Natacha Polony. Contrôler des crétins ou informer des hommes libres

Natacha Polony

« Aujourd’hui se pose la question de notre retour à la vie. Et l’on se gardera de ces discours va-t-en-guerre sur l’héroïsme et les couards. Il est parfaitement légitime de craindre pour soi et pour les siens. Car justement, il n’est pas question du front mais de la vie. Et de la juste mesure entre l’inconscience et la trouille. »

« Qui apprendrait aux hommes à mourir leur apprendrait à vivre. » Cette phrase de Montaigne résonne étrangement à nos oreilles alors que les sociétés occidentales ont redécouvert brutalement la fragilité de nos existences. La promesse de progrès continu du bien-être, qui est au cœur du capitalisme consumériste, repose sur un fantasme de toute-puissance et de maîtrise absolue de la nature que le dérèglement climatique et la disparition de la biodiversité avaient déjà largement attaqué, mais qui se heurte désormais à un virus insaisissable et trompeur. Le premier réflexe fut de s’en remettre entièrement à « ceux qui savent », sans que l’on sache très bien s’il fallait inclure sous cette appellation les praticiens (hospitaliers, bien sûr, car les médecins de ville ont été méprisés tout au long de cette crise), les épidémiologistes (dont la science est celle des projections plus ou moins aléatoires) ou l’administration de la santé (qui a apporté de multiples preuves de sa capacité à prescrire tout et son contraire). Quoi qu’il en soit, l’urgence était non pas d’éviter des millions de morts, le virus ne nous promettait pas une telle hécatombe, mais d’éviter des morts dont nous savions qu’elles étaient évitables.

Aujourd’hui se pose la question de notre retour à la vie. Et l’on se gardera de ces discours va-t-en-guerre sur l’héroïsme et les couards. Il est parfaitement légitime de craindre pour soi et pour les siens. Car justement, il n’est pas question du front mais de la vie. Et de la juste mesure entre l’inconscience et la trouille. Entre la stupidité de celui qui croit que la maladie et la mort sont pour les autres et la peur irrationnelle qui bloque un pays entier.

Discours menaçant

Encore cette peur est-elle nourrie par le discours des autorités sanitaires, dont on a compris qu’elles nous enfermeraient bien pour les deux prochaines années si cela pouvait éviter de nouvelles contaminations. Nourrie également par les discours menaçants d’un pouvoir politique qui n’a trouvé que ce moyen pour sembler reprendre la main. Interdire et menacer, tout en rejetant la responsabilité sur ceux que l’on menace. « Si vous ne respectez pas les règles, nous vous priverons de déconfinement. Il ne vous appartient pas de juger si vous pouvez marcher sur une plage, mais c’est à vous de décider si vous renvoyez vos enfants à l’école. » Mieux, vous êtes priés de retourner travailler, donc de renvoyer vos enfants à l’école, mais vous ne saurez pas si vous avez eu le virus, car vous n’êtes pas aptes à comprendre ce qu’implique cette information.

Prière d’avancer, mais dans le noir.

Le déconfinement, nous avait annoncé le Premier ministre, reposerait sur ce triptyque : « protéger, tester, isoler ». Mais on ne testera que ceux qui ont des symptômes. Le virus pourra donc continuer à circuler tranquillement chez ceux qui sont asymptomatiques. Et pour ceux qui pensent l’avoir eu, il leur sera impossible de faire vérifier l’information puisque les tests sérologiques seront effectués selon des critères extrêmement restreints, alors même qu’on nous explique qu’il est important de comprendre comment progresse l’épidémie. Impossible de savoir si les précautions qu’on a prises ont été efficaces ou non, impossible de déterminer si l’on a été infecté et de quelle manière. On n’osera demander si, une fois encore, cette doctrine absurde a pour unique but de masquer la pénurie. Prière d’avancer, mais dans le noir.

Le résultat est déjà visible : ceux qui ont le choix évitent à tout prix de reprendre une activité. Tiraillés par des injonctions contradictoires, ils nourrissent une angoisse parfaitement compréhensible mais dont les conséquences sur la vie économique du pays seront tragiques. On sait déjà que les mesures de distanciation et la mise en place des nombreux gestes barrières feront baisser la productivité dans des proportions incalculables. Mais c’est aussi la consommation, l’activité quotidienne, qui vont encore rester au point mort pour quelques mois.

Démocratie ou néolibéralisme autoritaire

Le rappel de notre condition de mortels doit-il marquer l’ « écroulement » de notre civilisation,pour reprendre le mot d’Edouard Philippe ? Sommes-nous devenus à ce point incapables d’accepter notre finitude que nous sacrifiions sans aucun débat le long terme à la préservation immédiate, sans souci du juste équilibre ? Il n’est pas question de faire la leçon à ceux qui sont confrontés concrètement à des arbitrages périlleux sous l’œil obsessionnel des chaînes d’information continue et des réseaux sociaux. Mais un enseignement se dégage. Face à l’incertitude, la démocratie est, contrairement à ce que beaucoup semblent croire, le régime le plus efficace. Parce qu’il postule la responsabilité des individus et les rend maîtres de leurs décisions, autonomes, se fixant leurs propres règles. Rien à voir avec ce néolibéralisme autoritaire qui postule la minorité des citoyens, retient les informations et multiplie les interdits pour mener à la baguette des gens rétifs sur qui pourtant on se défausse pour éviter qu’ils n’intentent des procès.

Contrôler des crétins angoissés ou informer et gouverner des hommes libres de leurs décisions souveraines, tel est le dilemme de tout dirigeant.

Source: Marianne. 9 mai 2020.

Natacha Polony, journaliste, femme politique et essayiste française, est Directrice de la Rédaction chez Marianne. Elle a lancé en 2017 « Polony TV», une web TV souverainiste.

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2 Comments

  1. Analyse pertinente et subtile de la toujours excellente Natacha Polony. Mais il est inutile d’espérer de la logique, de la cohérence et le coup d’oeil du stratège chez les sous-doués qui dirigent la France depuis tant d’années. Macron affirmant qu’il est inutile de tester les personnes sans symptôme apparent, alors que de nombreux porteurs du covid-19 sont asymptomatiques, prouve de nouveau son inconséquence __ dirons-nous pour ne pas utiliser des termes plus crus ou explicites.

  2. Ce que dit Natacha Polony va totalement à l’encontre de ce qu’est devenu son journal. Autocensure et déni de réalité, basses compromissions etc…Une experte en double langage.

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