroniqueur c’est qu’on n’ouvre le procès de ce crime que lorsqu’il s’agit de l’Occident et qu’il implique le « décolonial » le plus soupçonnable. Ailleurs, ce crime est souvent absous par l’indifférence. Le chroniqueur se rappelle les réactions locales de déni après une tribune dans le New York Times dénonçant le racisme confessionnel dans le Maghreb, ce racisme qui laisse mourir le noir s’il n’est pas musulman et l’oblige à se convertir (en apparence) pour pouvoir décrocher l’aumône. Un racisme renforcé par la conscience cloisonnée des élites autochtones qui surfent encore sur les eaux des années 1970, la belle époque du panafricanisme idéalisé, mais qui ignorent les familles maliennes campant sous les feux rouges à Oran ou Alger et ferment les yeux sur les déportations des migrants vers le sud, leur criminalisation ou les éditoriaux suprémacistes dans la presse. Là, entre l’idéalisation et le déni, le racisme est vite oublié. On s’en souvient comme crime quand il a lieu en Occident. On dira que c’est justice, car ce crime a pris des visages encore plus monstrueux dans cette géographie « blanche ». Oui, mais c’est ignorer nos histoires propres, celle de nos histoires d’esclavage et de mépris. On dira aussi que « ce n’est pas le moment », répétant ce faux argument de la non-concordances des luttes quand elles ne siéent pas aux médiatisations. Passons donc.
Karma idiot. La colère mondiale a du bon : elle réveille la responsabilité. Celle de tous, espérons-le : l’Occident mais aussi le voisin du Sud qui s’absout avec trop de facilité. Espérons aussi que ce réveil ne soit pas pollué (et il l’est déjà) par les intellectualités masochistes occidentales, qui y trouvent un moyen d’obtenir une grâce malsaine ou de vivre une forme de repentir du fait d’être blanc. Que cette lutte ne tombe pas sous le monopole des radicaux de la victimisation, des communautarismes salués comme des reconquêtes de l’identité alors qu’ils ne sont que des échecs et des replis sur soi. Souhaitons que ce Noir américain ne soit pas mort pour qu’un jour un « blanc » ou un « brun » doive mourir sous le genou d\’un policier noir ou brun, nous enfermant dans le karma le plus idiot. Car déjà on se sent mal à voir les nouveaux haineux voler la parole et l’image et amarrer leurs rancunes à la noblesse de la cause. Leur zèle à dénoncer les crimes est proportionnel à leur silence sur les leurs. Car le communautarisme est aussi un racisme et le victimaire est déjà dégradé par un nouveau populisme.
Ce qui nous est exigé, c’est de dénoncer le racisme, pour que justice soit faite et non pour que la démocratie soit détruite au nom de la facture à payer. Puisse cette « affaire » nous réveiller, au sud, sur nos racismes ordinaires. « Il prêchait l’amour avec haine », écrivait Gorki à propos d’un agitateur de foule qui annonçait l’utopie communiste aux paysans russes le siècle dernier. Nous y sommes encore une fois.
Source: Le Point. Juin 2020.
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