Le ministre de la Santé a annoncé avoir commandé 2 millions de tests de dépistage. Un changement de stratégie, alors que le gouvernement était de plus en plus critiqué pour en avoir minimisé l’importance.
La France est en guerre, clame son président, Emmanuel Macron, mais a-t-elle les moyens d’emporter la victoire ? Derrière les images d’union sacrée, le doute prédomine dans les milieux médicaux. On a beaucoup parlé de la pénurie de masques, mais la stratégie erratique du gouvernement en matière de tests de dépistage ne manque pas non plus d’interroger. Avec, en filigrane, la même suspicion : les autorités sanitaires ont-elles fait preuve de négligence depuis l’apparition du coronavirus en Chine, début janvier ? Le vendredi 27 mars, la situation était la suivante : la France pratique moins de 5 000 tests par jour quand l’Allemagne en réalise 23 000. Et, quand le ministère de la Santé table sur 20 000 tests par jour dès avril, son homologue germanique annonce vouloir passer à plus de 70 000. Beaucoup d’experts font le lien entre cette stratégie de dépistage et le faible nombre de décès enregistrés en Allemagne (six fois moins qu’en France) ou en Autriche.
Rony Brauman répond à Macron : « La métaphore de la guerre sert à disqualifier tout débat »
Mais, plus encore que l’exemple de notre voisin, le cas de la Corée du Sud, un des premiers pays à avoir été touchés par l’épidémie, donne un relief particulier à l’importance du dépistage massif, surtout quand il est pratiqué tôt. Ce fut le cas autour de la ville de Daegu, principal foyer de la contamination. Aujourd’hui, le pays déplore « seulement » 134 décès (sur une population de 50 millions d’habitants), et le Covid-19 est en passe d’être endigué sans qu’il y ait eu besoin d’imposer un confinement à la population.
Où sont les masques ? Le scandale d’une pénurie
En France, la situation dramatique des Ehpad, où l’on compte déjà de très nombreux décès, a accru la pression sur le gouvernement. Le Pr Philippe Juvin, chef des urgences à l’hôpital Georges-Pompidou, mais aussi maire (LR) de La Garenne-Colombe (voir p. XX), a demandé cette semaine à ce que l’on teste tous les occupants de ces établissements, « afin de séparer les résidents contaminés ». Selon lui, « il ne faut plus confiner les personnes positives et négatives ensemble. Il faut qu’on soit rapidement en mesure de répondre à ce besoin urgent, aucune attente n’est possible ». Message reçu, semble-t-il. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé le 26 mars avoir commandé 2 millions de tests sérologiques pour le courant du mois d’avril, afin, a-t-il dit, de préparer la sortie du confinement. Des tests plus simples à réaliser (et moins chers) que les tests biologiques – une prise de sang suffit –, et qui permettront de déterminer si une personne a déjà été contaminée, ce qui la fera considérer comme immunisée.
Volte-face
C’est une volte-face. Longtemps, le gouvernement a tenu un discours ambigu sur les tests, minorant leur importance dès lors que la contamination gagnait tout le pays : le dépistage à grande échelle ne permettant pas d’identifier les chaînes de transmission, il serait donc vain. Pis, il comporterait une marge d’erreur importante, compte tenu d’un délai d’incubation pouvant aller jusqu’à quatorze jours. Pourtant, et le chef de l’Etat l’a rappelé lors de son allocution à Mulhouse, l’essentiel des cas enregistrés à l’heure actuelle se concentre dans quelques régions : le Grand-Est, les Hauts-de-France, la Corse et l’Ile-de-France. Mais, là comme ailleurs, aucune stratégie ciblée n’a été mise en place. Aussi, beaucoup de patients présentant des symptômes (fièvre, toux) se voient-ils renvoyés chez eux sans passer par la case test, au risque de contaminer les personnes avec qui ils sont confinés, ou leurs collègues s’ils continuent à se rendre sur leur lieu de travail. Plus grave, les soignants eux-mêmes ne sont pas systématiquement dépistés. « Aujourd’hui, on ne peut tester que le patient qui présente des symptômes mais aussi des risques d’aggravation, regrette Lionel Barrand, président du Syndicat des Jeunes Biologistes médicaux (SJBM). Il y a eu un gros bug sur cette question : les autorités sanitaires n’ont pas pris conscience de l’importance du dépistage dans la stratégie d’éradication du virus. Pour être vraiment efficace, il faudrait que nous arrivions à 50 000 tests par jour. »
