Des militants avaient été condamnés après avoir participé à deux actions près de Mulhouse. Mais la justice européenne juge que la France a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. ( L’Article 10 CEDH – Liberté d’expression: « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. » )
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné jeudi 11 juin la France dans l’affaire des appels au boycottage de produits israéliens. Des militants avaient été condamnés pour incitation à la discrimination économique envers des personnes en raison de leur appartenance à une nation. Cette décision, très attendue, vient contredire la jurisprudence de la Cour de cassation.
La Cour de Strasbourg juge à l’unanimité que la France a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression.
Elle rappelle que cet article « ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. Par nature, le discours politique est souvent virulent et source de polémiques. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. » La CEDH estime ainsi que pour condamner des actions qui relèvent de la liberté d’expression et du débat politique, les décisions de justice doivent être particulièrement motivées.
Les faits remontent aux 26 septembre 2009 et 22 mai 2010, quand des militants avaient participé à une action à l’appel du collectif Palestine 68, dans l’hypermarché Carrefour d’Illzach, dans la banlieue de Mulhouse (Haut-Rhin). Vêtus de tee-shirts barrés du slogan « Palestine vivra, boycott Israël », ils avaient distribué des tracts aux clients sur lesquels était écrit : « Acheter les produits importés d’Israël, c’est légitimer les crimes à Gaza, c’est approuver la politique menée par le gouvernement israélien. »
Des propos qui « s’inscrivaient dans un débat contemporain »
Dans sa décision, la Cour européenne souligne que « les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’Etat d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale. » Et d’ajouter qu’ils « relevaient de l’expression politique et militante ».
Les juges de Strasbourg prennent le soin de citer à cet égard le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction. A l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU de septembre 2019, il avait rappelé que « en droit international, le boycottage est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et que les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent, de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger ».
Les tribunaux français ont eu des interprétations divergentes face aux actions menées dans le cadre de la campagne internationale lancée par le mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), certains prononçant des condamnations et d’autres, comme le tribunal de grande instance de Mulhouse, en novembre 2011 dans ce dossier, des relaxes. Carrefour n’avait pas porté plainte et aucun propos antisémite ni violence n’avaient été relevés lors des manifestations d’Illzach. Mais la cour d’appel de Colmar en avait décidé autrement en condamnant, en novembre 2013, douze militants ayant participé à ces deux actions.
« Un tournant » pour l’avocat du BDS
La Cour de cassation avait tranché le débat en octobre 2015 en confirmant cette condamnation. La juridiction suprême française avait jugé que ces actions étaient constitutives du délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race, ou une religion déterminée » (article 24 de la loi sur la presse).
Les procédures judiciaires s’étaient multipliées depuis une circulaire de 2010 adressée par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la justice du gouvernement de François Fillon, adressée à l’ensemble des procureurs généraux. La ministre demandait de poursuivre systématiquement et spécifiquement les appels au boycottage de produits israéliens. « Il est impératif d’assurer de la part du ministère public une réponse cohérente et ferme à ces agissements », écrivait-elle.
Selon Antoine Comte, l’avocat du BDS, « cette décision de la Cour européenne marque un tournant dans une période où, en France, un certain nombre de restrictions à la liberté d’expression ont été apportées ».
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