Le coup de gueule du philosophe André Comte-Sponville sur l’après-confinement

Le célèbre philosophe, auteur du « Petit traité des grandes vertus » (Seuil), André Comte-Sponville a publié une vingtaine d’ouvrages et a partagé dans « Grand Bien Vous Fasse » son sentiment quelque peu alarmiste quant à la société de l’après-confinement.

André Comte-Sponville

« La mort fait partie de la vie »

André Comte-Sponville : « Il faut d’abord se rappeler que l’énorme majorité d’entre nous ne mourra pas du coronavirus. J’ai été très frappé par cette espèce d’affolement collectif qui a saisi les médias d’abord, mais aussi la population, comme si tout d’un coup, on découvrait que nous sommes mortels. Ce n’est pas vraiment un scoop. Nous étions mortels avant le coronavirus, nous le serons après. 

Montaigne, dans Les Essais, écrivait : Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. Autrement dit, la mort fait partie de la vie, et si nous pensions plus souvent que nous sommes mortels, nous aimerions davantage encore la vie parce que, justement, nous estimerions que la vie est fragile, brève, limitée dans le temps et qu’elle est d’autant plus précieuse. C’est pourquoi l’épidémie doit, au contraire, nous pousser à aimer encore davantage la vie. 

Et puis, André Comte-Sponville note que l’énorme majorité d’entre nous mourra d’autres choses que du coronavirus. Il faut quand même rappeler que le taux de mortalité, les experts en discutent toujours, mais c’est un ou deux pour cent. Sans doute moins quand on aura recensé tous les cas de personnes contaminées qui n’ont pas de symptômes ». 

« Est-ce la fin du monde ? »

André Comte-Sponville : « C’est la question qu’un journaliste m’a récemment posée. Vous imaginez ? Un taux de létalité de 1 ou 2 %, sans doute moins, et les gens parlent de fin du monde. Mais c’est quand même hallucinant. Rappelons que ce n’est pas non plus la première pandémie que nous connaissons. On peut évoquer la peste, au XIVe siècle, qui a tué la moitié de la population européenne. Mais on a rappelé récemment dans les médias, à juste titre, que la grippe de Hong Kong dans les années 1960 a fait un million de morts. La grippe asiatique, dans les années 1950, a tué plus d’un million de personnes. Autant dire beaucoup plus qu’aujourd’hui dans le monde. On en est à 120 000 morts. En France, les 14 000 morts est une réalité très triste, toute mort est évidemment triste mais rappelons qu’il meurt 600 000 personnes par an en France. Rappelons que le cancer tue 150 000 personnes en France. 

En quoi les 14 000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 150 000 morts du cancer ? Pourquoi devrait-je porter le deuil exclusivement des morts du coronavirus, dont la moyenne d’âge est de 81 ans ? Rappelons quand même que 95 % des morts du Covid-19 ont plus de 60 ans. Je me fais beaucoup plus de souci pour l’avenir de mes enfants que pour ma santé de septuagénaire.« 

« Attention à ne pas faire de la santé la valeur suprême de notre existence »

André Comte-Sponville : « Il fallait évidemment empêcher que nos services de réanimation soient totalement débordés. Mais attention de ne pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à toutes les questions. Aujourd’hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu près vingt médecins pour un économiste. C’est une crise sanitaire, ça n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas une raison pour oublier toutes les autres dimensions de l’existence humaine.

  • La théorie du « pan-médicalisme » 

André Comte-Sponville : « C’est une société, une civilisation qui demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis déjà longtemps à faire de la santé la valeur suprême et non plus de la liberté, de la justice, de l’amour qui sont pour moi les vraies valeurs suprêmes. L’exemple que je donne souvent c’est une boutade de Voltaire qui date du XVIIIe siècle, Voltaire écrivait joliment : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. Eh bien, le jour où le bonheur n’est plus qu’un moyen au service de cette fin suprême que serait la santé, on assiste à un renversement complet par rapport à au moins vingt-cinq siècles de civilisation où l’on considérait, à l’inverse, que la santé n’était qu’un moyen, alors certes particulièrement précieux, mais un moyen pour atteindre ce but suprême qu’est le bonheur. 

