Michèle Chabelski. Je vais confier un coûteux secret: je ne lis presque plus

Michèle Chabelski

Je vais confier un coûteux secret: je ne lis presque plus. Bien avant le confinement, mes neurones affaiblis confinaient déjà silencieusement dans ma boîte crânienne et refusaient tout effort de concentration. Chacun dans son coin , mutique et désœuvré, consentant péniblement à apparier voyelles et consonnes, butant sur une apostrophe, hésitant sur une diphtongue, confondant adverbe et adjectif, hérissé devant une préposition, hoquetant devant un pronom relatif.

Bref, comme on dit, pas d’amalgame qui puisse constituer une phrase cohérente et intelligible. Je ne comprenais rien de ce que je lisais, mais l’avantage sérieux de l’affaire était que trois pages suffisaient à me plonger dans un sommeil profond, là où d’autres devaient ingérer moult sédatifs aux effets secondaires délétères.

Mais avec ce confinement qui vitrifie le corps et les méninges et dans cette hypercompétitivité sur le nombre de pages lues, j’ai craint une marginalisation post réclusion et j’ai donc décidé d’entrer dans la course. Un certain nombre de livres jamais ouverts clapotent sur mes étagères, mais dans un souci d’économie et d’autodiscipline, je décidai de poursuivre la lecture d’un policier entamé il y a plusieurs mois. Car contrairement aux yaourts, les livres ne repondent a aucun critère de péremption.

Je me saisis donc du dernier bouquin entamé pour achever l’oeuvre qui devait me déboucher la tuyauterie de la tête. Las! Je ne vous cacherai pas que l’entreprise était ambitieuse, mais je possèdais un atout de taille : le temps. Me voici donc chaussée de rangers de trekking mental, mes lunettes, et en route pour l’aventure…

Las!! Déboussolée je fus. Imaginez qu’après plusieurs mois d’inactivité vous décidiez de rejoindre une équipe partie pour une randonnée planétaire. C’est dur. Ben c’est pareil pour un livre. Me voici plongée au coeur d’une histoire située on ne sait où, on ignore quand et qu’une mémoire défaillante a rejetée aux oubliettes.

Quoi? Anne, c’est le commissaire ? Et… Non… ce n’est pas possible : son ex-mari est accusé de meurtre? Mais qui a été tué? Ah! Ce n’est pas son mari! Les soupçons se portent sur son ex-beau-père qui bosse dans la même brigade qu’elle …

Mince! Mais je ne sais toujours pas qui a été sèchement occis. Un gentil? Un méchant ? Et j’apprends avec un certain courroux que finalement le tueur soupçonné est à son tour brutalement refroidi.

Quoi? Cauvin est une nana?

Moi aussi. Je n’y comprends plus rien. Ajoutez à cela que les personnages sont tous nommés par leur nom de famille, ça n’aide pas à la compréhension. Dupont dégaina, suivi par Martin, rapidement rejoint par Cauvin.. Le suspense est à son comble… Qui trébucha et cassa le talon gauche de son Stiletto… Quoi? Cauvin est une nana? Et comment va-t- elle participer à l’hallali avec un talon cassé? Comment poursuivre un suspect – si ça se trouve un assassin – en claudiquant sur un escarpin estropié ? Trop d’émotion tue l’émotion… Je n’en peux plus…

D’autant qu’à ce moment haletant déboule une équipe adverse à qui on a retiré l’enquête mais qui est bien décidée à partager les lauriers du succès malgré l’hostilité qui cascade entre les inspecteurs en compétition.

Vous avez compris quelque chose? Moi non plus. Alors bien sûr, restent Proust, Houellebecq, Kirkegaard ou Steinbeck, mais ce policier complexe et légèrement tordu m’a provisoirement éloignée de la littérature.

Je reprends chiffons et plumeau, Paic et Cif, mes nouveaux potes de confinement, assurée qu’ils ne dérangeront pas mes neurones clairsemés qui contrairement aux cheveux ne poussent pas plus vite en intérieur qu’en extérieur.

Le téléphone? Ce ´tain de portable a hoqueté et craché sa race

Je voulais vous parler du téléphone, mais ce ´tain de portable a hoqueté et craché sa race, je veux dire cette chronique avant qu’elle soit achevée.

Je vais donc y mettre un point final en attendant un lendemain qui ne peut que chanter en l’état actuel de la situation.

Que cette journée vous offre un tuteur pour maintenir votre tête qui pivote à 180 degrés à la lecture de nouvelles aussi péremptoires que contradictoires…

Ne croyez personne, soyez paranos, complotistes et restez chez vous, c’est la seule unanimité qui circule dans le flot d’infos étourdissantes qui nous font virevolter les méninges.

Une grosse pensée pour les malades, les endeuillés , et tous ceux qui travaillent pour nous permettre de survivre dans ce monde qui tangue et qui chavire…

Bonne semaine de Pessah

Je vous embrasse

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