Frederick Terna, 96 ans, rescapé d’Auschwitz et d’autres camps de concentration, et son fils Daniel, 32 ans, racontent leurs vies et leur relation marquées par l’Holocauste.
Daniel Terna, 32 ans, n’a connu ni la guerre ni la Shoah qui a failli tuer son père, Frederick Terna, rescapé de quatre camps de concentration dont Auschwitz, aujourd’hui âgé de 96 ans. Mais il baigne depuis l’enfance dans une ambiance où le génocide des Juifs reste omniprésent.
Soixante-quinze ans après la libération des camps, Frederick, peintre prolifique, Juif d’origine tchèque, et Daniel, artiste et galeriste, ont raconté à l’AFP, depuis leur paisible maison de Brooklyn, comment ils ont partagé l’expérience de l’Holocauste qui a décimé toute la famille immédiate de Frederick.
Quand Daniel était enfant, “il y avait encore beaucoup de gens autour de moi qui avaient traversé différentes situations et telle ou telle chose pouvait être mentionnée” à la table familiale, explique Frederick, libéré en 1945 du camp de travail de Kaufering, en Bavière, où il avait atterri après un passage par les camps de Terezin, près de Prague, et d’Auschwitz.
Daniel “pouvait saisir au passage certains éléments, mais je ne faisais pas d’effort particulier pour lui expliquer“, dit cet homme toujours très actif, dans un anglais teinté d’un léger accent d’Europe centrale.
Né d’un second mariage après le décès de la première femme de son père, elle aussi rescapée des camps, Daniel se souvient “avoir entendu le mot Holocauste si souvent” que “c’était juste un fait“, “il n’y avait aucun mystère autour“.
Au départ, Daniel s’est surtout intéressé aux “détails les plus sordides“.
Il se souvient qu’un jour, alors qu’il était à l’école élémentaire, l’établissement a convoqué ses parents car il faisait “des dessins troublants“, représentant notamment des soldats nazis prononçant son nom.
“Maus” pour influence
Avec le recul, Daniel pense que les images d’archives de la guerre ont été “difficiles à digérer“. Ces tas de corps nus, ces files de détenus traînant des pieds semblaient venir d’un autre monde, dit-il. “Je ne pouvais tout simplement pas imaginer que mon père qui vivait, respirait, était plein de vie, eut été l’un d’eux“.
Gêné enfant par ce père différent des autres, plus âgé que la moyenne, Daniel est devenu, en grandissant, fier de lui et de son histoire.
Il s’est retrouvé dans la bande-dessinée évènement “Maus“, parue à partir de 1980 dans la revue “Raw” et lauréate du prix Pulitzer en 1992.
Son auteur, Art Spiegelman, également New-yorkais et fils de survivants des camps, y raconte comment son père a survécu à la Shoah, mais aussi ses manies, caractéristiques des générations qui ont vécu la guerre, et leur relation tourmentée père-fils.
Aujourd’hui encore, Frederick “ne peut pas jeter des chaussures” ou “devient nerveux” en voyant des gens en uniformes, souligne Daniel. “C’est peut-être devenu un réflexe acquis“, sourit son père.
Daniel se demande dans quelle mesure il reproduit cela : lui non plus n’aime ni les uniformes ni les armes à feu, et ne sort jamais sans document d’identité.
Retour sur les lieux à deux
C’est l’Allemagne qui a mené père et fils à retourner sur les lieux de la tragédie, en Europe, quand en 2015, elle a invité Frederick à une cérémonie au camp de Dachau pour marquer les 70 ans de la Libération. A 90 ans passés, il ne tenait pas à y aller mais a saisi l’occasion pour “montrer ça” lui-même à Daniel.
Père et fils ont eu l’impression d’une reconstitution – une “façade“, selon Frederick, un “Disneyland des camps” selon Daniel.
Ensemble aussi, ils sont allés à Prague. L’atmosphère d’avant-guerre a complètement disparu, “je ne crois pas qu’elle puisse être recréée et c’est tant mieux car cela donnerait des cauchemars aux enfants“, dit Frederick.
Inspiration
75 ans après, Frederick dit penser encore chaque jour à la Shoah, même s’il reste discret sur les horreurs qu’il a vécues. Et Daniel aussi, qui vit dans le partage constant des souvenirs de son père et détecte dans ses toiles, souvent abstraites, des références aux camps qui échapperaient à d’autres.
“Il n’y a pas un jour qui passe sans que je pense à ce qu’a vécu mon père. On ne comprend jamais vraiment“, dit-il.
Pour autant, ce photographe et documentariste expérimental dit ne pas être plombé par le drame de sa famille. “L’histoire et le passé de mon père ont forgé mon identité (…) mais je ne me considère pas plus pessimiste que le New-Yorkais moyen“, dit-il en souriant.
Son père, sa famille et leurs archives sont néanmoins devenues une source d’inspiration majeure pour son travail et pour la galerie d’art qu’il a créée dans le sous-sol de la maison parentale, où il a monté en 2017 une exposition des toiles de son père.
“C’est partout, que je travaille sur ses toiles comme galeriste, que je fasse un documentaire sur lui ou que je le photographie avec ma mère“, dit-il. “J’essaie d’accumuler autant de matière que possible, physiquement et émotionnellement“.
Alors que sa génération s’éteint lentement, Frederick, comme Daniel, espère que ses toiles préserveront sa mémoire et celle de son époque.
“Ce n’est qu’une petite pierre d’une grande mosaïque mais ajoutée à d’autres, cela aura peut-être du sens“, dit Frederick.
Poster un Commentaire