Lors d’un débat à la Fondation Jean Jaurès, l’ancien correspondant de la télévision publique en Israël n’a pas de mots assez durs contre la politique de l’État juif.
Charles Enderlin
Ce n’est jamais agréable d’être injurié par un Charles Enderlin bardé de certitudes qu’il jette du haut de son mirador d’injures. Sioniste-Likoud-messianique-colon-bourreau-de-Palestinien-violeur-des-droits-de-l’homme, traître aux idéaux des fondateurs, de Jabotinsky même, menteur, pleurnicheur qui voit l’extermination à tout coin de rue, soutien du CRIF qui soutient des soldats de Tsahal tuant les enfants palestiniens de sang-froid, exprès, cruellement…
Nous voici bloqués avec Charles Enderlin au carrefour de Netzarim dans la bande de Gaza le 30 septembre 2000. Vingt ans déjà ! Assis derrière une petite table à la Fondation Jean Jaurès, l’ancien correspondant de France 2 à Jérusalem s’adonne à son activité préférée : gronder les Israéliens juifs et les Juifs sionistes. Ce n’est pas par hasard que le prophète-journaliste fait la promotion aujourd’hui de son essai Juifs de France entre République et Sionisme et nous donne l’occasion de voir et revoir la fonction du « reportage » Al-Dura.
Charles Enderlin, journaliste star
A titre d’introduction, Monsieur Enderlin se félicite d’avoir publié nombreux ouvrages volumineux et de connaître d’innombrables personnes d’importance, quasiment tout le monde. Il se félicite d’être juif, israélien, bon citoyen ayant fait son service militaire, dont les enfants et petits-enfants font leur service militaire. Ainsi, en cas de désaccord, c’est lui qui a raison. Les Juifs de France l’attaquent parce qu’il montre ce qu’ils ne veulent pas voir.
Qui sont ces Juifs de France ? Interrogé, un responsable du CRIF estime que quelque 130 000 sont vraiment attachés à la communauté et ses institutions. L’auteur s’appuie sur la discrétion des bons Juifs pour fustiger le sionisme inconditionnel des mauvais. Les Juifs de la République étaient sages, prestigieux et bien intégrés. L’affaire Dreyfus, d’ailleurs, n’était pas ce que la mythologie en a fait. Les Juifs, on le découvrira, ont tendance à mentir. Herzl, témoin de la dégradation du capitaine Dreyfus, fonce en ligne droite vers le sionisme politique ? Non, c’était l’antisémitisme de Vienne le déclencheur. L’expert du Moyen-Orient aime à contredire la « propagande » juive/israélienne.
Les Israélites français n’étaient pas très chauds pour le sionisme. Sylvain Lévy s’opposait à la création d’un foyer juif en Palestine : « … il y aura une guerre terrible avec les Arabes. » Le rabbin Kaplan voyait Israël comme refuge pour les pauvres juifs persécutés… ailleurs. Bon, d’accord, l’intermède nazi change un peu la donne.
L’Etat d’Israël est dans son enfance et déjà on se méfie de ces sionistes de la première heure, hébreux descendants du premier Temple et rescapés de la Shoah, susceptibles de commettre des crimes contre les Arabes. Enderlin nous invite à un combat de coqs au sein du Colloque des Intellectuels juifs, boudé par Lévinas en raison du sionisme inconditionnel de Neher.
D’anecdote en anecdote, on avance vers le tournant : la Guerre des Six-Jours. La propagande juive fait croire qu’Israël était en danger ? Pas vrai. C’était gagné d’avance, Israël saisit les territoires « convoités » et c’est parti pour l’Occupation qui gangrène la démocratie. Les Palestiniens font de la résistance, c’est normal. On les appelle terroristes. Israël se droitise. Le CRIF lui emboîte le pas.
La vérité selon le Père Charles
Point d’orgue : Camp David, été 2000. Au lieu de tenir la promesse d’Oslo, on jette un panier de bantoustans à la figure d’Arafat. Pas de capitale à Jérusalem, pas de retour des réfugiés. Et pourtant il aurait signé. Mais les Juifs n’ont pas voulu. C’est la vérité selon le Père Charles, point barre.
Al-Dura. « Les difficultés venaient lorsque j’ai filmé [sic] ce reportage de la mort d’un enfant à Gaza dans les bras de son père [sic]. » Deux années de silence radio et soudain les ennuis commencent. Du complotisme. Il cite, pour les ridiculiser, toute une série de connivences — les figurants, les journalistes, les médecins, le roi de Jordanie… Puisque c’est impossible, ne cherchez pas à vérifier. Voyons l’enquête d’un général farfelu. Là, c’est Enderlin dans le texte. Suffisant, méprisant, confiant en l’ignorance de son public qui, d’ailleurs, commence à chauffer.
Enderlin ciblé par des boules puantes
Le général farfelu croit voir le tracé des balles palestiniennes. On ne peut pas voir le tracé des balles dans une vidéo ! Celui qui sait égrène une petite liste des tentatives pathétiques de remettre en question son reportage. Le film d’une journaliste allemande, une organisation de droite me poursuit en justice, des menaces de mort, mon épouse insultée et ça continue. À ma conférence à l’IRIS la semaine dernière, la Ligue de Défense Juive a jeté des boules puantes !
