Professeur Raoult de Bergerac
La France est dans un état morose suite à la guerre de 1870 et la perte de l’Alsace Lorraine. Dans son Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand met en exergue les aspects patriotiques du pays. Dans la scène 8 de l’acte II, Cyrano, après avoir, lors d’une algarade, remis à sa place le conte de Guiche, grand personnage de l’État, livre à son protecteur et ami Le Bret son système de vie par le biais d’une célèbre tirade, véritable profession de foi de notre homme à l’adresse de son protecteur.
Grâce soit ici rendue à l’humour de Florian Brucker et au pastiche savoureux qu’il en fait ici.
Juste de quoi faire taire la foultitude de médecins autoproclamés, les sachants, qui usent, eux, du verbe avec un sérieux … navrant, lorsqu’il n’est pas, de surcroît, violent, à propos de … la molécule que vous savez tous.
Les métaphores du passage se prêtaient merveilleusement à l’exercice: encore fallait-il y songer.
Florian Brucker est humoriste, comédien, animateur et réalisateur.
Tirade des Non, merci – Cyrano de Bergerac
Extrait de l’Acte II, scène 8
Le Comte De Guiche propose à Cyrano de devenir son poète officiel. Il refuse avec force et ses amis sont dépités.
Le Bret.
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire
La fortune et la gloire…
Cyrano.
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? Une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S’aller faire nommer pape par les conciles
Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ? »…
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
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