Attention de ne pas faire de la santé la valeur suprême. Attention de ne pas demander à la médecine de résoudre tous nos problèmes. On a raison, bien sûr, de saluer le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n’est pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique et de morale, de spiritualité, de civilisation. 

Attention de ne pas faire de la santé l’essentiel. Un de mes amis me disait au moment du sida : « Ne pas attraper le sida, ce n’est pas un but suffisant dans l’existence ». Il avait raison. Eh bien, aujourd’hui, je serais tenté de dire : « Ne pas attraper le Covid-19 n’est pas un but suffisant dans l’existence« .

Comment essayer de contrebalancer les inégalités après le confinement ? 

André Comte-Sponville : « Comme hier, en se battant pour la justice, autrement dit en faisant de la politique. Personne ne sait si l’épidémie ne va pas revenir tous les ans auquel cas je doute qu’on ferme toutes nos entreprises pendant trois mois chaque année. Arrêtons de rêver que tout va être différent, comme si ça allait être une nouvelle humanité. Depuis 200 000 ans, les humains sont partagés entre égoïsme et altruisme. Pourquoi voulez-vous que les épidémies changent l’humanité ? Croyez-vous qu’après la pandémie, le problème du chômage ne se posera plus ? Que l’argent va devenir tout d’un coup disponible indéfiniment ? Cent milliards d’euros, disait le Ministre des Finances mais il le dit lui-même, « c’est plus de dettes pour soigner plus de gens, pour sauver plus de vie ». Très bien. Mais les vies qu’on sauve, ce sont essentiellement des vies de gens qui ont plus de 65 ans. Nos dettes, ce sont nos enfants qui vont les payer. 

Le Président, pour lequel j’ai beaucoup de respect, disait « la priorité des priorités est de protéger les plus faibles ». Il avait raison, comme propos circonstanciel pendant une épidémie. Les plus faibles, en l’occurrence, ce sont les plus vieux, les septuagénaires, les octogénaires.

Ma priorité des priorités, ce sont les enfants et les jeunes en général

Et je me demande ce que c’est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités. Bien sûr que la dépendance est un problème majeur, mais nos écoles, nos banlieues, le chômage des jeunes, sont des problèmes, à mon avis encore plus grave que le coronavirus, de même que le réchauffement climatique, la planète que nous allons laisser à nos enfants. Le réchauffement climatique fera beaucoup plus de morts que n’en fera l’épidémie du Covid-19. Ça n’est pas pour condamner le confinement, que je respecte tout à fait rigoureusement. Mais c’est pour dire qu’il n’y a pas que le Covid-19 et qu’il y a dans la vie et dans le monde beaucoup plus grave que le Covid-19« .

Aller plus loin

🎧 RÉÉCOUTER – L’émission Grand Bien Vous Fasse : Le regard d’André Comte-Sponville, thérapie existentielle d’Irvin Yalom, vie quotidienne au temps du Covid-19

🎧 LIRE – André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus (Seuil)

Source: France Inter. 14 avril 2020.

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12 Comments

  1. « Un taux de létalité de 1 ou 2 %, sans doute moins, et les gens parlent de fin du monde….c’est quand même hallucinant ».

    NON, Comte-Sponville. Pas hallucinant.

    Ce n’est pas l’épidémie en soi qui génère ce sentiment.
    Les gens parlent ainsi car pour la première fois de l’histoire de humanité TOUT le genre humain (pour faire simple) a réagi par la distanciation sociale d’abord, le confinement ensuite.

    Le confinement, portant bouleversement brutal de nos modes opératoires automatiques et quotidiens et surtout la mise au ban, probablement à long terme, du nécessaire de survie qui est notre REFLEXE GREGAIRE, génère cette sidération.