Un ex-conseiller du ministère de la Santé : « On dit toujours après ce qu’il fallait faire avant ! »
Comment expliquer ces déficiences, alors que depuis plusieurs semaines, dans le monde entier, d’éminents spécialistes réclament des tests massifs ? « Testez ! Testez ! Testez ! » a lancé le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus. L’épidémiologiste américain Larry Brilliant, interrogé par le magazine « Wired », constate : « Les tests permettent de localiser le virus. Si le Zimbabwe revendique zéro cas, c’est parce qu’ils n’ont pas les capacités de tester leur population, pas parce qu’ils n’ont pas le virus. » Cette semaine, trois personnalités – Patrick Pelloux, urgentiste, Carlos Moreno, directeur scientifique à l’université Panthéon-Sorbonne, et Philippe Klein, médecin-chef à la clinique internationale de Wuhan, la mégalopole chinoise d’où est partie l’épidémie – ont appelé dans « le Figaro » à la mise en place d’une stratégie de dépistage plus offensive : « Cette bataille ne peut être menée avec succès que si le diagnostic par les tests est massifié, compte tenu du degré de propagation atteint dans notre pays. Qui est malade ? Qui est porteur ? Qui est sain ? Voilà des questions déterminantes pour une population française de 67 millions d’habitants, dont à l’heure actuelle nous ne connaissons que les 30 000 cas confirmés. »
Le désormais célèbre Didier Raoult, professeur spécialiste des maladies infectieuses à Marseille, a été l’un des premiers à s’étonner de l’absence de dépistage en France : « Si on dépiste et que l’on traite les gens précocement, il y a forcément plus de chances de les sauver que quarante-huit heures avant la phase terminale, a-t-il déclaré à “la Provence”, […] Le dépistage massif n’est pas une stratégie, c’est du bon sens. Je ne sais pas pourquoi ce n’est pas une stratégie nationale, c’est un choix politique. »
“Des branques”
Politique ou non, ce choix, à l’évidence, a été vigoureusement contesté par de nombreux praticiens. Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des Médecins de France (FMF), est l’un des plus remontés. Infecté par le virus, il est encore en quarantaine quand nous le joignons au téléphone : « Nous sommes gouvernés par des branques ! dit-il. Aux Pays-Bas ou au Luxembourg, on peut avoir des tests dans l’heure ! Nous, on mégote. On annonce des tests quand l’épidémie sera terminée. On se fout de la gueule de qui ? J’ai des tas de copains contaminés qui n’ont pas pu être testés ! Ces gens au pouvoir ne sont pas capables de gérer une crise. Quand tout ça sera terminé, ça va chier… On demandera des têtes ! »
André Grimaldi : « La santé est devenue une marchandise comme une autre »
Plus mesuré, le député Jean-Pierre Door (LR), spécialiste des questions de santé, parle d’« un retard à l’allumage ». « Les autorités ont été débordées par les événements, dit-il. Isoler les porteurs du virus des non-porteurs, évidemment que c’est du bon sens. » Pour sa part, François Blanchecotte, le président du Syndicat des Biologistes (SDB), estime que « les laboratoires de ville auraient dû être dans la boucle dès le début. Si on avait tenu compte de l’expérience des Chinois et croisé dès le départ confinement et isolement des personnes testées positives, on n’en serait pas là ».
Roselyne Bachelot : « Ce que je ressens aujourd’hui ? De la rage ! »
Au cabinet du ministère de la Santé, on réfute naturellement ces critiques. « Depuis le début de l’épidémie, toutes les personnes qui ont eu besoin d’être testées l’ont été », assure un conseiller. Et de prendre l’exemple de la station de ski des Contamines-Montjoie, où plusieurs résidents d’un chalet avaient été déclarés positifs début février. Une cinquantaine d’enfants et de voisins avaient été dépistés dans la foulée. « Nous avons systématiquement appliqué les recommandations de l’OMS, avec un pistage des patients zéro. Quand nous sommes passés en phase épidémique, nous sommes revenus à une approche plus classique.
