Isaac Franco. Résistance passive

Impossible d’y échapper! S’il n’infecte heureusement pas tous les organismes, le coronavirus règne sans partage sur les esprits. Vain alors d’espérer retenir l’attention du lecteur en l’entretenant du chantage turc à l’immigration ou des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés par le régime syrien et ses alliés russe et iranien à Idlib. Inutile aussi d’attendre un peu d’intérêt avec la pathétique impasse politique dans notre pays ou même avec ce qui, jusqu’à cette urgence sanitaire, vous assurait toujours la Une, l’antienne favorite des rédactions ou leur bouche-trou les jours de disette, le fantasme des malfaisances israéliennes.

Non, rien ici n’y ferait, échec, bide, veste, gamelle, bérézina, Waterloo garantis.

Inintéressante toute autre actualité que celle d’un microbe, fruit d’une danse mortelle où s’accouplent nature, mondialisation et tradition des marchés chinois dits « humides » proposant rats, serpents, chauve-souris et autres bestioles vivantes censées fortifier les défenses immunitaires du consommateur. Inaudible ce qui ne parle pas de cet ennemi invisible et sournois qui déstabilise la course effrénée des hommes, questionne leur vanité et les ramène par le bout du nez dans leurs cavernes modernes où, entourés de leurs gadgets, ils sont renvoyés à leur indépassable impuissance et invités à la résistance passive.

Tout ou presque a pourtant été déjà dit sur les mesures des uns et des autres, jugées excessives ici ou coupablement laxistes là, pour contrarier l’avancée de la pandémie.

Et s’il faut attendre encore un peu avant d’en mesurer toutes les conséquences sociales et économiques, il n’est en revanche pas prématuré d’avancer qu’elle pourrait bien être le tombeau des ambitions de certains responsables politiques. Ou leur tremplin.

Ainsi, si rien ne paraît menacer directement les autocrates chinois, turc ou russe, le régime iranien pourrait bien, lui, en faire les frais.

Après que, dans un premier temps, le régime ait choisi de cacher la vérité sur la gravité de la menace, il a ensuite échoué à contenir sa propagation en négligeant de mettre en quarantaine la ville sainte de Qom, épicentre de l’épidémie dans le pays.

Lieu de pèlerinage de milliers de fidèles locaux et étrangers laissés libres d’entrer et de quitter le pays alors que le virus s’était déjà déclaré, l’Iran est désormais le second pays le plus touché après la Chine, le nombre d’individus infectés et de décès y étant dramatiquement supérieurs à ceux annoncés par les autorités sanitaires et politiques et naïvement relayés par l’ensemble de nos médias.

Dépourvue du personnel et de l’équipement médicaux à la hauteur du défi, déjà durement touchée par les sanctions américaines et humiliée par l’élimination de Qassem Soleimani, la République islamique est un des principaux foyers d’infection dont les conséquences sanitaires largement sous-estimées pourraient bien ranimer et renforcer l’élan protestataire brutalement réprimé il y a seulement quelques semaines.

Dans les démocraties aussi se joue le sort de quelques chefs d’Etat ou de gouvernement. C’est le cas en Italie où l’actuelle coalition, formée dans le seul but de faire barrage à la Lega de Salvini, était promise à ne pas passer l’hiver. Sa gestion de la crise, ignorante dans sa phase initiale du risque lié à la présence dans le pays d’une importante communauté chinoise qui allait largement contribuer à y importer le virus de Wuhan, se révèle aujourd’hui exemplaire, lui valant ainsi le satisfecit d’une population culturellement rétive à la discipline collective et traditionnellement peu encline à s’en remettre à la parole et aux recommandations de ceux qui la gouvernent.

Le cas également en Grande-Bretagne où un Boris Johnson fort d’une majorité confortable aux Communes joue son va-tout en laissant le virus se propager lentement pour que la population puisse développer une « immunité collective », une stratégie controversée qui pourrait lui coûter son avenir politique.

Le cas encore en Espagne, goguenarde et moqueuse au début des mesures drastiques adoptées en Italie et aujourd’hui contrainte dans la précipitation de les imiter.

Le cas de la France qui vante l’unité de l’Europe à l’heure où ses membres affrontent les crises, sanitaire comme migratoire, en ordre dispersé, et confine avec retard sa population en même temps qu’elle appelle des millions de citoyens à voter pour des élections municipales dont nulle urgence n’interdisait le report.

Le cas de notre pays, « fort » de 9 responsables de la Santé offrant à la télévision le triste spectacle de leurs désaccords, et toujours sans gouvernement fédéral de plein exercice.

Le cas enfin du président des Etats-Unis qui, fort d’un bilan économique convaincant, était promis il y a quelques semaines seulement à une réélection aisée, et dont la gestion de la crise sanitaire et financière planétaire commande désormais l’avenir. Le coronavirus sera-t-il son ouragan Katrina, cette catastrophe climatique dont les conséquences calamiteuses sont à jamais associées à George W. Bush? Ou sera-t-il son ouragan Sandy qui allait offrir à son prédécesseur Obama les clés de la Maison-Blanche pour un second mandat?

Quant à nous, pauvres mortels anonymes, résistons dans le confort de notre salon, une perspective pas très enthousiasmante, certes, mais toujours moins périlleuse que le maquis ou les tranchées de nos grands-pères…

Isaac Franco

Isaac Franco est chroniqueur à Radio Judaïca Bruxelles – FM 90.2 les lundis de 17 à 18 heures (« Cherchez l’erreur »)

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