EXCLUSIF – Le chef de l’État a reçu Le Figaro à bord de son avion présidentiel jeudi. Il a réagi aux violences qui gangrènent le pays.
«Je vous préviens, le président est fatigué». Cet avertissement d’un conseiller élyséen est suffisamment rare pour être souligné. Et pourtant. Au terme d’une visite mouvementée de 48 heures à Jérusalem, c’est un Emmanuel Macron particulièrement détendu qui est apparu jeudi soir.
Dans la vaste salle de réunion de son avion présidentiel, où il reçoit trois journalistes dont Le Figaro, le chef de l’État a tombé son traditionnel costume bleu nuit et sa chemise blanche pour enfiler un polo et un gilet à l’effigie de la «French Tech». «C’est sa tenue préférée pour voyager. Il met ça presque à chaque fois», confie un proche qui l’accompagne sur presque chaque déplacement… Mais qui n’a jamais compris les raisons de cette drôle d’habitude.
Une fois installé, le président se laisse glisser dans l’un des épais fauteuils en cuir qui meublent la pièce. «Qu’est-ce que vous voulez prendre?», interroge-t-il, tandis que son whisky à lui est déjà posé sur la table.
Il a troqué son traditionnel costume sombre contre un gilet bleu moins habituel. Dans l’avion qui le ramène à Paris jeudi 23 janvier au soir, après 48 heures passées en Israël, Emmanuel Macron tient à relâcher la pression. Du moins en apparence. Alternant entre un verre de whisky et quelques gorgées d’eau, le président se laisse glisser dans l’un des épais fauteuils de la salle de réunion de l’Airbus A330. Entre une réunion d’équipe et un dîner avec des parlementaires, le chef de l’État accepte de revenir longuement sur plusieurs grands axes de sa présidence. Il livre notamment sa vision de la politique mémorielle et avance quelques pistes sur les rendez-vous qui l’attendent dans les prochaines semaines.
La guerre d’Algérie peut avoir «le même statut que ce qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995″
● La guerre d’Algérie peut avoir «le même statut que ce qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995»
Certains stigmates de 2017 sont encore bien présents. «Je suis très lucide sur les défis que j’ai devant moi d’un point de vue mémoriel et qui sont politiques. La guerre d’Algérie, sans doute, est le plus dramatique d’entre eux. […] Je le sais depuis ma campagne», confie Emmanuel Macron. À l’époque, il avait cru bon de qualifier la colonisation de «crime contre l’humanité ». Expression qu’il «ne regrette pas» aujourd’hui, bien qu’il ne l’emploie plus. «J’ai crispé des gens. (Mais) je pense que je les ai ramenés, maintenant dans une capacité à dialoguer», considère-t-il. Désormais, il lui apparaît nécessaire de mettre un terme au «conflit mémoriel» qui «rend la chose très dure en France». «Je n’ai pas la réponse» pour y parvenir, reconnaît-il «avec beaucoup d’humilité», admettant «tourner autour». Pour autant, il en est persuadé: s’il y parvient, ce sujet aura «à peu près le même statut que ce qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995».
«La guerre d’Algérie, c’est ce qui fait la Ve République»
● «La guerre d’Algérie, c’est ce qui fait la Ve République»
Convaincu que la France «ne peut pas» se permettre «de ne pas revisiter cette mémoire» de la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron regrette que seuls les historiens aient pu travailler sur le sujet jusqu’à présent. «On n’en a pas parlé, on a écrasé. […] Il n’y a pas eu un travail politique mémoriel, déplore-t-il. On a jamais fait ce travail, aussi, parce que le problème c’est que la contrepartie n’est pas là». Puis il liste les autres raisons qui complexifient encore un peu plus la situation. «D’abord, il y a une histoire officielle de la relation à l’Algérie. Il y a une histoire d’État. […] C’est une histoire très particulière, d’ailleurs, qui a toujours été au cœur d’une histoire militaire héroïque. C’est ensuite un dialogue très particulier avec l’Algérie. […] Et, ensuite, c’est un traumatisme dans l’histoire d’État. Je veux dire: la guerre d’Algérie, c’est ce qui fait la Ve. […] Et donc c’est, dans la vie institutionnelle, politique, militaire française, quelque chose qui pèse».
