TRIBUNE L’avocat pénaliste David-Olivier Kaminski s’inquiète du fonctionnement de la justice au temps du coronavirus.
J’ai une reconnaissance particulière pour les gens de justice (greffières, greffiers, agents administratifs) qui, par tous les temps, dans toutes les conditions, dimanche, jour férié, grève ou pas, participent à l’œuvre de LA justice quotidienne dans l’intérêt général de tous.
Personne ne conteste la crise sanitaire mondiale qui nous touche toutes et tous directement ou indirectement. S’il existe une urgence du droit à la vie, de pouvoir se soigner, cela pour tout citoyen, il n’est par contre pas acceptable de se servir du mobile de l’urgence de crise sanitaire pour kidnapper les libertés fondamentales des justiciables, pauvres ou riches, coupables ou innocents. C’est ici même la ligne rouge que nous ne pensions pas possible de voir franchie dans notre société démocratique.
Trop naïfs sûrement au pays des droits de l’homme, nous ne pensions pas envisageable de venir confisquer aux justiciables le seul droit de pouvoir s’exprimer, dire un mot ou même le droit de se taire quand il s’agit de sa détention appelée pudiquement « provisoire », ou de sa liberté.
Retour à la lettre de cachet
Pourtant, ce dont les plus liberticides ont rêvé, le garde des Sceaux l’a fait : prolonger d’office, sans débat entre le procureur et l’avocat de la défense, la détention « provisoire » d’un être humain. Retour direct à la lettre de cachet ! Retour vers le passé…
Plus de décision de justice résultant d’une discussion judiciaire, prolongation automatique de détention pour tous : un nouveau contexte juridique digne d’une période ancienne de notre histoire judiciaire ou bien empruntée à des modèles judiciaires de dictatures que personne n’aimerait sérieusement voir venir en France.
Trois victimes directes : les justiciables, les avocats et enfin les juges
De cet anéantissement de ces droits judiciaires, il y a trois victimes directes : les justiciables, les avocats et enfin les juges.
Les justiciables de la justice pénale sont, à bien des égards, pour beaucoup, de simples numéros d’écrous entassés souvent comme des bêtes au fond de cellules vétustes, humides, pleines de cafards, de punaises et de rats dans ces lieux privatifs de libertés pour lesquels la France a été condamnée il y a quelques semaines par la Cour européenne des droits de l’homme.
Confiscation du droit à la parole des mis en cause
Ces détenus ne sont souvent que gestion de places humainement disponibles dont l’emballement de la surpopulation carcérale se gère peu en amont au moment des décisions de placement en détention, mais dans la phase post-sententielle où le juge d’application des peines s’évertue à être bien souvent un réparateur de situations judiciaires ni justes ni utiles.
Aujourd’hui, ce petit droit de parole devant son juge des libertés et de la détention, au bout de quatre mois en matière de délit et six mois en matière de crime, le prisonnier ne l’a plus. Non pas qu’il soit particulièrement écouté avant ce texte liberticide, mais, au moins, sa dignité d’homme ou de femme était préservée.
Aujourd’hui, plus d’avocat, plus de justiciable (même en visioconférence, nous sommes en 2020 tout de même), et même plus besoin de procureur non plus : détention prolongée automatiquement sans débat contradictoire ! Au nom de quel principe d’urgence sanitaire a-t-on jeté dans la benne à ordure ces droits de l’homme ?
Détenu, toi qui n’es en rien dans ta prison protégé du Covid-19, toi qui apprends dans la presse qu’un de tes codétenus en est mort, un surveillant pénitentiaire aussi – beaucoup de détenus et de personnels pénitentiaires ont été contaminés depuis –, ta parole sera bâillonnée, ta souffrance sera confinée, tes droits seront piétinés et, dans un lieu surpeuplé, tu continueras ta privation de liberté, sans même avoir pu un juge rencontrer.
L’ordonnance du 25 mars 2020 prônait, avec intelligence, le recours à la visioconférence, bien pratique en ces temps de virus, ainsi que l’attachement au respect important des droits de la défense.
