CHRONIQUE – Tandis que les Français cogitent sur leur sort et ruminent leur enfermement, l’espace médiatique propose en continu un flot de mots décousus.
Dans le silence du confinement, les bavards sont assourdissants. Tandis que les Français cogitent sur leur sort et ruminent leur enfermement, l’espace médiatique propose en continu un flot de mots décousus. Rien de probant ne sort de ces paroles versées en vrac, sinon un amas d’idées confuses. Comment en est-on arrivé là? Comment des citoyens libres en sont-ils venus, terrorisés par la peur, à se soumettre à une surveillance policière qui les oblige à remplir une «attestation de déplacement dérogatoire» pour faire trois pas dehors? L’apathie intellectuelle empêche de concevoir la sortie du confinement, repoussée au 11 mai.
«Nous ne sommes pas à la hauteur de l’épidémie», analyse l’ancien directeur général de la santé, William Dab (Le Monde). Pour lui, «le président de la République a déclaré la guerre (au Covid-19) mais les services continuent de fonctionner comme en temps de paix». La routine.
Commentant la défaite française de 1940, le général Weygand avait eu cette réflexion: «La France a commis l’immense erreur d’être entrée en guerre en n’ayant ni le matériel qu’il fallait, ni la doctrine militaire qu’il fallait.» Lundi soir, Emmanuel Macron a reconnu que la France n’était «pas assez préparée» à cette guerre contre le Covid-19, qu’il a pourtant théorisée le 17 mars. Il sera toujours temps, ultérieurement, de faire la part entre les lourdeurs technocratiques, les blocages idéologiques et les erreurs personnelles qui ont réduit la nation à être ce pays défait et tiers-mondisé, quémandeur de masques, de tests, de médicaments. Le chef de l’État a déjà choisi, prenant les devants d’une mise en cause, de se présenter en spectateur de ses décisions: «Comme vous, j’ai vu les ratés, les lenteurs, les faiblesses de notre logistique», a-t-il expliqué.
Mais, comme en 40, l’absence de doctrine gouvernementale reste cet autre écueil, visible à l’œil nu. Il révèle, au-delà des discours, une anémie de la pensée politique.
Le choix présidentiel d’imposer aux Français un mois supplémentaire d’interdiction d’aller et venir est une commodité dictée par l’instant. Elle s’épargne de penser le long terme et d’évaluer les conséquences humaines du confinement. Or celles-ci seront sans doute plus cruelles encore que les morts (plus de 17.000 à ce jour) causées par le coronavirus. Déjà, des patients habituels n’osent plus se faire soigner. Surtout, la crise économique et sociale qui va succéder à l’arrêt d’une grande partie de l’activité nationale va déboucher sur d’autres catastrophes, avec leurs désespérés et leurs morts. Le pragmatisme dont se prévaut Macron aurait dû l’inviter à écouter ceux qui, comme Philippe Douste-Blazy et d’autres praticiens, conseillent une approche plus ciblée et préventive, tenant compte des disparités locales et des profils à risque. Le centralisme étatique, qui impose un même enfermement pour tous, ressemble beaucoup au degré zéro de la politique.
Le maintien de la France à l’arrêt satisfait le monde scientifique et médical. La décision rassure aussi, majoritairement, une opinion traumatisée par le discours anxiogène. Il y a un mois, le conseil scientifique, groupe d’experts mis en place le 11 mars pour conseiller le président, annonçait de 300.000 à 500.000 morts en France, en l’absence de mesures d’endiguement. Or, cette perspective effrayante mais infondée se révèle assimilable à une tentative d’infantiliser les gens. Force est de constater qu’ailleurs en Europe, d’autres gouvernements se sont émancipés de la vision uniquement sanitaire et somnambulique, pour faire des choix plus réfléchis. Des sorties progressives du confinement s’observent ici et là. Ainsi de l’Autriche, dont Macron avait critiqué la «mauvaise décision», le 10 mars, de fermer ses frontières avec l’Italie. La France des grandes envolées a toujours su brasser de l’air et faire la leçon. Mais elle n’est pas un exemple à suivre.
La révélation Raoult
Il ne sert à rien de multiplier les conseils et les palabres si les effets de ces exposés, semés de querelles d’ego, reviennent à diluer les responsabilités et à ralentir les décisions. Soit Macron accepte d’être l’homme de la situation, soit il délègue cette autorité sanitaire à un unique «général en chef» capable de coordonner les interventions. La France a un besoin d’actions concrètes et rapides, afin de bénéficier enfin de masques, de tests et de médicaments en nombre suffisant. L’ouverture des crèches, des écoles, des collèges et des lycées le 11 mai ne peut se concevoir sans protections élémentaires.
Le nouveau monde ne peut être pensé par ceux qui l’ont mis dans cet état
Lundi soir, le président a pris vingt-sept minutes pour amorcer une issue à la crise. Mais ces choses-là n’ont pas besoin de tant de délayage. Seules les pensées incertaines ont besoin de s’étaler. La question se pose: les hommes politiques, mais aussi les intellectuels, sont-ils à la hauteur? S’il est un moment où les élites auraient à dominer le tumulte, c’est celui-ci, tant il est hasardeux. Or rares sont ceux qui osent s’interroger ne serait-ce que sur le bien-fondé de la poursuite du confinement ou sur le risque de voir, demain, des citoyens craintifs abandonner leur liberté pour prix de leur sécurité. Selon un sondage Odoxa, le Pr Didier Raoult serait devenu l’un des «hommes politiques préférés des Français». Il est vrai que ce dégage de cette personnalité une vision qui le place au-dessus de la moutonnerie. Pour lui, d’ailleurs, «l’épidémie est en train de disparaître» avec la venue du printemps. Il assure qu’elle n’aura pas d’incidence sur la mortalité nationale. On verra. Reste qu’en décembre 1969 la grippe de Hongkong avait tué 25.000 Français dans l’indifférence.
L’État-mamma et les mots creux
L’État-mamma, représenté chaque soir par les longues prises de parole du Pr Salomon et ses morbides bilans de l’épidémie, n’en fait-il pas trop?
Les flammes qui, il y a un an, ont inexplicablement détruit NotreDame étaient une alerte sur l’état d’abandon d’un patrimoine historique, mémoire de la France chrétienne. La pandémie vient, à son tour, rappeler les vulnérabilités d’une «nation ouverte» (voir mon blog). Il est urgent de sortir de ce «progressisme» désastreux. Mais le nouveau monde ne peut être pensé par ceux qui l’ont mis dans cet état. «Sachons (…) nous réinventer – et moi le premier», a dit Macron. Mais «réinventer» fait partie du vocabulaire des faiseurs de mots creux. Aux Français eux-mêmes de remplir les vides de la pensée. Une véritable union nationale? Bonne idée!
Source: Le Figaro. 18 avril 2020.
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