« Je vous écris d’une ville coupée du monde. Nous vivons ici dans une parfaite solitude qui n’est pas le vide. Nous prêtons chaque jour un peu moins attention à ce que nous ne pouvons plus faire car Venise, en ces jours singuliers, nous ramène à l’essentiel. La nature a repris le dessus. L’eau des canaux est redevenue claire et poissonneuse. Des milliers d’oiseaux se sont installés en ville et le ciel, limpide, n’est plus éraflé par le passage des avions. Dans les rues, à l’heure de la spesa, les vénitiens sont de nouveau chez eux, entre eux.
Ils observent les distances, se parlent de loin mais il semble que se ressoude ces jours-ci une communauté bienveillante que l’on avait crue à jamais diluée dans le vacarme des déferlements touristiques. Le tourisme, beaucoup l’ont voulu, ont cru en vivre, ont tout misé sur lui jusqu’à ce que la manne se retourne contre eux, leur échappe pour passer entre des mains plus cupides et plus grandes, faisant de leur paradis un enfer.
Venise, une métaphore de notre monde
Venise, en ces jours singuliers, m’apparaît comme une métaphore de notre monde. Nous étions embarqués dans un train furieux que nous ne pouvions plus arrêter alors que nous étions si nombreux à crever de ne pouvoir en descendre!
A vouloir autre chose que toutes les merveilles qu’elle avait déjà à leur offrir, les hommes étaient en train de détruire Venise.
A confondre l’essentiel et le futile, à ne plus savoir regarder la beauté du monde, l’humanité était en train de courir à sa perte.
Je fais le pari que, lorsque nous pourrons de nouveau sortir de nos maisons, aucun vénitien ne souhaitera retrouver la Venise d’avant. Et j’espère de tout mon coeur que, lorsque le danger sera passé, nous serons nombreux sur cette Terre à refuser de réduire nos existences à des fuites en avant.
Nous sommes ce soir des millions à ignorer quand nous retrouverons notre liberté de mouvement. Soyons des millions à prendre la liberté de rêver un autre monde.
Nous avons devant nous des semaines, peut-être des mois pour réfléchir à ce qui compte vraiment, à ce qui nous rend heureux.
La nuit tombe sur la Sérénissime. Le silence est absolu. Cela suffit pour l’instant à mon bonheur. Andrà tutto bene.«
Arièle Butaux est journaliste à Diapason puis au Monde de la Musique avant de rejoindre les colonnes de Paris Match, l’Avant-Scène Opéra et Elle. Elle intègre France Musique puis choisit de représenter la musique dans le magazine « Entr’Actes » sur France 3. Auteur de romans et pièces de théâtre, elle a conçu pour Radio-France les concerts « D’une rive à l’autre » dont certains ont été exportés à La Fenice en 2009.
Juste quelques mots de Jacques Neuburger, qui a fait circuler les mots d’Arièle Butaux:
« Positivons….
Et si nous survivons, voilà, nous irons à Venise, on regardera des couchers de soleil sur la lagune, on sera bêtes comme des touristes, on chercherait un endroit où manger des lasagnes à napolitaine, des lasagnes à la bolognaise, des lasagnes à la florentine et même des lasagnes à la vénitienne, on irait paresser sur la plage du Lido et dans cet endroit que je connais, à l’heure la plus chaude du jour, sous un parasol nous mangerions quelques crevettes, une glace, ou rien que ces petits tramezinni si variés et gourmands puis nous rentrerions par le vaporetto et le soir parfois en un lieu secret, raffiné et charmant, à la jolie lumière de ces flammes qui dansent nous dinerions et un serveur solennel et très digne placerait devant nous ces délicieux babas au parfum de citron….«
Oh merci infiniment pour ce magnifique texte .
Transmis à mes amis et amies il a réveillé ce que nous pensons mais que nous n’avions pas su formuler.
Faisons en sorte , à la suite de la pandémie que nous ne repartions pas comme des poulets sans têtes !
Notons que le dernier rajout de Jacques Neuburger est en contradiction totale avec l’essence du discours d’Arièle Butaux.
Pour faire ce qu’elle souhaite il faut surtout NE PAS Y ALLER.
Y aller commence par les « petits tramezinni » à Neuburger et se termine par un milliard de touristes.
c’est exactement ce que je pensais en lisant ce commentaire
Le texte d’Arièle Butaux me donne l’élan de me prononcer sur l’horreur du tourisme de masse qui amène dans ma ville, à Québec- une ville qui lui a valu autrefois le titre de l’Unesco de bijou du Patrimoine mondial – le tourisme de croisière. Nos dirigeants cherchent à obtenir avec les croisières la possibilité de recevoir 400,000 croisiéristes par année, dans une ville de 500,000 habitants pour de soi-disant retombées économiques, non avérées de manière indépendante.
Nos dirigeants sont prêts à sacrifier la qualité de vie de ses résidents et même prêts à donner aux touristes tout notre Vieux-Québec, un lieu fort de l’histoire du Nord de l’Amérique, au nom d’un capitalisme indécent.
Nous rêvons nous aussi de retrouver notre Petit Champlain pour nous, nos promenades le long du fleuve, notre Terrasse Dufferin, nos petites rues désencombrées et le loisir de contempler l’oeuvre d’un patrimoine acquis par 400 ans d’histoire.
Vrai ou pas? https://www.nationalgeographic.com/animals/2020/03/coronavirus-pandemic-fake-animal-viral-social-media-posts/
Le commentaire de Jacques Neuburger prouve, s’il en était besoin, que tout recommencera comme avant et que ce beau rêve ne restera, hélas, qu’un rêve…