La «catharsis» appliquée à la mémoire
● «C’est très dur de faire de la politique quand vous avez encore la justice et l’Histoire qui n’ont pas fait leur travail»
La «catharsis» appliquée à la mémoire. Évoquant le Rwanda, Emmanuel Macron considère qu’il s’agit d’un sujet encore «très jeune». «Ce que je fais avec le franc CFA, et avec la restitution des œuvres, c’est une politique mémorielle avec l’Afrique. Je le fais à rebours de ce qu’on a toujours fait. J’abandonne les oripeaux d’un post-colonialisme», martèle-t-il toutefois, dénonçant le discours «panafricaniste terrible» d’une partie de «l’extrême gauche». Il s’appuie ensuite sur l’exemple rwandais pour théoriser son approche de la politique mémorielle de manière générale. «C’est très dur de faire de la politique quand vous avez encore la justice et l’Histoire qui n’ont pas fait leur travail. La Shoah, on arrive à faire le travail (de mémoire) – c’est pour ça que je pense que 1995 était le bon moment – parce que l’histoire et la justice avaient fait leur travail. (Le travail de mémoire), il vient après les grands procès», explique-t-il.
«On m’a 20 fois demandé un discours sur la laïcité… Mais je l’ai fait 40 fois!»
● «On m’a 20 fois demandé un discours sur la laïcité… Mais je l’ai fait 40 fois!»
La fameuse prise de parole prévue pour le premier trimestre ne se transformera pas en grand discours sur la laïcité. «On m’a, 20 fois demandé un discours sur la laïcité… Mais je l’ai fait 40 fois! Je l’ai fait 40 fois!», s’agace Emmanuel Macron. «La vérité c’est que les gens qui le demandent, parfois, ils […] ne veulent pas parler de laïcité. Ils veulent autre chose. […] Derrière, ce qu’on me demande, c’est au fond de parler sur la civilité républicaine. Oui, et de l’islam. Ce qui est très différent. Ça n’a rien à voir avec la laïcité», poursuit-il. «Le voile, ça n’est pas un sujet de laïcité dans la rue. C’est un sujet de civilité. C’est un sujet d’égalité femmes-hommes. D’ordre public. Et de dire, comment un monothéisme, qui aujourd’hui est en explosion dans le monde, et qui, dans notre pays, s’est fortement développé avec le phénomène migratoire, et arrive après la loi de 1905, peut prendre sa place dans la République. Mais ce n’est pas la laïcité».
Islam et communautarisme
● Il existe un lien entre «la crise que vit l’islam dans le monde» et le «sujet du communautarisme»
Emmanuel Macron est convaincu que les sujets «miroitent» les uns avec les autres, «se touchent» et «se jouxtent». «Ces fractures mémorielles, qui existent dans notre pays, elles se sont écrasées sur du ressentiment économique et social. Et elles se sont écrasées sur de la géopolitique importée. Et elles s’écrasent ensuite sur la crise de fait religieux», entame-t-il. Avant de considérer qu’«on ne peut pas parler séparément de la crise que vit l’islam dans le monde entier, du sujet du communautarisme dans nos pays, de la crise de la civilité républicaine, du sujet de l’échec de la République dans certains quartiers, et de ses problèmes mémoriels». «Les gens me disent: “Vous n’êtes pas à l’aise avec ces sujets”. Ce n’est pas vrai! Je suis très à l’aise avec eux. Je sais qu’ils sont très sensibles et qu’ils miroitent avec d’autres. Parce qu’on voudrait parler de laïcité sans parler de communautarisme, sans parler de civilité, de République, d’immigration…», balaye-t-il.
«Les mères des jeunes filles communautarisées» aimaient la France
● «Les mères des jeunes filles communautarisées», elles sont arrivées «en aimant la France et en n’ayant pas le voile»
«Les quartiers Nord de Marseille» symbolisent à ses yeux l’urgence dans le pays. «Les grands-mères ou les mères de ces jeunes filles qui sont communautarisées, elles sont arrivées à Marseille en aimant la France, et en n’ayant pas le voile. Et donc, il s’est quand même passé un truc chez nous aussi!», en déduit-il. Selon lui, le «phénomène mondial d’un islam radical qui se tend, et d’une transformation de l’islam» s’est «greffé sur des fractures mémorielles (et) des échecs que nous-mêmes, (en France), on a eus sur le plan économique et social». «Et ça devient une contre-culture! Ça devient tout à la fois l’importation d’un islam qui vit une crise mondialement – et qui revisite des signes de religiosité qu’il n’avait pas forcément il y a 20 ou 30 ans. Et qui vient s’agréger à une crise qui est chez nous, très profonde». Preuve de la dimension internationale du fléau: «La Tunisie d’aujourd’hui n’est pas celle de Bourguiba, force est de le constater, y compris dans la rue».
