« En repos dans une chambre » par Gaspard Koenig

Les mesures de confinement préparent-elles une épidémie de dépression ? Une étude parue dans la revue scientifique General Psychiatry analyse les troubles liés à l’isolement forcé en Chine et à Hongkong : anxiété, dépression, phobies, comportements compulsifs, qui peuvent dégénérer en une détresse psychique sévère chez 5% des sujets. Comment (ré)apprendre à vivre seul avec soi-même ?
 
L’étude semble donner à raison à Pascal, qui dans sa fameuse pensée 192 sur la misère de l’homme constatait « que tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre ».

Habitués à un divertissement frénétique, fuyant la réalité de notre condition dans le jeu comme dans les affaires, nous nous réfugions dans une insatisfaction perpétuelle, toujours remplie de nouveaux et vains défis. Quand nous nous trouvons soudain face à nous-mêmes, qu’y voyons-nous ? « Un amas de misères inévitables », ponctuées par une mort certaine, avec ou sans coronavirus.
 
Si la solitude nous est si pénible, c’est que le moi est haïssable. « L’homme qui n’aime que soi ne hait rien que d’être seul avec soi. » : il mesure alors la vacuité de son être. Hormis dans la religion, objet du non moins célèbre pari pascalien, pas de tranquillité possible pour une humanité qui aime l’excitation de la chasse mais se détourne aussitôt de la prise.

Les Parisiens tournicotant dans leurs cinquante mètres carrés auront tout le loisir, une fois épuisé le contenu premium de Pornhub (offert par la plateforme pour cause de virus !), de méditer sur l’inconsistance de leurs désirs.
 

On connaît néanmoins un prédécesseur de Pascal qui était parfaitement heureux dans sa chambre : Michel de Montaigne. Réfugié du tumulte de la Cour dans son domaine gascon, il passe ses journées dans une vaste bibliothèque circulaire : « là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessin, à pièces décousues ». Il recommande à chacun d’avoir un « coin » où se soustraire de la société comme de sa propre famille. « Misérable qui n’a chez soi, où être à soi ».
 
Heureux dans sa chambre

Cet enfermement volontaire ne peut porter ses fruits que s’il s’accompagne d’un travail sur soi. « La solitude que j’aime, et que je prêche, ce n’est principalement, que ramener à moi mes affections, et mes pensées. » C’est en commençant par devenir soi-même que l’on peut ensuite s’occuper des affaires du monde. Le moi est peut-être haïssable à l’état brut, mais il prend de la consistance à mesure qu’on l’ausculte – ce qui est tout l’objet des Essais, tâchant de saisir, à travers une âme mise à nu, ce qu’il y a d’universel dans l’humanité.
 
Cette recette n’échappa pas à Stefan Zweig, exilé à Petropolis en pleine guerre mondiale. Zweig consacra en effet sa dernière biographie à Montaigne. Soucieux de « demeurer fidèle à son moi le plus intime en des temps où les masses sont prises de folie », il voulut prendre du recul sur son époque tourmentée.

En vain, puisqu’il se suicida en février 1942. Espérons que le confinement nous réussisse mieux !


Gaspard Koenig

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