Tout cela pour le punir de montrer la vérité qui n’est pas bonne à voir. Alors que c’est nickel chrome. Les balles, par exemple, qu’on ne voit pas dans la vidéo : c’est le général palestinien, Ossama el Ali, qui les a ramassées « tôt le lendemain de la mort de Mohammed al-Dura … et a demandé à notre cameraman [Talal Abou Rahmeh] de ne pas en faire mention. » (1) Le correspondant de France 2 ne tarit pas d’éloges pour son producteur gazaoui qui, on l’apprend dix ans plus tard, a su garder secrète cette preuve matérielle retenue par un général palestinien. Des balles, il doit en avoir beaucoup car, selon les deux témoins [il n’y en a pas d’autres], Talal et [le père] Jamal, le supplice a duré 45 minutes. Quarante-cinq minutes de tirs nourris ! Les autorités israéliennes n’ont pas trouvé un seul témoin pour dire qu’il s’agit d’une mise en scène.
Suite au meurtre de sang-froid d’un enfant palestinien, la chute est vertigineuse. Le mur de séparation, la colonisation sauvage, l’emprise des religieux, la loi d’État-nation, le CRIF complice… et maintenant le pousse au crime, Trump ! Le président Macron admire naïvement la start-up nation tout en prenant des gants avec ses Juifs facilement froissés. Le CRIF lui a fait comprendre qu’Israël c’est un peu leur Vatican. La gauche juive française ? « Rantaplan ». Outre-Atlantique, elle est très forte, 120 grands professeurs ont appelé au boycott de tout ce qui vient des colonies. JStreet est puissant. En Israël ? La gauche laïque et démocratique est anémique. Les messianiques veulent rétablir la prière juive sur le Mont du Temple, troisième lieu saint de l’Islam !
Les immigrés français donnent des interviews. Ouais, ma cousine a été agressée. Hein, la boulangère m’a regardé de travers. Des touristes israéliens demandent s’ils seront en sécurité sur les Champs-Élysées. Ça ricane dans la salle. C’est un thème qui plaît. Les Juifs exagèrent. Soixante-dix ans depuis la dernière extermination et ils en imaginent déjà une nouvelle à l’horizon. Ce sont eux, avec leur État juif, qui ne respectent pas le droit des minorités. Annexion. C’est tout ce qui les intéresse aujourd’hui. Eh ben, mon ami Saëb Erekat dit, laissez-les annexer, on sera les maîtres ici.
Les questions deviennent punitives. Si on faisait un vrai boycott? Ah, répond le franco-israélien, c’est compliqué. Le houmous « libanais », fabriqué dans les colonies, est moins cher que celui que j’achète à Jérusalem ! On rit jaune dans la salle. Vous êtes européen, non ? Alors, exigez qu’on coupe les subventions à l’Autorité palestinienne, bon sang, et ce sera à Israël de payer !
Les sionistes ne sont bons qu’à pleurnicher
Pas d’espoir du côté Bleu/Blanc? Bof ! C’est plein de likoudniks fâchés avec Benjamin Netanyahou. Puis, il ajoute, avec un sourire malin — il y a une histoire de jupe. Sordide. Vous voulez que je raconte ? Grondement de désir dans l’assistance. Oui ! Ils veulent. Bon, d’accord, et il finit en beauté avec l’histoire d’un responsable qui prend des photos sous la jupe d’une collègue. Il est enfin licencié. Puis elle est limogée.
La boucle est bouclée. Les sionistes pleurnichent, on veut m’exterminer, en profitent pour saisir les biens des autres, les territoires, maltraitent les habitants légitimes qui résistent, on les écrase, sales terroristes, tous ces coups bas finissent par saloper leur soi-disant démocratie, à force de refuser la solution à deux États ils vont finir noyés dans un État de Palestine et bien fait pour leur gueule.
Ce pourquoi, en 2020, l’ancien correspondent de France 2 à Jérusalem nous sert les restes du « reportage » Al-Dura. C’est la clef de voûte de son récit. D’un côté, pas de proposition généreuse à Camp David, de l’autre côté les atrocités commises sous prétexte de résister à l’Occupation, et au milieu un flot de reportages tendancieux dans le but avéré de montrer la méchanceté des Juifs israéliens. Le traiter de propagateur de fake news serait un compliment.
Ce pourquoi on répète « enfant palestinien tué par des soldats israéliens mort dans les bras de son père. » On ne voit rien de cela dans la vidéo, ce n’est pas dans les rushes, c’est hors de l’espace-temps, sans avenir, devenir, corps ou profondeur. C’est une accusation terrible. Faut-il croire son auteur sur parole ?
Source: Causeur. 19 février 2020
Ecrivaine et journaliste américaine, Nidra Poller vit à Paris où elle est traductrice, romancière, auteur d’ouvrages illustrés pour la jeunesse, et correspondante de plusieurs publications et de sites Web d’information en langue anglaise .
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