On rêverait. Les cafés de nouveau ouvriraient. On serait, par exemple, au Select ou à la Rotonde à Montparnasse, endroits où le café croissant est en lui-même un petit bonheur parisien quasi divin… Près de nous passeraient souriantes et amies les ombres de Soutine et de Modigliani, celles de Breton ou d’Aragon, de Foujita et de Chagall. On y verrait, comme autrefois, de nouveau, des hommes ou des femmes qui dessineraient sur des carnets ou écriraient en de fines lignes le prochain Prix Médicis. Près du bar « américain » comme on aimait à dire aux temps où Miller, Joyce ou Hemingway y séjournaient juchés sur les hauts tabourets de bois, on retrouverait fidèle le portrait du chat Mickey dont l’âme rôde encore sur le comptoir ou sur les banquettes, ce chat avec lequel ma chienne jadis était amie, l’un comme l’autre initiés à la magie du lieu. Ce serait là ou ce serait ailleurs. Ce serait en tout cas en de ces lieux ordinaires et à part pour ceux sensibles à la mémoire des villes, lieux porteurs d’histoire, porteurs de poésie et du tracé des lettres, lieux eux-mêmes diseurs d’histoires secrètes et de ces vies qui s’y nouent et dénouent, de ces amours qui s’y font et défont. Nous serions là, mains dans les mains, yeux dans les yeux, je retirerais tes lunettes pour mieux plonger en ton regard si longtemps attendu. Et nous serions là, indifférents au roulement des bus sur le pavé et au bruit des conversations, plutôt même, nous nous sentirions chez nous, nous qui sommes enfants du pavé parisien et de sa secrète poésie, au milieu de tout ce bruit nous serions comme gardons en eau de Seine… Il n’y aurait que nous pour nous et nous pourrions nous dire des mots trop longtemps retenus. Et surtout ce ne serait pas en ces temps de coronavirus où l’on se tient masqué, loin de ceux que l’on aime, effrayé, tremblant, à l’idée de cette crainte affreuse d’envoyer l’être aimé à quelque malemort….
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