    Non le virus, mais notre REACTION au virus, contre-intuitive et inédite et imposée par les moyens actuels de diffusion de l’information aux masses.

    Réaction in fine peut être inutile voire contre-productive car rien ne permet d’affirmer qu’elle limiterait l’hécatombe démographique et économique.

    Avant, on laissait faire les épidémies et on commandait des cercueils.
    Ce qui correspond au discours actuel des tenants de « l’immunisation naturelle en masse ».
    On pourrait à terme devoir conclure qu’ils avaient raison.

  2. Très intéressant les propos de ce philosophe et, à mon avis, d’une grande sagesse. Il a raison. Pensons à nos jeunes et à leur avenir.

    • Non ce n’ Pas un bon article. On peut être philosophe intelligent et stupide. Cet eugénisme déguisé en intérêt pour les futures générations est lamentable. Cette pandémie était évitable ( voir l’art du Pr Montagnier) et je ne vois aucune raison de sacrifier qui que ce soit au nom d’une « philosophie » d’un autre temps.

  3. tout en étant d’accord avec ce philosophe, il est peut-être facile de
    réagir ainsi après, alors qu’on était dans l’inconnu (fabriqué, naturel ?) concernant la dangerosité de ce virus. Il pouvait s’attaquer aux enfants et aux jeunes qui sont la relève des pays et laisser des séquelles très graves.
    Alors résoudre les problèmes quand il n’y a plus personne ?
    Trois choses m’ont marqué dans cette histoire :
    – un être microscopique pouvait mettre en l’air toutes nos belles constructions
    – la mort, personnelle, cachée, devenait contagieuse, une affaire collective.
    – le confinement m’a fait réalisé que la liberté, aller et venir simplement
    était le plus grand des biens, et par extension celle de penser, de choisir
    sa vie …..sans lequel tout le reste n’a pas de sens.
    Et en réponse à ceux qui disent mais que fait Dieu ? Je dirai qu’il nous fait
    faire l’expérience de la liberté, de choisir entre le bien et le mal et nous faire comprendre qu’il est impossible de réaliser le paradis sur terre par nos
    propres moyens.(dans ce drame, on voit la solidarité mais aussi l’égoïsme des pays et des gens). Je n’ai plus aucune illusion (ni la politique, ni la science ou la religion)!.
    Il faut que Dieu vienne ou revienne pour remettre tout en ordre dans sa création.C’est mon espérance et c’est cela la victoire de LA VIE.

  4. Conte de la stupidite. On ne neglige aucun humain et si
    Surtout pas les jeunes au detriement des personnes agees. Descendez de votre trone .un peu plus de resoect pour vos aines. J ai l impression que votre cerveau est au niveau des fesses

  5. Vous écrivez :
    « Je me fais beaucoup plus de souci pour l’avenir de mes enfants que pour ma santé de septuagénaire.“
    C’est justement parce que je voudrais voir grandir mes petits enfants en bonne santé que je me préoccupe de la mienne

  6. « En quoi les 14 000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 150 000 morts du cancer ? », dit-il. Je me demande comment un homme de son intelligence ne peut-il faire la différence entre un virus contagieux où la responsabilité de l’homme qui infecte est engagée au cancer qui n’est pas infectieux ? Oui, les 14’000 morts du coronavirus sont plus graves, car ils auraient pu être en grande partie évitées si les gouvernants avaient pris les précautions qui s’imposent.

    • Discours sélectif ,assez pathétique venant surtout du philosophe compte Sponville pour qui j’avais une certaine admiration…
      comment peut-on mettre en priorité une certaine catégorie de personnes face à la mort ? à droite ce qui doivent mourir à gauche ceux qui doivent vivre … ça me rappelé une certaine période nauséabonde …. Ce n’est pas si simple Monsieur compte Sponville vous ne possédez pas le monopole de l’éthique face a la grande tragédie que nous vivons…
      Ça ressemble à de «l’eugénisme»
      cet Arcticle m’a donné la nausée vraiment…

  7. André CS a raison de parler d’une hystérie des médias mais paradoxalement il dit respecter tout a fait ce confinement général qui est précisément l’illustration la plus complète de cette hystérie collective et qui constitue la politique du pire. Les deux grandes questions sanitaires ce sont les tests (ou plutôt l’absence de tests en France) et l’état désastreux de notre système de santé. Ajoutons la façon ignoble de traiter les personnes âgées dans nos maisons de retraite mais au lieu de condamner cela il participe lui-même au discours anti-vieux, et c’est affligeant.

