L’essayiste et sociologue québécois nous livre son analyse sur les récents déboulonnages, par des militants antiracistes, de statues associées au colonialisme.
Colston, Colomb, Léopold II, Baden Powell… Que vous inspirent ces déboulonnages de statues ?
Les révolutions sont iconoclastes, et celle qui prend forme en ce moment l’est aussi. Il s’agit globalement de jeter à terre ce qui symbolise d’une manière ou d’une autre la civilisation occidentale, en la réduisant à une entreprise de domination esclavagiste, dont elle devrait se repentir en mettant le genou à terre, pour expier ses péchés, en s’immolant symboliquement pour renaître à elle-même dans une forme d’épuration éthique, où elle se délivrerait enfin de son passé et de tout ce qui le rappelle au cœur de l’espace public. C’est une grande vague de ressentiment alimentée par une terrible inculture qui anime le présent soulèvement. On aurait envie de répondre que toutes les civilisations ont colonisé et dominé, qu’elles ont toutes, d’une manière ou d’une autre, pratiqué l’esclavage, et que c’est la grandeur de la nôtre que de l’avoir aboli. Mais ce rappel, aujourd’hui, passe pour une provocation idéologique. Je ne relativise pas ici les pages noires de notre histoire, je refuse simplement d’en faire les seules qui comptent vraiment et de laisser de côté toutes les autres. Comme tout le monde, j’ai en horreur le racisme et l’histoire de l’esclavage, mais on ne saurait en faire le fil conducteur à partir duquel raconter l’histoire de notre civilisation.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
L’extension infinie de la définition du racisme à laquelle nous avons assisté depuis une trentaine d’année a fini par corrompre l’esprit public et par fausser le rapport à l’histoire des jeunes générations et de certaines catégories de la population particulièrement sensible aux thèmes de l’indigénisme et de l’extrême-gauche racialiste. Nous sommes dans un emportement passionnel et idéologique qui renverse tout sur son passage, où dominent des groupuscules particulièrement radicaux profitant de la complaisance et même de l’encouragement, bien souvent, du système médiatique.
Faut-il déboulonner certaines statues ? On trouvait légitime il y a plusieurs années de mettre à terre les statues de Staline….
Tous les personnages honorés par les statues ne sont pas interchangeables, évidemment. Certains méritent notre considération, d’autre pas. Certains habitent encore notre esprit, d’autres sont tombés dans l’oubli. Certains sont admirables, d’autres franchement détestables. Staline et Hitler, si je puis dire, sont dans une classe à part et je m’associerais volontiers au déboulonnage de la statue de ce dernier s’il en restait une à faire tomber. Au moment de la chute du communisme, on pouvait comprendre la poussée des foules contre les statues écrasant l’espace public avec les souvenirs du totalitarisme. Mais je ne compare pas la situation présente à l’effondrement du communisme. Nous sommes passés, en quelques jours, d’une dénonciation fort légitime de la violence policière aux États-Unis, dont George Floyd a été victime à Minneapolis, au Minnesota, à une volonté d’abattre la statue de Churchill, en Grande-Bretagne, et de plusieurs autres personnages, en France et ailleurs. On en trouve même qui prennent Gandhi pour cible!
Pour le dire autrement, on passe très rapidement d’une cible particulière à une attaque généralisée. L’attaque contre la statue de Christophe Colomb me semble très parlante. On célébrait à travers lui l’esprit conquérant qui a porté la civilisation européenne au moment des grandes découvertes. Il faudrait désormais y voir une figure inaugurale de la modernité génocidaire. Autrement dit, on oublie que les statues aujourd’hui contestées n’ont pas été érigées au nom de ce qu’on leur reproche aujourd’hui. La démolition de ses statues correspond à une criminalisation des origines de l’expansion européenne en Amérique, qui conteste la légitimité même des États qui y ont pris forme.
Qu’on se comprenne bien. Le rapport au passé n’est pas figé. Il est normal qu’il évolue au rythme où une société se transforme. Il est normal qu’on renomme telle rue, tel boulevard, qu’on déplace telle statue ou tel monument. Mais on ne saurait le faire sous la pression de groupuscules militants et extrémistes, et on ne saurait non plus considérer que chaque nouvelle couche symbolique de la société doit s’imposer en arrachant ou en éradiquant les anciennes.
D’après quels critères certaines statues pourraient-elles être déboulonnées ?
