Ils sont revenus, ils sont tous là… On les avait presque oubliés. Madonna, Cate Blanchett, Robert de Niro, Pierre Niney, l’inévitable Juliette Binoche…
Deux cents artistes et scientifiques ont signé un «Manifeste» dans Le Monde appelant à «une transformation radicale» de nos sociétés après le Covid. «Il nous semble inenvisageable de “revenir à la normale”», proclament-ils dans un texte sommaire. Inquiets de «l’extinction massive de la vie sur Terre [qui] ne fait plus de doute», les artistes parmi les mieux payés du monde appellent à en finir avec le «consumérisme».
À l’heure où chacun n’aspire qu’à retrouver les bonheurs simples de l’existence, cet appel à «ne pas retourner à la normale» par des gens qui, de lofts spacieux en plaisirs sophistiqués, n’ont souvent plus idée de la vie commune, a quelque chose de profondément choquant. Quand Hollywood prône la sobriété heureuse, nous sommes bien dans la définition même de la société du spectacle donnée par Guy Debord: «Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux». Dans un autre texte publié dans Le Monde, l’écologiste Nicolas Hulot dresse, lui, un inventaire à la Prévert de ses vœux pour «un nouveau monde». Un programme politique qui résonne comme une chanson des Enfoirés: le temps est venu selon lui «de la résilience», «d’applaudir la vie», «de cultiver la différence», «de revisiter nos préjugés», et de «créer un lobby des consciences». Chacun de ses 100 principes est formulé de façon assez creuse et consensuelle pour qu’il soit impossible de s’y opposer sans être un salaud sans âme. Il établit également des propositions assez vagues sur l’augmentation de la dépense publique, la suspension des accords de libre-échange et la nécessité de réindustrialiser. La conversion écologique, la nécessité de ralentir et de retrouver le sens des limites, mérite pourtant mieux que ces injonctions infantiles qui ridiculisent les principes qu’elles voudraient défendre.
Une subvention Cosette?
Et puis, il y a le coup de gueule de l’acteur Vincent Lindon sur Médiapart, salué comme une «voix citoyenne» par son directeur Edwy Plenel. L’acteur propose de créer une nouvelle «contribution exceptionnelle, baptisée “Jean Valjean”, conçue comme une forme d’assistance à personnes en danger, financée par les patrimoines français de plus de 10 millions d’euros».
Et pourquoi pas une prime «Javert» pour les policiers ayant bien verbalisé pendant le confinement? Une subvention Cosette? Un impôt Thénardier?
Dans Les Misérables, le célèbre forçat sort plein de rancune du bagne, mais son souhait de se venger de la société se retrouve transformé par sa rencontre avec l’évêque de Digne en volonté d’agir philanthropique: il devient maire de Montreuil-sur-Mer et crée une usine de verroterie qui se distingue par ses avancées sociales pour ses employés.
Certes, Victor Hugo est l’auteur de «Détruire la misère», son fameux discours pour l’assistance publique, mais celui-ci commence par cette phrase: «Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde». Annonçant la distinction qui sera celle de Péguy entre misère et pauvreté, il propose d’abolir la première. Le grand homme, parfois, était capable de niaiseries, mais elles étaient sublimées par son génie torrentiel. Ici, c’est Hugo sans talent, ni force, ni énergie.
Dans L’Opium des intellectuels, Raymond Aron analysait avec brio pourquoi une si grande partie de l’intelligentsia a adhéré à l’idéologie communiste.
Il mettait en avant les trois prestiges que la Révolution procure à l’artiste: celui du modernisme esthétique, du non-conformisme moral, et de la révolte. Ces ingrédients se retrouvent aujourd’hui dans l’appétence des artistes pour un anticapitalisme mondain, une décroissance de façade sans contenu théorique. Les drogues du socialisme réel ont été remplacées par les confettis du gauchisme culturel, l’adhésion au PCF par un compagnonnage avec Greta Thunberg.
Le tout dans un flou artistique qui se paye de mots. L’après n’a pas commencé que déjà reviennent les indécences du monde d’avant: «yakafokon» germano-pratin, narcissisme moral, et exhibitions de vertu.
Source: Le Figaro. 8 mai 2020.
Eugénie Bastié est une journaliste et essayiste française. Employée au Figaro, elle est également rédactrice en chef de la revue d’écologie intégrale d’inspiration catholique Limite.
Ce n’est pas la gauche et elle est tout sauf morale. La moraline est à la morale ce que la pudibonderie est à la vertu.
j, adore cette journaliste