Communautarisme et séparatisme
● «Je serais fou de dire que j’ai la réponse» aux problèmes de communautarisme et de séparatisme
«Je serais fou de dire que j’ai la réponse». Conscient de la gravité du sujet, Emmanuel Macron refuse de certifier que le plan de lutte qu’il annoncera dans le courant du premier trimestre va fonctionner. «J’ai une volonté de traiter le sujet, parce que je suis convaincu que si on ne le traite pas… […] Il faut essayer de dire sans diviser. Il faut accepter, en disant, de parfois bousculer. Mais il faut accepter qu’il y a, dans notre République aujourd’hui, ce que j’appellerais un séparatisme», détaille-t-il. «Le terme de “communautarisme” renvoie à beaucoup de choses», ajoute-t-il, assurant que «dans la République française, il n’y a qu’une communauté qui est la communauté nationale». Il en profite pour régler ses comptes au passage avec tous ceux qui avaient essayé, durant la campagne présidentielle, de le «caricaturer» en un multiculturaliste: ce «n’est pas le modèle auquel je crois», tranche-t-il.
«Moi, j’aime le beau principe de l’intégration républicaine»
● Macron refuse le modèle par assimilation: «Moi, j’aime le beau principe de l’intégration républicaine»
«Il y a une chose dans le multiculturalisme, qui est important, et qu’on doit savoir réussir à faire chez nous: c’est ce que, en élève de Ricœur, j’appellerais la “politique de reconnaissance”. […] C’est la capacité à reconnaître la part d’altérité de l’autre», juge Emmanuel Macron. «La France, par son histoire, et dès son Code civil, a un problème avec cette notion de reconnaissance. Parce qu’elle ne parle pas d’intégration mais d’assimilation», déplore-t-il, accusant «la droite dure et l’extrême droite» d’utiliser cette notion «à mauvais escient». «Moi, j’aime le beau principe de l’intégration républicaine. Parce que l’intégration c’est une volonté de rejoindre la communauté nationale avec ses règles, ses lois, mais aussi sa civilité. Et, de l’autre côté, une capacité à accueillir. Et il y a, derrière cette notion, l’idée que je ne nie pas la part d’altérité de l’autre. Et elle est très importante parce que, d’ailleurs, dans la République, la “mêmeté” n’existe quasiment plus».
«L’identité narrative» de Paul Ricœur
● Plutôt que «l’identité figée» qui «referme trop», Macron préfère «l’identité narrative» de Ricœur
Là encore, certains vieux démons de la campagne ressurgissent. Accusé durant la campagne d’avoir nié la culture française, Emmanuel Macron considère qu’«on a voulu (lui) faire dire, derrière, en déformant, (qu’il) n’aimait pas la culture et qu’il n’y avait pas de culture française». «Ce qui, je crois, est le contraire de ce que je pense», sourit-il. Dénonçant «l’idée de dire qu’il y aurait comme une identité figée avec une vérité qu’il faudrait retrouver ou une nostalgie de cette identité», ce qui «referme trop», il a préféré insister sur «l’identité narrative» théorisée par Paul Ricœur. Et de la définir: «C’est qu’il y a un récit qui se modifie toujours en se frottant à d’autres que soit, à des accidents de l’histoire…» «La France c’est ça!», conclut-il, énumérant: «On a des racines judéo-chrétiennes. On a été laïcards et bouffeurs de curés. On a su réconcilier dans la laïcité. On a une partie de notre société qui est pleinement dans la République – et de confession musulmane ou autre…»
L’antisémitisme
● L’antisémitisme «est une voie de passage» entre l’extrême droite et l’extrême gauche, qui «se touchent»
«Il y a un fait», c’est que l’antisémitisme «vient des extrêmes». «Ça vient des extrêmes et c’est d’ailleurs une voie de passage entre les extrêmes», de droite et de gauche. «Il ne faut pas penser que les extrêmes ne se touchent pas. Je crois, là aussi, que la vie politique est sphérique, et notre histoire à nous-mêmes l’a montré. Donc il y a un moment, quand les extrêmes se structurent, ils finissent par se retrouver et vous avez une boule d’énergie négative qui se retrouve. Et l’antisémitisme est d’ailleurs au cœur de ces jonctions possibles», martèle Emmanuel Macron. Quelques heures plus tôt, jeudi, il avait fait allusion à un «nouvel antisémitisme» depuis Jérusalem. Il a toutefois refusé de se lancer dans une «typologie» ou une «cartographie» des nouveaux visages de ce fléau. Mais il a confirmé que les extrêmes «se renforcent l’un l’autre, qu’ils dialoguent, et qu’à la fin, ils peuvent converger».
