Sarah Cattan. « Vous, les Juifs », me dit-il

J’avais avec cet « ami Facebook » des relations de confiance. D’estime. Je l’avais publié sur TJ une ou deux fois : je le trouvais intéressant, un brin provocateur, mais solide dans son argumentaire. Nous l’appellerons ici « Lui« .

J’ai commencé à le trouver de fort mauvaise foi lorsque, récemment, j’ai publié la réaction de Robert Badinter, indigné qu’il était de voir la tête du Président sur des piques.

Logiquement, le débat aurait dû s’engager sur les raisons et le sens de cette violence inédite, mais non : Lui, escorté de deux ou trois acolytes, ne voulait voir qu’une chose : Badinter était un Juif de Cour. Et d’ailleurs, son abolition, ne faudrait-il pas revoir la chose, poursuivait un de ses amis, lequel n’avait pas, le pauvre, compris que le principe-même ne pouvait souffrir d’une exception quelle qu’elle fût. Bref: Ce fut la fête à Badinter. Etrangement.

Quelques jours après l’anniversaire de la libération d’Auschwitz, mes drôles d’oiseaux remontèrent au créneau. Surtout le premier donc. Vous savez? Lui.

Il prétexta cette fois un court papier où je faisais mention du documentaire « Les Passeurs de Mémoire » réalisé par Claude Bloch, psychiatre de son état.

Et il m’apostropha ainsi :

  • Lui: Je vais te dire un truc, Sarah, qui va certainement agacer certains de tes amis, mais peu importe. Il faudrait faire un sondage dans la communauté juive de France, en lui posant une question toute simple : « Quels sont les pires camps de concentration au monde en 2020 ? » Et on se rendrait très vite compte que personne n’en sait rien. Alors, on tiendrait la preuve que le devoir de mémoire ne sert à rien, car il est incapable de voir le présent, et que les grandes déclarations sur le fait qu’Auschwitz regarde toute l’humanité sont du bluff. La réponse est : les camps de Corée du Nord, où la vie n’a rien à envier à celle des camps nazis en termes d’horreur absolue.
  • Moi : Certains de mes amis ? Mais tu sais quoi ? Moi aussi. L’un n’efface pas L’Autre. Et pour moi, je le dis et te l’écris ici : la Shoah est L’indicible. Pourquoi établir un hit-parade ? Si vraiment tu y tiens, alors, la première place, d’évidence, revient à la Shoah. Mes « amis » ont-ils ici, une fois, nié toutes les autres horreurs que tu cites ?
  • Lui : Dans le discours officiel, le devoir de mémoire sert à ce que ça ne se reproduise plus jamais. Or, ça se produit, en ce moment même.
  • Le réalisateur s’en mêla : Sarah Cattan je suis d’accord. Se souvenir de ce qui a été n’empêche en rien, ou ne devrait pas empêcher de garder les yeux ouverts et d’être lucide sur les atrocités de notre temps. C’est même lorsque qu’on a la mémoire du long terme que l’on peut saisir le mieux les Maux du présent. Et oui, il y en a un paquet !
  • Lui : « Ne devrait pas empêcher » « Ne devrait pas, en effet ».
  • Moi : Oui. Et dis-nous : que faut-il faire ? Ne plus parler de la Shoah ? Non tu ne vas pas me dire ça. Qui, ici, nie les atrocités autres ?
  • Lui : On ne peut pas nier ce qu’on ne connaît pas. On ne peut pas connaître ce à quoi on ne s’intéresse pas. En soi, ça ne me dérange pas : personne ne demande aux juifs de tout savoir sur tous les camps de la planète. Simplement, l’idée que le devoir de mémoire est une vigilance à usage universel est fausse. C’est tout.
  • Moi : Pourquoi demander « aux Juifs » ???? Et pas à « tous »? Qui a imposé quoi que ce soit ? Moi, toute seule, comme une grande, la Shoah m’a « arrêtée ». Il se trouve que j’étais juive.  Mais je connais multitude de non-juifs qui pensent comme moi. Que la Shoah est, comme l’a dit Claude Lanzmann, « l’extermination de masse, qui imposa aux Juifs et Juives d’Allemagne l’adjonction d’un prénom supplémentaire, le même pour tous, Israël pour eux et Sarah pour elles. » Je m’appelle Sarah
  • Lui : Sarah Cattan Parce que ce sont les juifs qui exigent que la Shoah soit considérée comme universelle, et qui demandent à l’humanité de se souvenir avec elle. Lanzmann était un collabo notoire du régime nord-coréen, justement. Il est, par excellence, la preuve que la mémoire de la Shoah ne rend pas du tout vigilant sur la souffrance humaine.
  • Moi : Les Juifs ? C’est qui, « Les Juifs ? »

Certains lui rappelèrent que les juifs n’exigeaient rien… Que c’était l’humanité qui l’exigeait… D’autres demandèrent si en Corée du Nord on gazait les enfants. Si on les brûlait. D’aucuns s’offusquèrent de ces comparaisons où tout valait tout.

