Nathalie Bianco. Bienvenue chez les fous

La Revêche

Virginie Despentes

C’est un boulot spécial que le sien. Parfois ça la fait rire, parfois, ça lui donne mal à la tête. .
Il lui faut d’abord commencer sa tournée par… la blonde revêche, celle qui fume clope sur clope et qui regarde tout le monde haineusement. Elle a l’insulte facile. Gilles de la Tourette, à côté, c’est Stéphane Bern. Ce qui est important avec la Revêche c’est de bien respecter les consignes de sécurité.

Déjà, il faut penser à éloigner les ciseaux, les couteaux et tout objet contondant. C’est plus fort qu’elle, quand La Revêche voit un homme, elle est saisie d’incontrôlables pulsions agressives. Ici l’équipe entière se souvient avec effroi du jour où elle s’est emparée du sécateur pour poursuivre le jardinier à travers tout l’établissement. Quelle histoire mon dieu ! 

Aujourd’hui, visiblement, c’est un mauvais jour. La revêche à l’air encore plus énervée que d’habitude, elle fait les 100 pas en marmonnant.

En fait, ça fait plusieurs jours qu’elle est en crise. Il faut savoir que, en théorie, elle n’a plus le droit de regarder la télé. Trop d’incidents.

Au début on lui mettait des films. Pas n’importe lesquels bien sûr, elle ne supportait que des films avec des femmes combattantes : Kill Bill, Alien, Nikita. Mais on a rapidement pris conscience de l’influence désastreuse de cette cinéphilie guerrière le jour où la Revêche a essayé de porter des coups de boxe Thaï au jardinier. A 2 ans de la retraite, le brave homme s’est révélé assez peu coopératif à l’idée de devoir affronter une furie échevelée l’assaillant de coups de pieds et de crochets du gauche en le traitant de sale bitard.Maintenant, elle regarde des dessins animés. Toujours avec des filles. Elle aime bien Mulan, forcément, mais la Reine des Neige ça passe aussi. (Quand elle est bourrée, elle chante « Libéréeee délivréee » avec sa voix rocailleuse en fumant des Gitanes).

Bref, toujours est-il qu’il y a eu un raté

Bref, toujours est-il qu’il y a eu un raté ; on ne sait pas trop comment, mais vendredi dernier, elle est tombée sur la nuit des César. Et depuis, c’est la catastrophe, elle fait les 100 pas en éructant qu’elle « veut le pouvoir maintenant, tout de suite, que c’en est fini des rapports de domination, et du contrôle des corps subalternes des CIS meufs, que le clan des puissants doit rendre gorge, que la voix des opprimées doit terrasser ce pouvoir de merde et qu’il ne faudra pas chialer quand elle va leur écraser leur bite pleine de merde avec un parpaing ».

Mais comme de toute façon, le jardinier excédé a fini par donner sa démission, il n’y a plus vraiment de puissants ou d’oppresseurs à agresser, alors, forcément, La Revêche tourne en rond.

Le Branque

Juan Branco

Dans la chambre suivante, ça n’est guère mieux. C’est là qu’il y a celui qu’ils appellent « Le Branque ».

Lui, il n’est pas bien méchant, quoique, juste un égo surdimensionné qui se prend pour la réincarnation du Che, sans béret mais avec mèche folle et QG au Flore plutôt qu’à Cuba… la plupart du temps, il écrit. Des dizaines et des dizaines de petits carnets, noircis d’une écriture fiévreuse, sur « le régime discursif du fatalisme désespéré qui est l’une des plus puissantes armes des dominants pour faire accepter l’inéluctabilité d’une situation injuste, sans pour autant s’exposer à une critique éthique de leur position. On maintient l’étant, tout en se rémunérant symboliquement, le tout dans un ensemble protéiforme, doté de membres aguerris ayant des logiques parfaitement exogènes à l’institution, une forte expérience militante et des embranchements qui les amènent à s’embrancher aux têtes de pont du mouvement social« .

Quand Le Branque n’écrit pas,  il fait des vidéos pour protester contre le capitalisme avec son iPhoneX et son Macbook air. Il déroule ses thèses complotistes et se filme dans le noir avec une lampe torche sous le menton tout en roulant des grands yeux hallucinés.

Ça peut effectivement être assez effrayant et faire forte impression sur un enfant de 4 ans. En période de crise, il faut le rassurer car il se persuade que l’État français est à ses trousses, qu’on veut sa peau et que sa tête est mise à prix. C’est souvent dans ces périodes qu’il essaie de mordre les gens. Alors, on lui file des journaux, Le Point, Le Figaro, Le nouvel Obs. Il en fait des boulettes de papier et il les mange, ça le calme un peu. 

Aide-soignante dans une institution psychiatrique…

Elle continue donc sa tournée. Aide-soignante dans une institution psychiatrique, il faut reconnaitre que c’est parfois amusant. 

Il paraît qu’il y a plusieurs entrées prévues aujourd’hui. Encore de beaux exemplaires de notre époque : une intersectionnelle décoloniale racisée qui proteste à grands cris contre la couleur des blouses blanches et des pansements, une activiste LGBTQQI2SAA+ non-binaire en niqab qui demande l’asile politique à la Palestine , un ancien ministre de la culture, ambassadeur de la langue arabe et égérie L’Oréal Paris (teinture Noir profond n°123 et Fond de teint Soleil Profond n°14)

C’est un boulot spécial que le sien. Parfois ça la fait rire, parfois, ça lui donne mal à la tête. Mais au moins, se dit-elle, il y aura toujours du travail. De plus en plus même, semble-t-il. Elle se demande fugacement si c’est vraiment une bonne nouvelle, et puis, elle hausse les épaules et se dirige vers le bureau des admissions.

Nathalie Bianco

Nathalie Bianco est auteur et essayiste

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1 Comment

  1. Les vrai(e) cinglé(e)s sont en liberté et occupent parfois le devant de la scène médiatique. Le pourcentage de cinglés authentiques est sans doute beaucoup plus élevé dans les médias et l’espace public que dans les Hôpitaux psychiatriques. Dans une société gravement malade au sens psychopathologique du terme, être asocial peut d’ailleurs être un signe de bonne santé intellectuelle et morale.

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