Nous bataillions, ce matin, avec mon boss. Nous parlions élections israéliennes. Le balagan. Et même plus encore. Nous n’étions pas d’accord sur l’info exacte. Les deux un oeil sur les messages de nos contacts respectifs en Israël. Conscients que même l’élection là-bas prenait un tour surréaliste: il fallait un Gouvernement, et vite, le Covid-19 pressait tout le monde. Regardez les Belges. Et puis regardez nos Municipales. Comme bâclées. Sans doute à rejouer. Mais quand?
Vous savez quoi, me dit mon boss, un colosse qu’a jamais peur de rien. J’ai l’impression que nous sommes tous sur le Titanic.
Ah oui. Moi je verrais plutôt un truc qui ressemblerait à un no man’s land. Je repense au film de Danis Tanovic. Vous rappelez-vous? Quand, en plein cœur de la guerre de Bosnie, Ciki et Nino, deux soldats ennemis, l’un Bosniaque et l’autre Serbe, échouent dans un no man’s land. Et qu’alors que la tension grandit entre les belligérants, Nino et Ciki s’efforcent tant bien que mal de négocier le prix de leur vie au coeur des atrocités de la guerre, aidés par un Casque Bleu français qui brave les ordres de ses supérieurs.
C’est pas la guerre. Mais ça ressemble à rien que nul d’entre nous n’eût déjà vécu. C’est pas la guerre. Et celui-là que j’aime me consolait en répétant qu’il était bon de dépendre de nos médecins, plutôt que de nos soldats.
Je ne sais pas. C’est sans doute à Eux que je pense le plus. Eux en première ligne. Eux sur le front. Eux qui arrivent au combat épuisés par des années de dévouement dans les conditions indignes de travail que chacun sait. Eux qui, de par le monde, étaient des héros méconnus. Multipliant les exploits. Sauvant des vies. Prenant des décisions qui les conduisirent parfois … en justice. Eux que nul n’a suffisamment écoutés. Eux entre les mains desquels aujourd’hui nous nous remettons, confiants, suppliants, humbles.
Comme vous, j’ai du mal à nommer le sentiment qui m’étreint. Tant il est fait … d’inconnues. Tant la vie nous a gâtés. Tant il nous a paru naturel de faire des projets. Ce soir. Dans 3 jours. En avril. En été.
Tant la seule entrave à notre légèreté était la maladie. Lorsqu’elle surgissait. Charriant avec elle l’angoisse, la peur, la souffrance. les séjours en réa. Les nuits. Longues. Terrifiantes.
Nos préoccupations sérieuses, politiques et professionnelles, ont contraint souvent nos emplois du temps. Nous ont appris la gravité. Mais Qui de nous a renoncé à un bain de mer. Un barbecue à la mode Claude Sautet. Histoire de retrouver l’énergie qui menaçait de s’étioler…
Ici, rien de tel. Le Covid-19, il s’est invité. Chez tous. Toutes classes sociales confondues. Aujourd’hui, il dirige notre monde, va nous contraindre à le repenser.
Le confinement tant redouté par d’aucuns aura moult conséquences. De tous ordres. Nous nous disons qu’enfin nous pourrons la lire, la pile de bouquins qui attend. Que nous pourrons appeler celui-là ou Elle que nous aimons tant et avons pourtant négligés, faute de temps. Je n’arrête pas de me promettre d’essayer de la faire, la tarte au citron d’Hélène Darroze. La musique remplit la maison.
Avec une idée obsédante: Combien de temps. Qui manquera à l’appel alors. Et ça, ça, c’est aujourd’hui la seule question sans réponse. Insupportable. Qui vous étreint la nuit. Qui vous vrille le cœur quand vous ouvrez les yeux.
Alors, comme de toutes choses il faut tenter de rire, je vous donne cela. Un dessin d’Antoine Chereau, et 3 minutes de chronique déjantée: Connaissez-vous Thomas Gunzig?
Licencié en Sciences Politiques, Thomas Gunzig est écrivain, libraire, chroniqueur et professeur belge. Cette chronique est parue sur Le Libre Air Du Coin, hier 15 mars 2020.
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