Mais un ses amis vola à son secours et lança : Très bonne remarque. J’ajouterai que si nous prenions, parce que concernés et oh combien, la tête d’une action de mémoire contre tous les crimes de masse de l’esclavage aux guerres de religion en passant par le goulag, la Syrie, les khmers rouges, les arméniens, si nous pouvions créer un collectif et en être à l’initiative, ça fermerait la porte à la Mise en concurrence mémorielle si coupable de frustrations dangereuses. Sic.

Moi, je gardais en mémoire la question posée par Irène Saya dans Revue d’Histoire de la Shoah[1], lorsqu’elle se demandait comment les élèves de terminale intégraient les connaissances acquises sur la Shoah lorsqu’ils abordaient la philosophie, et comment le prof de philo s’en sortait, parlant de la destruction de l’homme à l’état de chose, et introduisant alors forcément le doute quant à la pérennité d’idées philosophiques qui ne pouvaient qu’en sortir … à tout le moins … ébranlées.

La même avait rappelé que Georges Bensoussan nous avait fait prendre conscience que la Shoah n’était pas une histoire juive, ni même une histoire allemande, mais une histoire humaine.

Bensoussan qui répondait dans Le Figaro, la semaine dernière, Que La Shoah constituait une rupture dans l’histoire humaine. Que la diabolisation du Juif avait abouti à cette ontologie du mal qui décrétait qu’un peuple était en trop sur la terre.

Allons. Pour alléger mon propos, je m’en vais tout de même vous citer cette anecdote racontée sur le fil : Une amie : une Amie… je répète :  » une Amie »… pleine de sollicitude… et qui ne me veut que du bien… qui souhaite « me protéger  » … qui est scandalisée … et ne comprends pas cette montée de l’antisémitisme…alors cette amie me conseille  » d’enlever cette chose que j’ai à ma porte et qui est une provocation  » et  » de mettre cette chose à l’intérieur, car les voisins n’ont pas à savoir ainsi … qui tu es « ….


Et puis cette autre:  » Hôpital St louis oncologie. Elle cherche sur sa liste mon Endocrino, Cohen. Elle ne trouve pas celle-là et là elle me dit avec un regard entendu: Vous savez, chez les médecins, les Cohen, il y en a énormément. Le tout en levant les yeux au ciel.

[1] 2010/2 (N°193), pages 263 à 288.

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13 Comments

  1. Rien n’est pire que les « réseaux sociaux », Facebook le premier, comme repère de trolls malfaisants. Dont certains sont des machines, programmés pour la propagande voire la rupture d’une propagande adverse.
    Et quoi qu’il en soit, des échanges Facebook, surtout avec des anonymes (qui se cachent souvent derrière des pseudos), ne permettent aucune conclusion sur des états d’esprit du grand public.
    Quel est donc l’intérêt d’informer sur des échanges Facebook ? Laissons ce cloaque où il est. Il y’a TOUJOURS mieux à faire que trainer là-dedans.

  2. Oui la Shoa constitue une rupture dans l’histoire de l’humanité. Lorsqu’on disait à Hanna Arendt en parlant des Nazis  » Ce sont des monstres », elle répondait avec tellement de justesse:  » Non ce sont des humains »… et c’est justement cela qui est scandaleux et qui nous relie tous, êtres humains de toutes les époques dans la terrible vérité de ces horreurs que malheureusement nous sommes capables de faire. L’humanité n’est pas acquise, elle se travaille, elle se partage et s’apprend… c’est la leçon. Voilà pourquoi la Shoa est l’horrible exception.

  3. Je ne comprends pas,qu’après toutes ces années, après tous ces commentaires de
    « la plus haute tenue intellectuelle »!!!, personne ne veut comprendre que l’antisémitisme ne disparaît pas avec des raisonnements si argumentés qu’ils soient!!
    C’est une perte de temps et d’une grande naïveté que s’imaginer convaincre l’ennemi!

  4. Si j’annonçais à LUI, qui aurait pu être mon ami, que je m’apprête à prendre l’air pour Israël, il me dirait certainement : Ah, tu t’en vas dans ton pays !
    Ils sont nombreux ceux qui sont nés tortueux et qui à force de persévérance en viennent à se pénétrer, non sans mal, d’un semblant d’humanité.
    Plus la réflexion est sophistiquée, plus le mystère s’épaissit..

