Un grand regret pour moi est de ne l’avoir plus. À la maison c’était un modèle un peu luxe acheté sans doute un jour de fortune, la planche en était dans un bois très dur un peu rouge, qui faisait très acajou massif très poli par le travail et par l’encaustique une fois par semaine. Et il y avait des incrustations de nacre qui enchantaient mon oeil d’enfant…
L’emploi du temps de ma mère comprenait un grand nombre de “tiers”: un tiers du temps elle cousait, un tiers du temps elle tapait, très vite, à la machine à écrire les textes écrits par mon père ou les siens, un tiers du temps elle tenait la maison et elle cuisinait, un tiers du temps elle lisait, en russe de préférence, et parfois en français, un tiers du temps elle parlait et écoutait, un tiers du temps elle s’occupait de moi, de me promener, surveiller mes devoirs, faire réciter les leçons, m’emmener voir des choses, rester proche de moi qui jouais, un tiers du temps elle le passait à parler avec mon père en diverses langues, un tiers du temps elle chantait, un tiers du temps elle pleurait, un tiers du temps aussi elle venait en aide aux pauvres, aux isolés, aux malades.
Parfois elle dormait je suppose: tant qu’elle fut en santé, je n’ai pas vraiment souvenir de l’avoir vue dormir: aussi tard dans la nuit que je me réveillais elle était là, lisant, parlant avec mon père, cousant, écrivant, aussi tôt que je me réveillais elle était là, debout.
Elle avait bien dû dormir cependant. La différence entre la veille tardive et le réveil longtemps avant le jour était ce qu’elle buvait: le thé, toujours le thé, encore le thé jusqu’à tard dans la nuit, le café en sa cafetière Salam ivoire, bien avant le jour, à cette heure où bientôt allaient cuire les latkess sucrés ou les blinis salés ou sucrés avec souvent une cuillère de crème, à l’heure où se ravivaient les foyers des cheminées, de la salamandre, de la cuisinière…
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