Louis Imbert. Yad Vashem embarrassé après le Forum mondial sur l’Holocauste

Un récit politisé de l’histoire de la seconde guerre mondiale, au profit de la relecture nationaliste des événements par le Kremlin, a poussé l’institution mémorielle à présenter des excuses.

Vladimir Poutine et Meir Lau, président du mémorial de Yad Vashem, lors du Forum mondial sur l’holocauste à Jérusalem, le 23 janvier. ABIR SULTAN / REUTERS

LETTRE DE JÉRUSALEM

Annette Wieviorka

L’historienne spécialiste de la Shoah au CNRS Annette Wieviorka en avait été « stupéfiée ». Durant le Forum mondial sur l’Holocauste, qui se tenait le 23 janvier à Jérusalem, une série de vidéos avaient été diffusées au mémorial de Yad Vashem, en présence d’une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement. Censées résumer le déroulé de la seconde guerre mondiale, ces images donnaient un récit tronqué et politisé de l’histoire, tendant à présenter l’Union soviétique comme le seul vainqueur du conflit. Un récit proche de celui qu’en ferait le président russe, Vladimir Poutine, présent à Jérusalem, quelques minutes plus tard en tribune.

Yad Vashem, institution mémorielle, centre d’archives et de recherche fréquenté par des historiens du monde entier, a fini par présenter des excuses. Dans un geste rare, le directeur de son institut de recherche sur l’Holocauste, Dan Michman, a publié, le 3 février, une tribune dans le quotidien Haaretz. Il y déplorait « un certain nombre d’erreurs qui ont eu pour résultat une présentation partiale et déséquilibrée des faits historiques ».

« Vision poutinienne »

L’institution regrette que ces vidéos aient négligé de mentionner le partage de la Pologne entre l’Union soviétique et l’Allemagne nazie, en 1939, et l’occupation allemande de l’Europe orientale en 1940. Mêlant erreurs factuelles et biais idéologique, elles montraient un tracé incorrect des frontières de la Pologne et de ses voisins, négligeaient de mentionner l’Ukraine et désignaient improprement des camps de concentration comme des camps d’extermination.

« C’était une vision poutinienne de la seconde guerre mondiale, qui commençait par l’invasion de la Russie soviétique par l’armée allemande. On en retirait l’impression que les Soviétiques avaient libéré les camps de Majdanek et de Treblinka, sans que rien souligne que ces camps étaient vides, ayant été évacués dans les mois précédents par les Allemands. C’était en dissonance totale avec la rigueur historique dont fait habituellement preuve Yad Vashem », déplore Mme Wieviorka, qui accompagnait à Jérusalem le président français, Emmanuel Macron.

Si Yad Vashem les juge « regrettables », ces erreurs ne sont pas dues au hasard. C’est un homme jugé proche du Kremlin par plusieurs responsables israéliens, l’homme d’affaires russe Moshe Kantor, qui a en bonne part organisé et financé cet événement. Le fondateur du Forum mondial de l’Holocauste avait convaincu Yad Vashem et la présidence israélienne d’accueillir sa cinquième édition, à quelques jours du 75anniversaire de la découverte du camp d’extermination nazi d’Auschwitz par les troupes de l’Armée rouge.

Yad Vashem n’est pas une institution politique, et la présidence israélienne a pu s’estimer satisfaite d’accueillir le plus vaste rassemblement de chefs d’Etat de l’histoire du pays, sans porter un œil très politique sur son contenu. Le gouvernement israélien, pour sa part, n’avait d’autre souci que le cycle d’élections permanentes dans lequel Israël s’est embourbé depuis avril (deux scrutins législatifs ont eu lieu en 2019, le troisième est attendu le 2 mars). Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est contenté de saisir l’occasion du sommet pour afficher sa proximité avec M. Poutine, faisant valoir sa stature internationale d’homme d’Etat.

Contre-récits nationaux

De son côté, le président russe arrivait en Israël avec un objectif clair : y obtenir une validation tacite de sa relecture nationaliste de l’histoire de la seconde guerre mondiale. Par cet activisme mémoriel, il rivalise avec plusieurs pays d’Europe centrale (Pologne, Hongrie, Ukraine, Lituanie), porteurs eux aussi de contre-récits nationaux de la guerre.

Cette concurrence avait conduit le président polonais, Andrzej Duda, à renoncer à se rendre à Jérusalem. Il déplorait de ne pouvoir répondre en tribune au discours de M. Poutine. Lors de la commémoration à Auschwitz de la découverte du camp, le 27 janvier, il avait dénoncé la proximité de M. Kantor avec le Kremlin, et estimé que le contenu présenté à Jérusalem était prosoviétique.

En juin 2018, déjà, d’éminents historiens de Yad Vashem s’étaient élevés contre une distorsion de l’histoire approuvée par le gouvernement israélien, cette fois-ci en faveur de la Pologne. M. Nétanyahou était alors soucieux de se rapprocher des gouvernements nationalistes du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République Tchèque et Slovaquie), qu’il considère comme moins hostiles aux intérêts israéliens au sein de l’Union européenne. Pour cela, il avait adopté une déclaration commune avec le gouvernement polonais, qui masquait la collaboration de Polonais avec l’occupant nazi durant la seconde guerre mondiale.

Le gouvernement israélien avait pourtant affirmé avoir consulté un responsable de Yad Vashem sur ce texte. La communauté locale des historiens cherche encore à connaître son nom, qui n’a pas été publié. Le ministère des affaires étrangères a rejeté un appel en ce sens il y a quelques mois, citant « la crainte de nuire aux relations étrangères israéliennes ».

Source: Le Monde 10 février 2020.

Luois Imbert

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