Dans cette première partie, faisons un point sur les risques encourus par les employeurs sur le plan pénal, dans le cadre de la santé et de la sécurité au travail au regard du contexte exceptionnel que nous connaissons et de la récente actualité législative en la matière. Dont le fameux 《amendement》 qui s’attache aux règles de responsabilité pénale des entreprises, comme des élus et des ministres. Plus que jamais à l’heure du déconfinement, chefs d’entreprise, organisations syndicales et salariés sont susceptibles d’être confrontés à ces questions. C’est parti.
Le risque pénal en Entreprise: 2 catégories d’infractions
🔴 Dans l’évaluation du risque pénal en entreprise et qui découle du contrat de travail, il convient d’emblée de distinguer deux catégories d’infractions que sont, d’une part, les infractions visant les atteintes involontaires aux personnes et d’autre part, l’ensemble des autres délits ou contraventions.
I. Les infractions hors du champ des atteintes involontaires
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Il peut être observé qu’à l’inverse des atteintes involontaires, la plupart des autres infractions fondant des plaintes de salariés génèrent des taux de condamnation des entreprises et des personnes physiques dirigeantes relativement faibles.
Ainsi par exemple, les plaintes pour harcèlement moral en tant que délit pénal prévu et réprimé par l’article 222-33-2 du Code pénal, donnent rarement lieu à condamnation au regard des difficultés probatoires et de la nécessité de démontrer le caractère intentionnel des agissements, à l’opposé du harcèlement visé par le Code du travail.
De même, certaines infractions comme l’entrave, sont quasiment tombées en désuétude à mesure qu’il est apparu plus intéressant d’invoquer cette notion devant les juridictions civiles, pour obtenir des dommages et intérêts au prix d’une procédure souvent plus rapide et moins lourde, pouvant s’accompagner du blocage en référé d’un projet.
Dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, le délit de mise en danger délibérée d’autrui, prévu et réprimé par l’article 223-1 du code pénal, peut certes être invoqué. Cette disposition punit « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».
Cette infraction n’implique pas qu’un dommage se soit réalisé, mais tout d’abord, la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence : ici il s’agira évidemment d’une atteinte à n’importe quel des articles du livre 4 du Code du travail prévoyant une ou plusieurs obligations à charge de l’entreprise (à savoir les articles débutant par « L.4XXX ou R.4XXX »)
Toutefois, la mise en danger délibérée d’autrui conduit à devoir constater une autre condition qui, en pratique, est beaucoup plus délicate à établir que la violation d’une obligation de sécurité : en effet, cette dernière doit avoir exposé autrui à un risque immédiat de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente.
Cette double exigence d’immédiateté et de gravité est difficile à retenir, lorsqu’il existe un alea quant à la certitude du résultat qu’est la mort, la mutilation ou l’infirmité permanente.
Dans le cas spécifique du SARS CoV-2, l’absence de connaissance scientifique suffisante rend très difficile l’évaluation de l’importance et de l’occurrence de réalisation du risque : il est impossible de déterminer, à l’avance, l’évolution d’une maladie de COVID 19 qui découlerait d’une contamination au travail.
Par conséquent, si on ne peut par principe écarter tout risque de condamnation pénale en cas de poursuite du chef de mise en danger, ce délit, qui parait assez inadapté en l’espèce, ne semble pas générer un risque aussi élevé que peuvent le laisser penser certaines publications ou prises de positions dans le débat public.
II. Les infractions visant les attentes involontaires à la personne
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⚠️ a) Un risque élevé de condamnation en cas de violation de l’une des obligations prescrites par le Code du travail
Contrairement la mise en danger, cette catégorie d’infractions implique qu’un dommage d’une certaine gravité se soit réalisé. Il s’agit principalement des délits et contraventions prévus et réprimés par les articles 222-19, 222-20, R. 622-1 et R.625-2 du Code pénal. Schématiquement, es infractions répriment en fonction de la gravité de l’atteinte, allant de la mort à des conséquences moindres ( + / – 3 mois d’ITT).
Ces infractions sont toutes construites selon le « modèle » des articles 222-19 ou 20 du Code pénal, le premier de ces textes prescrivant par exemple :
« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende ».
L’article 121-3 du même Code conduit pour sa part à distinguer pour les personnes physiques, entre les fautes simples, suffisantes pour constituer une infraction non intentionnelle en cas de causalité directe, et des fautes qualifiées qui sont nécessaires en cas de causalité indirecte.
Pour autant, la jurisprudence a très rapidement évolué en défaveur des entreprises, en assouplissant considérablement les conditions de reconnaissance de la faute qualifiée du chef d’entreprise : en ce sens, on peut affirmer qu’en présence d’une atteinte à la santé ou la sécurité du salarié, lorsqu’est constatée la violation d’un texte législatif ou réglementaire prévoyant une obligation quelconque de santé ou de sécurité, même en cas de causalité indirecte, les poursuites diligentées devant les tribunaux correctionnels génèrent beaucoup plus fréquemment des condamnations
Ceci découle d’une approche extrêmement sévère dans ce domaine de la Cour de cassation, inchangée depuis de nombreuses années, malgré de nombreuses critiques en Doctrine.
En substance, le juge pénal peut quasiment faire l’économie d’une démonstration de la faute qualifiée, nécessaire dans la plupart des affaires, pour se contenter de relever des faits qui lui semblent condamnables, sans chercher à les relier expressément à une faute délibérée ou à une faute caractérisée. Cela allège considérablement l’effort de motivation du jugement (Cass. Crim, 12 avril 2016, n° 15-81841).
