La volonté de défaire la ville hante tous les programmes municipaux, à Paris et dans la plupart des métropoles. L’un veut planter une forêt à la place de la Gare de l’Est, l’autre entend faire de la capitale un immense vélodrome.
La civilisation bourgeoise, au sens étymologique, semble bien vouée à la disparition. Si ce n’est la civilisation elle-même, identifiée par des villes, Babylone, Jérusalem, Athènes, Rome, Byzance, dans l’Antiquité, puis la Renaissance, par Venise et Florence, jusqu’à l’apogée urbaine, le temps des grandes capitales de l’Europe, Londres, Paris, Vienne, Berlin, Saint-Petersbourg, et celui des villes extraordinaires du Nouveau Monde, New-York, bien sûr.
J’avoue que les voyages m’ont rarement mené vers les grands espaces, même si je regrette de n’avoir pas vécu le temps des ports et des gares, des transatlantiques et de l’Orient Express. Par force, nous volons de ville en ville, quand les voyageurs d’autrefois voyaient changer les paysages et les cieux.
La civilisation bourgeoise a triomphé au XIXème siècle d’une ancienne noblesse fondée sur la terre, le cheval de guerre et l’épée. Le bourgeois n’a eu de cesse de rechercher le confort dans ses déplacements, préférant le siège du fiacre à la selle, il a ensuite mécanisé les transports. Ce qui, entre autres avantages, lui permettait de ne point trop froisser les robes et les costumes et d’arriver à destination avec des chaussures bien cirées plutôt que des bottes crottées.
La ville était le lieu de l’élégance, démocratisée, surtout à Paris, par la multiplication des commerces sur ces fameux boulevards que le prolo arpentait endimanché.
La modernité nous renvoie sur des engins qu’il faut enfourcher, vélos et scooters envahissent la ville, contribuant avec l’obligation sportive à la dégradation du vêtement urbain.
Nous vivons au milieu de gens uniformément vêtus par une industrie de tissus artificiels, faite de résidus pétrochimiques, dont l’effet écologique est un désastre planétaire, associé à l’exploitation sauvage de la main d’oeuvre.
Or ces gens habillés pour le vélo exigent une ville réservée aux cyclistes, sans plus de considération pour leur contribution à la destruction des fleuves de l’Asie et à la pollution marine autant qu’aérienne générée par le transport de leurs fringues.
Les anciennes tenues bourgeoises étaient fabriquées à Paris, avec des laines du Nord et des soieries de Lyon, des teintures de la Drôme, des gants de Millau, des chaussures de Romans. Des produits naturels !
Le nouveau bourgeois, avec son blouson de nylon et ses baskets d’on ne sait quoi, se veut écolo, puisqu’il circule, au mieux sur un vélocipède, au pire sur un scooter quand ce n’est pas une trottinette électrique.
Son mode de transport l’a dépouillé de la politesse élémentaire, il se comporte comme un ruffian, méprisant le piéton autant que l’automobiliste.
Quand il descend de sa monture, il est reconnaissable, au cinéma comme au café, par les odeurs de transpiration qu’il dégage en ouvrant son blouson.
Vieux flâneur de Paris, je suis las d’être bousculé sur les trottoirs, de risquer la collision quand je traverse une rue, le cycliste n’ayant que mépris pour les passages piétons et même pour les feux rouges.
Et je doit supporter en outre la laideur du vêtement sportif et les désagréments olfactifs qui en émanent.
Comme je regrette les cafés enfumés de ce Paris pollué et sale où je suis né ! A tel point que je me réfugie le plus souvent possible à la campagne, et bien sûr, je m’y rends en voiture automobile à essence.
Né après, du côté de La Place de la Nation, sur la Ligne 9 du métro parisien, sensible Au chic ouvrier, ce qui n’interdit pas l’Eloge de la fourrure et moins encore celui de La France du Tiercé, Guy Konopnicki redoute Le silence de la ville, s’inquiète de La gauche en folie, assume La faute des juifs et avoue avoir un peu évolué depuis Le jour où De Gaulle est parti… Ces titres et quelques autres le définissent, romancier et journaliste, Konop dans la Série Noire et chroniqueur à Marianne.
Magnifique monsieur Konopnicki.
Je suis bien d’accord avec vous. Où est ce Paris que nous avons connu?
Comme une photo en noir et blanc de Robert Doisneau.
ROSA