Affaire Sarah Halimi: «On ne peut pas, sur ces sujets, décider de s’en remettre uniquement à la justice»
● Affaire Sarah Halimi: «On ne peut pas, sur ces sujets, décider de s’en remettre uniquement à la justice»
«Je vais être très précis, parce que c’est un sujet compliqué». Après avoir relevé, depuis Jérusalem, le «besoin d’un procès » dans l’affaire de l’assassinat de Sarah Halimi, Emmanuel Macron clarifie sa position jeudi soir. Évoquant d’abord la reconnaissance du caractère antisémite du crime, il déclare: «Je crois qu’on ne peut pas, sur ces sujets, décider de nous en remettre uniquement à la justice. Il faut parfois assumer cette caractérisation, dont on estime qu’elle correspond au pays, et que la politique a sa part». Puis il a soulevé «la question de savoir s’il est possible de juger des fous», et il a dit n’être «pas pour qu’on aille dans une judiciarisation de la folie, parce que ça nous amènerait à des choses qui sont, à (son) avis, extraordinairement non-souhaitables». Il dit cependant vouloir «faire évoluer ou clarifier» – sans forcément passer par la loi – «l’idée que le rapport de l’expert ne (puisse) pas préempter la décision finale du juge, même sur ce sujet».
La France n’est pas une dictature
● Si vous croyez que la France est une dictature, «essayez-en» une vraie «et vous verrez!»
Revenant sur la violence qui gangrène la société depuis plusieurs mois, le président rappelle que, «dans une démocratie, on a un devoir de respect à l’égard de ceux qui représentent et portent (la) voix du peuple, parce que, précisément, on a le pouvoir de les révoquer» aux élections: «Aujourd’hui, s’est installée dans notre société, et de manière séditieuse par des discours politiques extraordinairement coupables, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie. Qu’il y a une forme de dictature qui s’est installée. Mais allez en dictature! Une dictature c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois. Une dictature c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c’est ça, essayez la dictature et vous verrez. La dictature, elle justifie la haine. La dictature, elle justifie la violence pour en sortir. Mais il y a, en démocratie, un principe fondamental: le respect de l’autre. L’interdiction de la violence. La haine à combattre. Tous ceux qui, aujourd’hui dans notre démocratie, se taisent sur ce sujet, sont les complices, aujourd’hui et pour demain, de l’affaiblissement de notre démocratie et de notre République».
Source: Le Figaro. 24 janvier 2020. Arthur Berdah
En qualifiant la colonisation de crime contre l’humanité Macron a lui-même soufflé sur les braises du communautarisme. Sans oublier sa formule sur les “mâles blancs” et sa promiscuité avec Yassine Belattar. L’une des grandes raisons du communautarisme c’est le fait que l’Histoire ne soit pas enseignée en France : la plupart des Français ignorent même l’existence de la traite des Blancs et des Noirs pratiquée par les Arabo-musulmans. La traite transsaharienne a fait plus de victimes en Afrique et a été pratiquée d’une manière encore plus atroce que la traite transatlantique. Mais nos écoles et nos universités ne sont que des machines à fabriquer des ignares et l’inculture produit le communautarisme. Autre exemple l’impunité totale des fascistes du PIR, du CRAN, de l’UNEF etc…qui auraient déjà été dissous depuis longtemps si les lois républicaines étaient appliquées. Bref, il ne faut pas compter sur notre classe politique pour venir à bout de ce cancer qui prospère grâce à la nullité de nos médias, de notre système éducatif et de nos dirigeants.