Jean-Louis Margolin. Statues et Statuts

Statue de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), devant l’Assemblée nationale

Jean-Marc Ayrault, figure de proue du Cercle des Politiciens Disparus, tente son retour médiatique en proposant de débaptiser la salle Colbert de l’Assemblée Nationale. Osera-t-on lui rappeler que le Code Noir de 1685, qu’il est de bon ton de reprocher à ce dernier, représentait en réalité une tentative de faire sortir l’esclavage de la zone de non-droit où il se trouvait alors aux Antilles françaises, et par exemple de retirer aux propriétaires le droit de vie et de mort sur leur cheptel humain? A une époque où, sauf pour l’essentiel en Chine, l’esclavage n’était dans son principe contesté nulle part.

En outre, l’esclave n’est pas alors défini par sa couleur de peau. Les Noirs libres, déjà assez nombreux dans les colonies françaises, ont encore sous Louis XIV des droits égaux à ceux des Blancs de même statut. On ne peut donc pas parler de racisme au sens où nous l’entendons. C’est peu à peu, au XVIIIe siècle -époque de Lumières quelque peu paradoxales- qu’ils vont perdre ces droits, l’un après l’autre. En 1733, les métis et les conjoints de Noires furent exclus de l’administration. Entre 1773 et 1779, les libres de couleur durent adopter des noms et des vêtements distincts, ce qui consacrait leur mise à part – ou ségrégation, si l’on préfère. Le Dictionnaire de Trévoux, dès 1704, avait évoqué l’assimilation de plus en plus courante entre couleur de peau et infériorité de la condition : « Nègre. Se dit aussi de ces esclaves qu’on tire de la côte d’Afrique ». Son édition de 1771, cependant, condamne avec vigueur la traite des Noirs. C’est bien en tout cas la mise en esclavage qui avait entraîné le racisme, et non l’inverse. Un millénaire plus tôt, une évolution analogue s’était produite dans le monde musulman : les esclaves noirs avaient reçu une appellation particulière (abid), distincte de celle des esclaves européens, la littérature arabo-berbère s’emplissant dès le IXe siècle de notations dépréciatives à leur encontre.

Quoique ce ne soit pas forcément souligné par les actifs militants de la cause noire, on reproche également au Code Noir, dans son article premier, d’ordonner l’expulsion des Juifs des Antilles françaises, dans un délai de trois mois, « à peine de confiscation de corps et de biens ». Il faut cependant rappeler que, depuis le XIVe siècle, les Juifs n’avaient en principe plus le droit de résider en France (l’Alsace tout récemment conquise constituant sous Louis XIV la principale exception). Colbert se contentait donc d’aligner les « Iles à sucre » sur le droit français. 1685 est aussi l’année de la Révocation de l’Edit de Nantes, qui interdit le protestantisme. Dans la continuité, il est ordonné de convertir les esclaves au catholicisme, ce qui consacre le triomphe de cette religion. Notons que la communauté de religion pouvait aussi assurer une protection minimale aux esclaves face aux abus de leurs maîtres…

Tout cela, les esprits simples qui aujourd’hui donnent le la ne peuvent pas l’entendre. Tout est ramené à leur sacro-sainte « sensibilité », et peu importe l’histoire. Je vais finir par croire que ce satané virus a rendu le monde idiot.

N.B. : On pourrait aussi suggérer aux déboulonneurs et autres débaptiseurs un ennemi du peuple manifeste : Karl Marx. Celui-ci offre bien des raisons de le contester. Il défend la colonisation (en particulier celle des Britanniques en Inde), tout en condamnant vigoureusement les abus. Il manifeste peu d’intérêt et souvent du mépris pour les cultures non européennes. Il dénonce l’oppression exercée par les Etats (et populations) musulmans à l’encontre des Juifs, en particulier à Jérusalem – dont il signale que, dans les années 1850, la communauté juive y était majoritaire. A l’inverse, beaucoup lui reprocheront l’antisémitisme évident de son écrit de jeunesse sur la Question Juive (1844), où il assure : « Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent (…) (Le Juif) décide du destin de l’Europe ».
Bref, qui défendra Karl Marx ? Jean-Marc Ayrault ?

Historien français, Jean-Louis Margolin est maître de conférences en histoire contemporaine. Auteur, entre autres, de Les Indes et l’Europe. Histoires connectées xve – xxie siècles, avec Claude Markovits, Gallimard, Folio, en 2015, retrouvez-le dans Le racisme en théories, paru dans le volume Histoire de l’Homme (Le Monde-La Vie, 2017 )

Jean-Louis Margolin

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