– Ce fut une erreur ?
– Ce n’est pas à moi de le dire. »
Alors, qu’en est-il réellement ? Le gouvernement a-t-il mal évalué la crise sanitaire ? En réalité, les discours officiels sur le dépistage tenus jusqu’à récemment servaient surtout de cache-sexe à une réalité plus cruelle encore : faute de les avoir commandés assez tôt, la France ne dispose pas d’un nombre de tests biologiques suffisants pour mener une stratégie de dépistage massif. Précisément, elle manque de réactifs (produits qui servent à la réalisation du test) et d’écouvillons, sortes de grands cotons-tiges qui permettent d’effectuer le prélèvement nasopharyngé. « On a les voitures. Il nous manque l’essence », résume Lionel Barrand. Le président du conseil scientifique sur le Covid-19, Jean-Pierre Delfraissy, l’a lui-même reconnu : « Le confinement est actuellement la seule stratégie réellement opérationnelle, l’alternative d’une politique de dépistage à grande échelle n’étant pas pour l’instant réalisable à l’échelle nationale. »
Dépendance
Le 24 mars, plusieurs organisations de biologistes, de médecins, ont lancé un appel au ministère de la Santé, dénonçant une « situation qui met en péril la santé des Français ». Et certains, au téléphone, remarquent que les réactifs et les écouvillons sont actuellement produits par des entreprises étrangères (Italie, Corée du Sud, Chine, Etats-Unis), ce qui met la France dans une situation de dépendance d’autant plus inquiétante que la crise touche toute la planète : l’Etat fédéral américain a ainsi récemment préempté les réactifs du groupe Becton Dickinson, entraînant une rupture dans l’approvisionnement des laboratoires hexagonaux. Pour l’heure, une seule entreprise française s’est lancée sur ce marché : BioMérieux. Ce laboratoire lyonnais vient de mettre point un test biologique (PCR) qui devrait bientôt être commercialisé en Europe. Mais pourra-t-il être produit en quantité suffisante ?
Il faudra aussi compter avec l’état des forces à l’hôpital. La complexité des tests PCR rebute certains praticiens, surtout dans un contexte dramatique où les énergies sont mobilisées pour l’accompagnement des malades. La pénurie de masques peut également dissuader le personnel hospitalier de recourir à des prélèvements invasifs et non dénués de risques de contamination. A Paris, Patrick Pelloux se désole de rencontrer des médecins qui lui rétorquent que « ça ne sert à rien aujourd’hui de faire un test ». A l’hôpital Emile-Muller de Mulhouse, ville la plus touchée en France, le Dr Yann Groc, directeur adjoint du pôle de gériatrie, dit peu ou prou la même chose : « Il faut acheminer les prélèvements en navette spéciale vers Strasbourg, et on a les résultats vingt-quatre à trente-six heures plus tard. C’est lourd. Les kits d’analyse sont en rupture de stock. On n’a pas les moyens de faire plus de 100 tests par jour. Comment tester 450 000 personnes ? Un patient peut être négatif aujourd’hui et positif dans trois jours. Vous ne pouvez pas tester toute la population tous les deux jours. »
Les tests sérologiques peuvent-ils permettre à la France de simplifier son processus de dépistage, de combler son retard sur ses voisins européens, et surtout de tester enfin tous les cas suspects ? « Pour le moment, ces tests n’ont pas été validés par la Haute Autorité de Santé, prévient Lionel Barrand. Des études de performance doivent encore être réalisées. Il faut absolument que tout soit finalisé dans les quinze jours maximum. » Ces tests, dit-il, seront essentiels pour dire qui a le droit de sortir du confinement et de travailler à nouveau. Seront-ils là à temps ?
Alain Chouffan
Citer Rony Brauman, sinistre pro-indigéniste, est assez discutable. En ce qui concerne le confinement général et ses dérives de plus en plus évidentes c’est surtout le signe d’un gouvernement qui ne maîtrise plus rien et d’une population qui perd également les pédales (il existe même des cas de délation : cette pratique est décidément revenue à la mode). Pour une fois le cas allemand aurait dû être l’exemple à suivre.