De même, ce risque accru s’explique par le fait qu’en dépit de l’élément moral qui est contenu dans la définition légale de la faute caractérisée et en vertu duquel, pour condamner l’employeur, il doit être établi que ce dernier ne pouvait pas ignorer le risque d’une particulière gravité auquel son imprudence ou sa négligence a exposé le salarié, il n’en n’est rien pour autant.
Bien au contraire, pour la Cour de cassation, la seule énonciation du manquement aux règles de sécurité parvient à démontrer la faute pénale de l’employeur (Cass. Crim. 17 octobre 2017, n° 16-83878).
Par conséquent, le manquement à l’une des dispositions du Code du travail est souvent suffisant dans la plupart des cas pour aboutir à une condamnation.
Ainsi, en cas d’accident ou maladie, l’absence d’actualisation suffisante et la défectuosité de la Documentation unique d’évaluation des risques (DUER), constitue un manquement de nature à entrainer la condamnation pénale sur le terrain des atteintes involontaires, quand bien même un lien de causalité direct entre cette insuffisance d’évaluation et la réalisation du risque est absent : (Cass. Crim. 6 septembre 2016, n° 14-86606).
En bref, lorsque survient un sinistre professionnel, l’employeur est pénalement responsable s’il a violé une règle de sécurité, qu’il s’agisse d’équipement de protection, de formation d’évaluation des risques, aussi ténu soit le lien entre cette violation et le sinistre.
La réduction de l’exposition au risque pénal de l’employeur implique de ce dernier qu’il « adopte une approche implacable de mise en conformité de ses installations et pratiques pour respecter scrupuleusement les règles de sécurité : contrôle des machines, standardisation des processus, conservation des documents prouvant l’exécution de toutes ces diligences.
⚠️ b) Des règles qui restent exactement les mêmes, en dépit de l’adoption de la Loi de prolongation de l’état d’urgence et des effets d’annonce
L’article 1er II de la Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a pour objet de préciser les règles d’engagement de responsabilité pénale en cas d’infraction d’atteintes involontaires aux personnes. Pour autant et malgré quelques effets d’annonce, on ne peut que constater que cette disposition ne change rien de ce qui précède.
Concrètement, mis à part les mots « autorité locale » ou « employeur » qui figurent dans ce texte, on ne voit pas bien, en effet, ce qui changera dans l’évaluation du risque de condamnation pénale, en cas de manquement à une obligation prévue par la Loi ou une quelconque source réglementaire.
La Loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire ne modifie pas le risque qui découlerait de poursuites
Par conséquent, l’adoption de la Loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire ne modifie pas le risque qui découlerait de poursuites pour atteinte involontaires aux personnes, fondées sur la violation d’une disposition du livre 4 du Code du travail ou de tout autre texte applicable en matière de santé et de sécurité.
Pour bien comprendre l’absence d’effet de ce texte sur la responsabilité pénale de l’employeur, il convient de partir de l’article 121-3 du Code pénal, dont le texte reste inchangé et qui prévoit :
« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la NATURE DE SES MISSIONS OU DE SES FONCTIONS, de ses COMPÉTENCES ainsi que du POUVOIR et des MOYENS dont il disposait.
Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer (…) »
Cette disposition phare du Code pénal doit à présent être comparée à l’article 1er II de la Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, qui dispose :
« Le chapitre VI du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 3136‑2 ainsi rédigé :
➡️ Art. L. 3136-2. – L’article 121‑3 du code pénal est applicable en tenant compte des COMPETENCES, du POUVOIR et des MOYENS dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la NATURE DE SES MISSIONS OU DE SES FONCTIONS, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
Si l’on souligne que la jurisprudence constante rendue sous l’empire de l’article 121-3 susvisé a toujours pris en compte du contexte dans lequel sont jugés les faits et que par conséquent, la référence dans le nouvel article L.3136-2 du Code de la santé publique n’apporte en soi pas grand-chose, on ne peut dès lors qu’en conclure qu’aucun des items d’évaluation que sont les compétences, le pouvoir, les moyens et enfin la nature des missions ou des fonctions de l’auteur des faits n’ont ici évolué.
Saisi par le président de la République, le président du Sénat, 60 députés et 60 Sénateurs, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs été invité à se prononcer sur un tout autre point, puisqu’était en cause une éventuelle violation du principe constitutionnel d’égalité devant la Loi et d’incompétence négative. Le Conseil n’a fait que relever que ces « dispositions contestées ne diffèrent donc pas de celles de droit commun et s’appliquent « de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié́ l’état d’urgence sanitaire » (Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, p. n° 13).
L’évaluation du risque pénal reste inchangée
Cela implique que l’évaluation du risque pénal reste inchangée.
Par conséquent et afin de prévenir le risque découlant de poursuites pénales pour atteinte involontaire aux personnes, il est essentiel d’être à même de pouvoir justifier de la prise en compte de l’ensemble des obligations découlant du livre 4 du Code du travail et notamment, des prescriptions particulières qui s’appliquent au risque biologique, dont l’actualisation spécifique de la DUER et la mise en œuvre des diligences renforcées de la médecine du travail sur la base d’une liste de salariés exposés au risque biologique qui découle du classement de l’agent pathogène SARS COV-2 en groupe 3 ou de niveau supérieur, conformément au préconisations de l’Agence nationale sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail dans sa note d’appui scientifique et technique du 26 mars 2020.
L’application de cette règlementation liée au risque biologique implique enfin, dans les dernières décisions rendues par les Tribunaux judiciaires (ex TGI) d’associer étroitement le CSE et la CSSCT en amont de toute mesure d’évaluation des risques et de tout projet portant des mesures de santé, tel un plan de déconfinement (Ord TJ du Havre, 7 mai 2020, RG n° 20/00143).
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