Je cherchais comment illustrer le concept de « l’inversion des valeurs » et voilà que la société Lego, qui (comme pour tant de parents) a fait partie de mon quotidien pendant des années, vient de m’en fournir un exemple consternant.
Ainsi donc, il devient problématique que les enfants jouent avec des figures représentant des policiers. J’en déduis donc qu’être policier serait un métier tellement peu recommandable qu’il ne faut surtout pas que la jeunesse s’identifie à cette figure.
J’attends donc avec impatience les figurines « rappeur violent et homophobe » ou encore « Youtubeur non-binaire » dans le prochain catalogue de Noël.
J’apprends dans le même temps que des voix s’élèvent pour protester contre la figure « trop positive » du chien policier Chase dans le dessin animé « la Pat Patrouille ». Je suggère qu’on le remplace par un Pitbull tenant dans sa gueule ensanglantée un fémur de petit enfant noir.
Mes enfants sont grands et ne jouent plus aux Lego. Mais je suis sûre qu’ils auraient trouvé cette décision totalement incompréhensible et idiote. Aujourd’hui, il ne pensent rien, strictement rien, des forces de l’ordre. Ils ne portent pas plus de jugement sur les policiers ou les gendarmes en général, qu’ils n’en portent sur les monteurs régleurs sur presse à injecter les matières plastiques ou sur les directrices marketing. Pour mes ados, le monde se divise en trois catégories : les gens « trop cools », les gens qui « craignent un max », et les autres, ceux dont on « s’en balek ».
Il y a malheureusement des policiers et des gendarmes qui « craignent un max », pour de multiples raisons (parce qu’ils font un métier terriblement difficile, pas reconnu, parce qu’ils sont à bout et épuisés, parce qu’on leur donne des ordres indignes et qu’ils ont un ministre incompétent ou parce qu’ils sont juste de gros bourrins) et ceux-là doivent être sanctionnés à la hauteur de leurs fautes.
Il y en a aussi qui sont « trop cools », qui risquent leur peau pour sauver la nôtre, parce que c’est leur devoir. Il y en a qui font ce que nous ne serions pas capable de faire, qui affrontent l’indicible, l’impensable, peut-être la peur au ventre, mais avec un courage qui force le respect. Il y en a qui se font insulter, cracher dessus, humilier et qui gardent la tête haute malgré tout. Il y en a qui n’ont pas le choix et qui ne baissent pas les bras, malgré la fatigue. Il y en a qui sont l’incarnation même du courage et de la dignité.
Il y en a aussi qui doivent bien se marrer quand une partie des jeunes qui braillent « ACAB » ou « tout le monde déteste la police » viennent chouigner parce qu’ils se sont fait racketter ou piquer leur iPhone…
Et puis, il y a ceux dont on «se balek ». Parce qu’ils sont comme nous. Ni plus ni moins. Des femmes et des hommes, humains et imparfaits. Il y a ceux qui poussent de la fonte dans les salles de sport, ceux qui mangent trop, ceux qui courent pour attraper le bus, ceux qui ont une photo de leurs enfants dans leur portefeuille, ceux qui chantent faux sous la douche, ceux qui perdent leurs cheveux, ceux qui font des vannes pourries, ceux à qui le pantalon moulant fait un joli cul et ceux qui se désolent que l’uniforme moule leur gros bide, ceux qui font des mots croisés, ceux qui écoutent la même musique depuis qu’ils ont 15 ans, ceux qui cuisinent le meilleur mafé de l’immeuble, ceux qui s’engueulent sur la paternité du couscous (algérien ou marocain), ceux qui mangent des burgers frites avec leurs enfants le samedi au Macdo, ceux qui s’énervent devant le foot et qui crient « y’a hors jeu lààààà ! », ceux qui pleurent devant les mélos et ceux qui auraient voulu que Claude remporte Koh Lanta. Ceux que l’on croise à la boulangerie, à la réunion de parents d’élèves ou dans l’escalier.
Les policiers et les gendarmes sont comme nous, ils SONT nous, ils SONT aussi le peuple, comme nous. Il n’y a pas à les aimer « tous », ou à les détester « tous ».
Il y a juste à les respecter, à reconnaître que s’ils sont davantage soumis au devoir d’exemplarité que nous, ils font un métier infiniment difficile.
Il y a juste besoin de tout faire pour les aider à être à la hauteur de leur engagement républicain.
J’ai monté suffisamment de Lego avec mes enfants pour me souvenir de deux choses :
1 : il ne faut pas laisser traîner les petites pièces par terre, ça fait très mal aux pieds quand on marche dessus.
2 : que ça soit pour « la cabane dans les arbres » ou le vaisseau « Millennium Falcon Lego Star Wars », l’important c’est la structure. Ce n’est pas le plus facile et le plus agréable à monter, mais s’il n’y a pas ce cadre indispensable, tout s’effondre.
Alors, je pose la question : A t’on vraiment envie que nos enfants grandissent dans une société sans cadre, où il serait devenu honteux d’être policier ?
Nathalie Bianco est auteur et essayiste.
« Chouigner » ne se dit plus. On dit désormais « chouiner ».
Le reste, je le signerais bien des quatre pattes.