Les avocats ne pouvaient être surpris de ce recours accentué à la justice télévisuelle déjà largement utilisée et depuis des années dans les cours et tribunaux. Mais le lendemain, soit le 26 mars, une circulaire qui n’est rien d’autre juridiquement qu’une circulaire – c’est-à-dire qu’elle a moins de valeur juridique qu’une ordonnance et encore moins qu’une loi – érigeait comme nouveau principe de faire disparaître de la vie judiciaire, donc de notre société, le débat contradictoire pour décider de la prolongation ou pas de la détention provisoire. Plus de débat et prolongation automatique.
Présomption d’innocence
Alors, la présomption d’innocence… pardon, quelle présomption d’innocence, déjà ! ?…..
Alors, les droits de la défense, la présence de l’avocat, sa prise de parole dans l’intérêt de son client : silence radio.
La robe noire du baveux pouvait bien rester au vestiaire, plus besoin d’elle…
Finalement, un procès sur la liberté d’un homme ou d’une femme, sans son avocat, sans la personne concernée au premier chef : voilà la belle histoire…
Plus de droits de la défense, plus rien : encéphalogramme judiciaire plat. Mort clinique. Le virus prolongation de détention en catimini avait gagné, et nous tous, justiciables, professionnels judiciaires, citoyens, chacun porteur de notre part de liberté publique, nous avons assisté à un recul sans précédent de nos libertés.
Mais le juge n’a-t-il pas compris que, lui aussi, il est le grand perdant de cette nouvelle pratique de santé judiciaire.
Juges, rendez la justice
Comment bien juger sans une accusation démonstratrice, une défense charpentée de tous ses moyens et enfin un justiciable présent, même à distance sur un large écran télé, à qui le juge adresse sa décision qu’elle lui soit favorable ou défavorable.
La justice peut-elle dans ces conditions être sérieusement rendue au nom du peuple français ?
Quel juge, quel avocat, quel citoyen aimerait qu’on juge sa liberté ainsi, sans procès ?
Les juges, en acceptant de ne pas organiser de débat contradictoire sur la question de la prolongation d’un titre de détention, ne se positionnent plus en gardiens des libertés individuelles, mais en serviles accessoires d’une politique pénale indigne au pays des droits de l’homme. En ne débattant plus de la prolongation de la détention provisoire, ils ne font pas que limiter une liberté et un droit, ils les dénaturent.
Le juge y perd en n’étant plus juge de rien, même pas de l’urgence de choisir et de décider de la liberté d’un être humain. Rappelons que, dans notre société, jusqu’aux confins de nos quartiers sensibles, la justice demeure bien souvent le dernier bastion du triptyque républicain.
Aux juges, je dis : restez juges, faites votre office en conscience. Faites ce pourquoi vous êtes là ici et maintenant : ne démissionnez pas, jugez et rendez la justice.
David-Olivier Kaminski est avocat pénaliste
Source: Le Point. 14 avril 2020.
C’est gentil, Maitre, de vous inquiéter des droits des justiciables et de vous offusquer des « lignes rouges » qui sont franchies en la matière.
SAUF qu’il va vous falloir vous habituer.
Les temps sont anormaux et ça ne se terminera pas de sitôt.
A la guerre comme à la guerre et pour faire une omelette on casse des œufs.
Franchement, je n’ai pas la tête à vos scrupules.
On risque de voir bien pire bien vite et on ne pourra qu’acquiescer.
D’ailleurs on ne nous demandera pas notre avis… A juste titre.
Le Droit ne peut être divisé et déposé dans plusieurs boîtes à oeufs, les droits ainsi divisés ne s’imposant, moralement et légalement, que suivant la qualité des oeufs.
Les fondements du droit restent les textes, la jurisprudence et la doctrine. Toute violation du Droit est inacceptable, particulièrement quand elle prétend se fonder ou s’expliquer par des circonstance exceptionnelles.
Les mesures pétainistes prétendaient se fonder sur des circonstances exceptionnelles et se justifier par « l’oeuvre de redressement national ». Cela donna les crimes antisémites et les crimes contre la Républiques, crimes qui marchent toujours ensemble.
Le texte de maître Kaminski n’est pas seulement juste, il fait honneur à la pensée juive, pilier de la République.