14/15 avril 1952
Dans la nuit du 14 au 15 avril 1952 – c’est-à-dire 36 heures après la mort de mon grand-père, si toutefois la date inscrite sur son certificat de décès est exacte –, mon père a été arrêté. Il allait faire partie d’un « lot de femmes, filles et fils d’anciens dignitaires ».
Comme pour mon grand-père, il n’y a eu ni mandat d’arrêt, ni enquête, ni procès. Ils appelaient cela peine administrative. Une simple décision du ministère de l’Intérieur suffisait. Et elle était émise après l’arrestation – parfois, plusieurs mois plus tard.
Un certain Gheorghe Pintilie signait chaque jour des Propositions pour arrestation
Un certain Gheorghe Pintilie, de son vrai nom Pantelei Bodnarenko, NKVD-iste ukrainien, parlant mal le roumain, alcoolique, devenu secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, signait chaque jour une pile de telles décisions, intitulées « Propositions pour arrestation », comme s’il se fût agi de gens qu’on allait décorer. C’était des listes, totalisant des centaines de noms.
Mon père, créateur à Bucarest de première chaire d’inframicrobiologie au monde
Mon père a été détenu pendant deux ans dans des camps de travaux forcés à régime sévère, ce qui veut dire qu’il était dans un groupe qui travaillait exclusivement la nuit – creuser la terre, charger des wagons, creuser encore.
Dix ans avant son arrestation, grâce à l’amitié qui le liait au roi Michel Ier de Roumanie, il avait réussi à obtenir la création, dans le cadre de la Faculté de Médecine de Bucarest, de la première chaire d’inframicrobiologie au monde. (Aujourd’hui, cette spécialité porte le nom de virologie.)
Il y était maître des conférences.
À sa sortie de prison, on allait lui dire qu’il n’était plus « digne de se présenter devant les étudiants ».
Cette amertume, il l’a portée jusqu’à la fin de ses jours.
Il fut accepté, non sans difficulté, comme chercheur, au sein de l’Institut d’inframicrobiologie, où il avait eu, avant l’arrestation, un poste similaire. La qualité de ses travaux scientifiques, dont quelques priorités retentissantes à l’époque, lui a gagné l’estime de ses confrères étrangers.
Un proscrit en Roumanie, malgré l’estime de ses confrères étrangers
En Roumanie, cependant, il est resté un proscrit. Être le fils d’un ancien ministre mort en prison et soi-même ancien détenu politique se paie cher.
J’avais un an lors de son arrestation. Ce fut ma première nuit blanche.
(À 16 ans, mon père a eu la chance rare de découvrir la profession à laquelle il voulait consacrer sa vie : la microbiologie. Dans le jardin de la maison familiale, à Braïla, il s’est aménagé un laboratoire, qui fut son premier lieu d’apprentissage. La photo que j’ai choisie y a été prise. Elle représente, à mes yeux, le commencement d’un espoir. La suite, celle que j’ai racontée plus haut, montre comment les temps ont réussi à tordre cet espoir.)
Radu Portocala est écrivain et journaliste roumain.
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