Pitoyable était le discours du président, un président que je ne porte pas dans mon coeur, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est une stratégie connue depuis la nuit des temps, celle qui consiste à diviser la nation tout en appelant à l’unité nationale, c’est ce à quoi nous avons eu droit hier. Pierre le Coz appelle cela la kermesse des émotions, celle qui nous rappelle que les réponses affectives prennent le pas sur les démarches réflexives. Moi, je n’ai pas oublié la mobilisation scandaleuse du (49,3), le personnel soignant qui manifeste depuis plus d’un an et qui n’a rien eu ou presque, les chômeurs que la scélérate loi sur l’indemnisation du chômage va mettre sur le carreau… Bref, avant que je ne m’énerve, parlons d’autre chose.
Un jour, je ne sais quel bon sens tout soudain m’a illuminé, c’était un 8 avril, et je me suis rappelé que c’était le jour de naissance de Jacques Brel. Spontanément, j’ai décidé de lui écrire une lettre, la première qui allait se poursuivre avec d’autres lettres à d’autres artistes. Voici donc, histoire d’oublier le coronavirus :
A MON ETERNEL POTE BREL 10/10/2018
« Regarde bien petit, regarde bien, sur la plaine là-bas à hauteur des roseaux, entre ciel et moulin, y a un homme qui vient que je ne connais pas« … Et si c’était moi? Je ne suis ni un lointain voisin, ni un voyageur perdu, ni un abbé porteur de ces fausses nouvelles… Mais un mortel parmi les autres, qui aime, qui boit, qui avale tes paroles, tes gros mots et ton impertinence. Bélier comme toi, je n’ai pas le temps de prendre les formes, je rentre dans le vif du sujet : parce que j’ai l’impression que tu as tout dit ou presque, fût-ce pour te séduire (c’est toi qui le dis), j’ai envie de t’interpeller sur certains thèmes de tes chansons.
– A propos de vieillesse: « mourir la belle affaire, mais vieillir... », jusque là, je souscris sans condition; mais pourquoi tu remues le couteau dans la plaie « les vieux n’ont plus d’illusions, même riches, ils sont pauvres et n’ont qu’un coeur pour deux; du lit à la fenêtre et de la fenêtre au lit…« . C’est trop cruel! Je vieillis et je n’ai pas envie de connaître ça, mais en même temps, je n’ai pas envie de me flinguer.
– A propos de la mort : oui mon pote! Heureusement qu’elle existe; « la mort, c’est la justice, c’est la vraie justice« , disais-tu.
– A propos du plat pays : J’y ai séjourné à trois reprises, mais mon ami, le pays qui est le tien a bien changé. A Bruxelles, en pensant à toi, j’ai voulu me recueillir à l’arrêt du tram 33, là où tu attendais Madeleine qui n’est jamais venue; j’ai pensé à aller ingurgiter des frites et puis des moules, des moules et puis des frites et du vin de Moselle, comme tu comptais le faire avec Jef; j’étais curieux de voir les filles de la madame Andrée.. Tout celà n’existe plus, oualou! A mon grand désespoir.
C’est vrai, la grande place est toujours là, et on y joue Mozart, cela m’a rassuré. Mais une question me taraude, le sens de l’infinitif « Bruxeller« ; même Bernard Pivot n’en a jamais parlé. Peux-tu m’éclairer?
– A propos d’oubli : alors! Une fois tu dis « tout peut s’oublier« , et ce serait une bonne chose, car la vie se fait ici maintenant, je n’ai pas à être prisonnier de mon passé. Une autre fois, tu déclares « on n’oublie rien de rien, on n’oublie rien du temps, on s’habitue, c’est tout« . Que vais-je retenir?
– A propos de Dieu : à ton dernier repas, tu criais « Dieu est mort une dernière fois« . Et là, je ne suis pas d’accord; car non seulement, il n’est pas mort, puisqu’il revient plus fort que jamais; pire encore, il se fait représenter par une bande de salauds et de tristes bigots qui parlent en son nom et qui pourrissent la vie des gens, en commettant les pires horreurs. Et si dieu était une fabrication personnelle?
– A propos d’amour : tu me mets dans une vrai merde! Quand tu compares la beauté de ta Fanette « à une perle d’eau » ; quand tu te proposes d’offrir à ta dulcinée « des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas« ; qu’est-ce qui me reste? Tu ne penses quand même pas que je vais dire à la mienne qui t’adore en plus : « chérie je t’aime, chérie je t’adore« . Tu rigoles?
Bref, je voulais délirer un peu avec toi. Ma supplique : garde-moi une place en enfer tout près de toi, j’ai tellement de choses à te dire; je ne veux pas aller au paradis avec les « propriétaires de Dieu », je m’ennuierais trop, or mon bonheur, c’est l’absence d’ennui. En attendant, bois un coup à ma santé, mais « ne rentre pas trop tard, ne prend pas froid » comme le conseille Ferré.
Une bonne journée
Au prochain délire
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