Vous posez la question essentielle. Il peut et doit y avoir une délibération publique sur la représentation du passé dans la cité. La commémoration est un art politique et elle est toujours en lien avec la définition que nous donnons de nous-mêmes au présent. Quelle mémoire revendiquons-nous? Mais il faut éviter de verser, pour reprendre une formule d’Alain Finkielkraut, dans l’ethnocentrisme de l’actuel, qui nous pousse à vouloir éradiquer toute trace du passé contredisant les valeurs aujourd’hui célébrées. Il faut accepter la coexistence de plusieurs époques dans la nôtre, en refusant de verser dans un fanatisme destructeur alimenté par ce péché contre l’intelligence qu’est l’anachronisme. Il faut refuser de tout jeter à terre en se rappelant que certaines parties du passé qui nous contredisent portent en elles une certaine grandeur vers laquelle nous pouvons nous ressourcer, même si par d’autres aspects, elles nous heurtent. Qu’on pense à la figure de Napoléon, que plusieurs voudraient maudire aujourd’hui, alors qu’elle demeure intimement liée au sentiment que nous avons de la grandeur française. Méfions-nous de ces inquisiteurs!
Qui pourrait établir ses critères et les appliquer ?
Dans un monde idéal, cela devrait relever de ce qu’on nomme les politiques de commémoration, alimenté par le travail minutieux des historiens, pour peu que ceux-ci ne soient pas des idéologues militants comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Mais la domination de la vie politique par le système médiatique, et plus particulièrement, par les réseaux sociaux aujourd’hui, est telle que ce sont les mouvements d’humeur de la foule qui déterminent finalement les réactions d’une classe politique paniquée, qui ne croit plus vraiment à la légitimité de la civilisation qu’elle est pourtant appelée à défendre. Aujourd’hui, ce sont les foules emportées qui définissent l’agenda politique et l’univers idéologique dans lequel nous sommes appelés à évoluer.
N’est-il pas dangereux de réécrire l’histoire à l’aune de nos valeurs contemporaines ?
Absolument. L’anachronisme rend bête et pousse au fanatisme. Il pousse à vouloir soumettre le passé, à le remodeler intégralement pour le faire correspondre aux exigences de l’idéologie dominante des temps présents. À travers cela se dévoile une tentation totalitaire, d’un monde intégralement soumis à la logique d’une idée qui prétend le remodeler sans tolérer la moindre résistance. Je redoute un monde, qui viendra, hélas, où évoquer la mémoire du général de Gaulle ou de Napoléon deviendra impossible ou passera pour un dérapage. On nous invite aujourd’hui à développer une mémoire non-eurocentrée de la civilisation européenne, et même, à penser l’Europe contre elle-même, comme s’il fallait faire son procès en permanence. Demande-t-on aux Africains de développer une mémoire non-afrocentrée de l’Afrique ? Ou à la Chine de désiniser sa conscience historique ? Ce qui se dévoile, à travers cette dynamique idéologique, c’est un terrible dévitalisation, qui pousse notre civilisation vers une forme de suicide expiatoire. Nous avons le droit de nous y opposer.
Plus généralement, quel rapport devons-nous entretenir avec notre passé ?
Un rapport apaisé, à bien des égards. Un rapport d’admiration, souvent. Un rapport critique, parfois. Un rapport qui puise à la diversité des sources qui irriguent notre civilisation. Nous devons nous délivrer de la repentance et de la manie de l’expiation perpétuelle. L’histoire occidentale n’est pas celle d’une grande noirceur dont il faudrait s’affranchir, et dont on sortirait à peine grâce à la révolution diversitaire. Le progressisme nous pousse à toujours diaboliser ce qui, dans le passé, n’annonce pas sa marche triomphante. C’est moins avec le passé, qu’il faut rompre, qu’avec cette philosophie qui pousse à la névrose.
Source: Famille chrétienne. 17 juin 2020.
Universitaire, essayiste et chroniqueur québécois, Mathieu Bock-Côté est un sociologue formé à l’UQAM, d’orientation indépendantiste et conservatrice. Il s’intéresse à la sociologie politique.
Lorsque les fascistes entendent le mot culture ils sortent leur revolver. Demain ces tarés aussi racistes qu’ignares s’attaqueront à Versailles et au Louvre : le retour de la bête immonde et les pays occidentaux vaincus avant même d’avoir combattu.
Toutes ces choses sont admirablement dites et exprimées. Je n’aurais pas fait mieux ! peut-être un jour nous révolterons-nous contre le colonialisme dont nous sommes nous-mêmes actuellement victimes, celui du coca-cola, du fast food, de la musique, du cinéma et de la culture anglo-saxonne en général. Mais je n’y crois guère. Pourrions-nous subsister sans ?