Coronavirus / municipales. L’attitude du président du Sénat vivement critiquée
Si le personnel soignant n’a toujours pas de masque, Gérard Larcher, lui, n’en a plus. En faisant pression sur le président de la République pour le maintien des élections municipales, il a montré qu’il n’était animé par l’intérêt du pays que secondairement. Il a beau s’en défendre après coup, ne déclarait-il pas dans la matinale d’Europe 1 jeudi : « Nous sommes face à un quadruple défi, un défi sanitaire, un défi économique et social, un défi dans la mondialisation – et la décision des États-Unis le souligne particulièrement ce matin – mais aussi un défi démocratique puisque dimanche aura lieu, j’allais dire, une élection essentielle, ce qui est la trame des 35 000 communes de France ».
Gérard Larcher calculateur?
Quand, après avoir décidé de fermer les écoles, les collèges, les lycées et les universités, puis les restaurants, les cafés, les cinémas et les commerces, quand, après toutes ces fermetures, les responsables politiques maintiennent les élections municipales, ils ne permettent pas aux Français de prendre clairement conscience de la gravité de l’épidémie qui les frappe. Aussi faut-il être dénué de tout sens logique pour oser leur dire avec une gravité affectée : « Restez chez vous, allez voter ! »
Rappelons qu’en 2007 les élections municipales furent reportées d’une année pour ne pas parasiter les élections présidentielles et législatives qui tombaient au même moment. Celles de 2020 auraient donc très bien pu être repoussées en 2021 et couplées avec les élections départementales qui, passionnant moins les Français, auraient bénéficié de l’intérêt que suscite le scrutin municipal.
Inutile d’ergoter durant des heures sur les avantages et inconvénients d’un tel report ! L’intérêt prioritaire de la santé des Français n’avait pas à être subordonné aux calculs électoraux du président du Sénat et de ses amis.
La veille du scrutin sept présidents de région et un certain nombre de personnalités politiques avaient à nouveau demandé le report des élections municipales. Pas de réaction du côté de l’exécutif ! Durant la journée de dimanche, des voix ont commencé de s’élever, dans la majorité et l’opposition, qui reprochaient à Gérard Larcher son attitude. « L’heure n’est pas à la polémique », répétait-on, hier soir, à droite, en découvrant la faible participation des électeurs au scrutin. Et Bruno Retailleau, le Président du groupe Les Républicains du Sénat, de rappeler, pour défendre Gérard Larcher, qu’aucune formation politique ne s’était opposée au maintien des élections municipales. Voilà qui n’est pas pour nous rassurer sur la capacité de notre classe politique à évaluer les réalités auxquelles elle a à faire face !
Et l’intérêt du pays?
Que n’a-t-on éclairé les Français en leur rappelant qu’en septembre prochain se tiendraient les élections sénatoriales et que Gérard Larcher avait déjà fait ses projections à partir d’estimations sur les municipales qui lui avaient été présentées sous un jour plutôt favorable. Comme ce sont les grands électeurs, notamment les maires, les maires-adjoints et les conseillers municipaux qui élisent les sénateurs, il est facile d’imaginer que Gérard Larcher, obnubilé depuis des mois par ce scrutin indirect et par le renouvellement confortable de son mandat de président, n’ait pas vu ce que son entêtement avait d’inacceptable, pour ne pas dire de révoltant.
Faut-il s’en étonner ? Nullement, car on ne peut pas éternellement endosser le rôle de second personnage de l’État et, dans les coulisses, se livrer impunément à un petit jeu pour le moins ambigu. Gérard Larcher est en effet à la fois celui qui, d’un côté, déclare en 2014 que « le Sénat peut relever la République » et celui qui, de l’autre, annule, après l’avoir commandé, un programme d’expositions sur le thème de la République. Précisons que l’une des expositions, dont l’intérêt pédagogique avait été salué par des historiens de renom, notamment par Michel Pastoureau et Pascal Ory, avait pour objet l’hommage que nos plus grands peintres, notamment impressionnistes, rendirent à notre drapeau tricolore.
Une heure et demie après cette annulation, Gérard Larcher se précipitait au siège de Charlie Hebdo victime d’un attentat islamiste. Qu’à cela ne tienne, quand un sénateur lui proposera, après plusieurs tentatives infructueuses, d’installer le drapeau français dans l’hémicycle, Gérard Larcher usera d’un stratagème pour que cette installation passe inaperçue. Il est vrai que lorsqu’on s’efforce d’être à la croisée de toutes les sensibilités, il faut commencer par être soi-même le moins convaincu possible de quoi que ce soit. Se forger une âme d’homme d’État n’a jamais été l’affaire des tièdes.
De la mise sous le boisseau de notre drapeau pour complaire aux européistes au maintien des élections municipales en pleine épidémie de coronavirus, il y a un même fil conducteur : celui de la priorité de l’intérêt personnel sur l’intérêt général du pays. Aussi le Président du Sénat est-il devenu emblématique de cette classe politique que l’Histoire a, depuis des années, abandonnée tragiquement derrière elle.
« Nous devons être rassemblés et solidaires devant cette pandémie qu’il nous faut combattre de toutes nos forces, a déclaré hier soir Gérard Larcher, espérant mettre un terme aux critiques de tous ceux qui aujourd’hui le montrent du doigt. La France doit être unie, les Français déterminés à agir avec courage et responsabilité. La priorité absolue, avant toute autre considération, est la santé de nos concitoyens. Je compte sur les Français pour respecter les mesures prises ».
Sans doute compte-t-il plus sur les Français que les Français ne comptent sur lui.
Source: Causeur. 16 mars 2020.
Ancien collaborateur parlementaire, Jérôme Serri est journaliste littéraire. Il a publié Les Couleurs de la France, avec Michel Pastoureau et Pascal Ory (Hoëbeke), Roland Barthes, le texte et l’image (Éditions Paris-Musées) et participé à la rédaction du Dictionnaire Malraux (CNRS éditions). Il est auteur à Causeur et Boulevard Voltaire.
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