Relevant un défi sur les réseaux sociaux, mon ami Mustapha Amarouche a évoqué des livres qui l’ont marqué. Après “L’Eté“, de Camus, le voici nous présentant “Vaste est la prison“, d’Assia Djebar.
…Longtemps, j’ai cru qu’écrire c’était mourir, mourir lentement. Déplier à tâtons un linceul de sable ou de soie sur ce que l’on a connu piaffant, palpitant. L’éclat de rire gelé. Le début de sanglot pétrifié.
Oui, longtemps, parce que, écrivant, je me remémorais, j’ai voulu m’appuyer contre la digue de la mémoire, ou contre son envers de pénombre, pénétrée peu à peu de son froid. Et la vie s’émiette; et la trace vive se dilue. Ecrire sur le passé, les pieds empêtrés dans un tapis de prière, qui ne serait pas même une natte de jute ou de crin, jetée au hasard sur la poussière d’un chemin à l’aurore, ou au pied d’une dune friable, sous le ciel immense d’un soleil couchant. Silence de l’écriture, vent du désert qui tourne sa meule inexorable, alors que ma main court, que la langue du père (langue d’ailleurs muée en langue paternelle) dénoue peu à peu, sûrement, les langes de l’amour mort; et le murmure affaibli des aïeules loin derrière, la plainte hululante des ombres voilées flottant à l’horizon, tant de voix s’éclaboussent dans un lent vertige de deuil- alors que ma main court…
Fatma Zora Imalayene, dite Assia Djebar est née le 30 juin 1936 à Cherchell, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Alger.
Elle a enseigné à Alger, Rabat, à l’université de Louisiane et de New York. elle a été productrice de cinéma et écrivaine. Elle a été élue à l’académie française .
Rares sont les écrivains dont les mots reflètent à la perfection l’image, au point d’en paraître comme le prolongement émotionnel désincarné.
Assia Djebar était passionnée d’être femme, mais femme non pas de la soumission, non pas du renoncement à elle-même, mais femme du refus, femme du verbe car elle a repris la parole féminine confisquée, étouffée, qui ne s’exprimait jusqu’ici qu’en murmures, en plaintes silencieuses dans les patios, dans les arrières-cours.
Elle écrit comme elle respire, dans une narration non linéaire, en rebonds, suivant les courbes de ses émotions, de ses voyages intérieurs dans sa mémoire vouée au silence, mais qu’elle ressuscite par des arrachements, des plaintes, des cris qui résonnent dans la vaste prison des femmes.
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