Jacques Neuburger. Bigoudis, contrôles au faciès et racisme ordinaire…

Moi, je ne devrais pas me plaindre, je suis né doté de rares cheveux d’un roux pâle et je suis peu après devenu blond comme les blés avec des yeux bleux à faire pâmer dans les jardins publics les marchandes de balons et de glace à la vanille.
Pas de quoi susciter un contrôle d’identité…
Petit, j’avais donc une petite gueule d’ange et mes si blonds cheveux joliment se bouclaient et se torsadaient telle halla délicatement dorée.
Même que ma maman m’emmenant chez le coiffeur pour mes trois ans m’avait fait couper les cheveux joliment: j’avais beaucoup pleuré mais heureusement j’ai eu droit à de mignons gâteaux en forme de lettres.
Et on m’a laissé juste, oh que j’étais content, les longues mèches blondes, larges et torsadées de mes tempes.
J’étais mignon sous ma casquette: le boucher me donnait des tranches de saucisson de Cracovie au parfum d’oie fumée et de poivre, le boulanger des petits sablés avec des paillettes colorées, l’épicier des bouts de harengs, tout juste s’il ne me proposait pas un verre de vodka.

C’est vers cet âge que j’ai perçu que ma petite gueule d’ange pouvait ne pas plaire à tout le monde.
Heureusement que mon papa m’avait coupé mes payyess pour rentrer au CP sinon j’étais parti pour aller marier les amoureux à Notre Dame de Nazareth.
Payyess coupés ou pas, j’avais pris l’habitude d’avoir une gueule à la fois ordinaire et à part, ce qui très jeune m’a valu, grâce à mes tifs en désordre d’explorer dirigés sur ma pomme des regards divers et pas toujours bienveillants.

On va passer sur l’expérience des scolaires cassages de gueule à dix contre un aux cris de « mort aux juifs » ce qui m’a permis d’acquérir très tôt cette conviction que l’antisémitisme n’attend pas le nombre des années et ce qui a laissé à l’adulte que je suis devenu une double interrogation sur d’abord le comment par lequel des petits mômes pouvaient posséder une telle violence raciste si peu d’années après la libération et ensuite sur le comment la chose pouvait être aussi banale et les dispensant donc d’intervenir pour des instituteurs et institutrices qui avaient moins de dix ans plus tôt vu partir leurs propres élèves pour la chambre à gaz.

Puis je suis devenu châtain clair, pas de quoi fouetter un chat.
Ni émouvoir un responsable de l’ordre public.
Seulement voilà, je me suis laissé pousser la barbe, laquelle poussa rousse et frisée, orgueilleusement frisée.
Cheveux fous et barbe frisée et rousse, je tenais du corsaire malouin, du rebbe galicien ou du montagnard berbère. Au choix.

En général on me trouvait plutôt la tête d’un mythique rebbe galicien, si j’en crois par exemple un portrait que je possède encore au fond d’un tiroir et qu’un collègue, militant bds avant l’heure, activement préoccupé par la cause palestinienne et assez indifférent aux genocides alors en cours ou à la faim dans le monde, avait artistement tracé puis accroché dans la salle des profs d’où il fut décroché après trois jours par une collègue membre du comité central mais née à Oran et ayant connu la guerre.

Venons-en à l’aisance avec laquelle on peut glisser, en notre douce France, vers le contrôle d’identité systématique et obsessionnel, le contrôle au faciès. Et l’impression que l’on en ressent.
Je me souviens, c’était il y a une petite trentaine d’années: cet été-là un fou (c’est toujours un fou, il faut insister sur ce point sinon on va faire pleurer madame Belloubet) avait fait exploser des stations de RER à Saint Michel et Port Royal.

Vers cette période je me balladais tranquillou avec une copine, j’étais encore un peu vert en ce temps et « vivant dans l’instant » comme on disait alors.
J’emmenais la copine explorer le monde et plus peut-être en un joli coupé, c’est dommage les coupés on n’en fait plus tant, j’aimais bien, et c’est assez commode pour raccompagner une seule personne (de préférence intelligente puisque je l’avoue, tout comme la ministre je suis adepte du sapio-érotisme) en disant aux autres avec un sourire muffle et vainqueur: vous seriez trop inconfortables, prenez un taxi.
Enfin, voilà, je conduisais un élégant coupé, ma barbe était rousse et frisée, la copine était frisée, brune comme aile de corbeau, et parlait avec des mains expressives et qui décrivaient des arabesques, nous traversions le boulevard de Belleville aux odeurs agréablement mêlées et exotiques à la recherche du lieu où partager le complet poisson de nos rêves, je conduisais d’une main, l’autre bras derrière l’épaule de la frisée beauté et pour faire l’intéressant je chantais: « Et l’on m’appelle l’oriental Moi qui suis un sentimental« , la copine riait gentiment et gaiement… – lorsque nous fûmes encerclés par une compagnie de CRS, gilets pare-balle, fusils d’assaut nous tenant en joue, fouille de la voiture, fouille au corps.
« Excusez-nous mais c’est que vous aviez le type » nous dit en guise d’explications et d’excuses le responsable de l’opération, qui n’avait pas l’air de se rendre compte qu’il avait un peu cassé l’ambiance…

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