  8. La Bible est explicite et dit :
    « Tu choisiras la vie »
    La vie ne trace pas de frontières elle enchante la solidarité et la
    les transmissions des valeurs éthiques. Ce Monsieur répète et défend un vielle archétype chrétien :
    La vie a besoin de sacrifices et le Coronavirus c’est la mise en croix des vieux pour éviter le « massacre des innocents » Il se prend pour le rou Hérode. Dans ce scénario Macron c’est Titus, Le système de santé c’est Aggripas qui s’en « lave les mains » le Corona c’est Judas et les vieux sont Jésus mis en croix, la compassion du Docteur Raoult le centurion romain la poitrine qui suffoque et meurent en croix, une jeune femme a pourtant donné à boire aux ainés mourants et Macron joue la Véronique médiatique qui entend garder « bonne figure » en jouant le sauveur sans pouvoir le sauver. Pouah! Quand on choisit la vie on donne des moyens à la médecine, on ne déclare pas les masques protecteurs inutiles parce que pénurie et voeux de pauvreté oblige, on ne fournit ni le peuple ni les hôpitaux parce que la réanimation des malades vendra du Saint Esprit et au fond sacrifions allègrement les vieux Dieu choisira les siens … certains iront au Paradis les autres méritent l’Enfer de la suffocation… Cette mentalité là ne choisit pas la vie au nom de la Sainte Économie, elle s’acoquine avec la mort parce la vie demande un effort de responsabilité!

  9. Correctifs à mon texte précédent:
    La Bible est explicite, elle dit :« Tu choisiras la vie ».
    La vie ne trace pas de frontières elle enchante la solidarité et la
    transmission des valeurs éthiques. Ce Monsieur répète et défend un vieil archétype chrétien :
    La vie a besoin de sacrifices et le Coronavirus c’est la mise en croix des vieux pour éviter le « massacre des innocents » Il se prend pour le roi Hérode. Dans ce scénario Macron c’est Titus, le système de santé c’est Aggripas qui s’en « lave les mains » le Corona c’est Judas et les vieux sont Jésus mis en croix, la compassion du Docteur Raoult le centurion romain qui perde de son respirateur artificiel la poitrine du crucifié qui suffoque et meurt en croix, mais sur ce chemin de croix il y eu bien une jeune femme bénévole pour donner à boire aux ainés mourants quand Macron joue la Véronique médiatique qui entend garder « bonne figure » en jouant le sauveur sans pouvoir de sauver. Pouah! Quand on choisit la vie on donne des moyens à la médecine, on ne déclare pas les masques protecteurs inutiles parce que pénurie et voeux de pauvreté obligent, on ne fournit ni le peuple ni les hôpitaux parce que la réanimation des malades viendra du Saint Esprit et, au fond, sacrifions allègrement les vieux Dieu choisira les siens … certains iront au Paradis les autres méritent l’Enfer de la suffocation… Cette mentalité là ne choisit pas la vie au nom de la Sainte Économie, elle s’acoquine avec la mort parce la vie demande un effort de responsabilité!

  10. Eugénisme ? C’est vraiment ne rien comprendre à son propos… Il ne propose pas de sacrifier qui que ce soit. Il pointe l’hystérie collective qui découle d’une catastrophe comme l’humanité en a déjà connue et en connaîtra. Il y a plus grave que le covid, mais on ne parle que de ça. Il pointe également le pan medicalisme: faire de la santé la valeur suprême. Et il a raison.

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