  5. Lui peut-être tout un chacun et sans aucun doute peut faire partie de mes amis(ies) car j’entends souvent parmi ceux-ci « des vertes et des pas mûres » comme ont dit !!! Merci Sarah !

  6. Je ne crois pas que le sujet des camps nazis se posent en terme de comparaison avec d’autres camps actuels.
    Sarah Catan fait à mon avis une erreur en débattant sur ce terrain.
    À mon sens, les camps nazis donnent aux Juifs la plus puissante référence d’un avant et d’un après, pour maintenir les générations suivantes en état d’alerte sur la perspective de l’existence d’autres camps pour qui que ce soit Juifs ou pas Juifs. Humains ou animaux.
    La question serait donc : est-ce que les juifs plus sensibles que d’autres par la sédimentation de leur souffrance du passé, remplissent leur rôle tels des lanceurs d’alertes sur l’existence d’autres camps version 2.0?
    je pense que la réponse est non.
    Est-ce que les juifs s’émeuvent des camps concentrationnaires en Corée du Nord ou dans d’autres pays exotiques ? non plus.
    Est-ce que les juifs s’émeuvent des camps concentrationnaires des animaux destinés à la consommation, dont le modèle rappelle étrangement celui des camps nazis ? encore non.
    les juifs dans leur ensemble se sont empâtés et endormis sur leur souffrance du passé et en détournent parfois le sens comme cette anniversaire spectacle ridicule à Jérusalem à l’occasion du 75ème anniversaire de la libération du camps d’auschwitz.

  7. Je ne crois pas que le sujet des camps nazis se posent en terme de comparaison avec d’autres camps actuels.
    Sarah Cattan fait à mon avis une erreur en débattant sur ce terrain.
    À mon sens, les camps nazis donnent aux Juifs la plus puissante référence d’un avant et d’un après, pour maintenir les générations suivantes en état d’alerte sur la perspective de l’existence d’autres camps pour qui que ce soit Juifs ou pas Juifs. Humains ou animaux.
    La question serait donc : est-ce que les juifs plus sensibles que d’autres par la sédimentation de leur souffrance du passé, remplissent leur rôle tels des lanceurs d’alertes sur l’existence d’autres camps version 2.0?
    je pense que la réponse est non.
    Est-ce que les juifs s’émeuvent des camps concentrationnaires en Corée du Nord ou dans d’autres pays exotiques ? non plus.
    Est-ce que les juifs s’émeuvent des camps concentrationnaires des animaux destinés à la consommation, dont le modèle rappelle étrangement celui des camps nazis ? encore non.
    les juifs dans leur ensemble se sont empâtés et endormis sur leur souffrance du passé et en détournent parfois le sens comme cette anniversaire spectacle ridicule à Jérusalem à l’occasion du 75ème anniversaire de la libération du camps d’auschwitz.

  8. Petit témoignage de droitard: nos milieux sont littéralement pourris par les antisémites de carnaval (la plupart farouchement catholiques, Friedrich Nietzsche se serait régalé avec eux), des Jean-RSA 88 nostalgiques des mouvements fascistes des années 30, qui étalent leurs vies misérables sur les réseaux sociaux en pleurnichant et en remettant sempiternellement leurs échecs sur le dos des Juifs.
    Les Soral, Dieudonné, de Lesquen, Bourbon, le Lay et autres entretiennent ce mythe du sionisme dirigeant le monde, négligeant le fait que le sionisme a déjà gagné puisqu’ Israël existe, utilisant le Juif comme bouc émissaire de l’immigrationisme que nous ne devons qu’au patronnat catholique. Ces gens capitalisent sur le ressentiment des petits blancs et, sans surprise, traînent derrière eux tout ce que les antisémites arabes – pas assez antisémites pour attaquer un checkpoint de Tsahal, mais assez pour s’en prendre au malheureux Juif qui porte une kippa dans la rue.
    Je dois avouer que j’ai souscrit à ces thèses, et j’en ressens une profonde honte. Honte de m’être fait berner par ces imbéciles, honte d’être passé pour un abruti à maintes reprises en accusant les Juifs de tous les maux. Je suis un Européiste identitaire et je pense que nous, Européens de sang, devons nous associer avec les Juifs lucides (c’est-à dire pas les BHL, les Enthoven et les Glucksmann) pour lutter contre cette tendance, contre ce qu’elle représente et ceux qu’elle drague dans son passage.

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