Le monde d’après, promesse ou une menace ?
Le monde d’après. Ces mots qu’on prononce de plus en plus souvent, avec une sorte de révérence presque religieuse, sont-ils une promesse ou une menace ? Ils prétendent se dresser comme une porte entre les temps : il y a eu celui d’avant la maladie et il y aura celui d’après la maladie, de même que nous parlons d’un avant et d’un après le déluge. Ils donnent à ce mal éphémère la signification d’un cataclysme qui a brisé l’histoire.
Le monde d’après… L’humanité a été placée sur son lit de mort et, à son chevet, des faux prêtres aux yeux luisants susurrent inlassablement ces mots, telle une extrême-onction dévoyée. À ceux qui se demandent si le moribond sera voué à l’enfer ou au paradis, il faut répliquer par une autre question : y aura-t-il désormais une vraie différence entre les deux ? N’oublions tout de même pas qu’au fil du temps, des visionnaires ont déjà proposé, ici et là, des paradis infernaux, et que nous sommes encore, bien trop souvent, harcelés par des prophètes à l’inspiration douteuse.
De cette maladie est peut-être censé naître le Monde nouveau qui agite depuis trois ans les rêves d’Emmanuel Macron – ce monde où, nous assure-t-on avec sévérité, plus rien ne sera comme avant.
Nous entrons, donc, dans un temps qui sera fait de rigueurs. « La confiance n’exclut pas le contrôle » annonçait Christophe Castaner, citant – peut-être même sans le savoir, ce qui ne fait qu’augmenter la violence du propos – une des pensées glaçantes de Lénine. Il y a là une absurdité et une misère. Atteint d’une affection rare, qui lui fait voir les choses à l’envers, le pouvoir nous informe par la voix de son ministre de l’Intérieur qu’il nous fait confiance. Après trois ans à la tête de l’État, ces gens n’ont pas compris que ce n’est pas à eux de nous faire confiance, mais à nous de leur accorder la nôtre, et que si, par erreur, ils ont gagné celle d’une minorité, ils sont en train de la perdre. Voilà pour l’absurdité – qui, sous-entendant que le peuple est le subordonné du pouvoir, frôle une arrogance à la fois insupportable et dangereuse.
Pour ce qui est de la misère, elle est et sera multiple. Le contrôle, d’abord – cette obsession primordiale d’Emmanuel Macron et des siens. Un pouvoir sans intelligence, assis sur une légitimité bancale, ne peut tenir que par l’encadrement de la société. Après les lois de censure, la maladie semble avoir été offerte comme un don inattendu à nos chefs. Elle leur a permis, d’abord, de mesurer les limites de notre obéissance. Entre prohibitions et contraintes, l’expérience leur a donné satisfaction. Ils sont contents de nous.
« Cette maladie a mis le monde à genoux », disent-ils, pour pouvoir ensuite prétendre : « Maintenant, nous allons le reconstruire à notre idée ». Pourtant, le monde n’a pas vacillé à cause de la maladie ni des 300 000 morts enregistrés dans 187 pays (en 2017, la grippe et les maladies respiratoires qu’elle entraîne ont fait quatre fois plus de victimes), mais par la faute des décisions ineptes qui ont été prises, faites de mensonges, d’entêtements, d’incohérences, de cafouillages – et, par-dessus tout, d’une formidable incompétence. Le Monde nouveau, si nous le laissons advenir, sera le résultat de ces ratages et portera leur marque.
Une mystique de la catastrophe
En France, le pouvoir a profité de la maladie pour concevoir une étrange mystique de la catastrophe. De ce malheur qu’il affirme sans pareil, il peut nous ramener à la lumière – mais ce sera sa lumière, et il nous faudra suivre la voie qu’il nous indiquera d’autorité. Il se démène pour notre bien – tout système autoritaire le clame et s’en justifie –, nous pouvons donc, au moins, lui faire témoignage de notre reconnaissance en nous pliant à ses injonctions.
Dans le Monde nouveau il faudra avoir peur, car la peur est l’acolyte le plus précieux des régimes qui cherchent à soumettre. Les chefs la prescrivent, les fonctionnaires de presse la propagent et l’entretiennent – les résultats de l’essai, ces derniers mois, sont probants. Il faudra aussi se laisser surveiller, et puisque la bonne cause sera invoquée, peu s’aviseront à protester au risque du châtiment et de l’opprobre. Chaque alarme, fût-elle fausse, conduira à des restrictions, auxquelles nous nous habituerons à tel point qu’il sera difficile de s’apercevoir quand elles deviendront définitives. En fin de compte, nous serons toujours en faute : contre les règles sanitaires, contre les oukases écologiques, contre les normes de plus en plus rigides du politiquement correct, contre la vérité officielle – et nous serons heureux quand le pouvoir magnanime omettra, de temps en temps, de nous punir. Car le Monde nouveau sera austère et implacable.
C’est par ces moyens seulement que la prophétie qui veut que plus rien ne demeure comme avant pourra se réaliser. Il aura fallu une maladie pour que nous fassions un pas de plus vers l’étouffant Bien total. Partagez l’article…
Source: Politique Magazine. 9 mai 2020
Poster un Commentaire