Sarah comme Mireille Knoll et leur environnement ressemblent trait pour trait à ma propre famille: la classe moyenne juive établie à Paris, commerçants, médecins, employés de bureau ou fonctionnaires ne manquant de rien, ayant pour certains des moyens, pour d’autres peu, mais vivant dans de petits appartements et des quartiers populaires éloignés du cœur de ville et d’une vie sociale épanouie et simple comme le commun des gens.
Je m’identifie à elles. Une des trois grandes injustices liées à leur mort, en plus de celle de la cacophonie orchestrée par les avocats des meurtriers et du non jugement, est celle que toute identification du peuple avec elles a été rendue impossible par le pouvoir et les medias qui ne se sont pas attardés sur leur histoire et leur cadre de vie
Sans doute parce qu’il est trop, et heureusement, banal, mai aussi parce qu’il renvoie à l’Occupation et à la Shoah qui reste en France puissamment tabou et est monumentalisée par le narratif mémoriel qui le fige dans “un passé qu’on voudrait révolu”.
Le Père Jacques Hamel, assassiné pendant une messe de semaine…
Si je peux me permettre ce parallèle justifié, il en est de même pour le père Jacques Hamel atrocement égorgé par de jeunes voisins franco-marocains qu’il avait connus enfants et qui l’ont surpris au moment de l’élévation de la coupe pendant une messe de semaine.
La messe de semaine c’est par excellence le moment de la pauvreté quantitative mais de la richesse qualitative; 4 personnes, parfois bien moins, qui ne travaillent pas, retraités, religieuses, parfois une ou deux mères au foyer avec leurs jeune enfant ou un chômeur bénévole de la paroisse, et un prêtre qui célèbre avec simplicité, et en pleine conscience de son acte qui est sacré puisque les personnes concernées, visibles comme invisibles, le sont.
La messe de semaine du prêtre c’est un peu comme le rendez-vous d’une dame retraitée à prendre un thé avec des amies ou garder les petits enfants jusqu’à la sortie des classes ou faire quelques boutiques… C’est un rituel vital essentiel au lien avec soi-même et avec autrui.
La messe de semaine est toujours l’occasion d’apprendre et de partager des nouvelles du quartier, de la santé des gens, d’une manière plus intime que dans le stress dominical. Le père Jacques faisait ce que tout prêtre et tout voisin fait: il sanctifiait le voisinage par le partage de son modeste quotidien.
Il avait été soldat de la France en Algérie et parlait arabe. Il aimait profondément les gens du même amour que Sarah et Mireille dont il suffit de voir le regard pour comprendre de quoi il s’agit. Et, comme prêtre, Jacques Hamel célébrait aussi, d’une manière particulière, le “mystère d’Israël’ qui est l’annonce du salut prophétisé sur Israël pour tous les peuples. Le regard, la vie et les actes de Sarah et Mireille, la bonté du père Hamel annoncent, disent et proclament cela sans hésitation, d’autant que cela a persisté au travers de la haine épaisse qui les avait transpercées comme juives, comme femmes juives et comme françaises juives.
Comme soldat, comme baptisé, comme confesseur et comme français, Jacques Hamel a aussi connu la haine.
Il n’en a pas fait un plat. Quand on voit les dégâts irréversibles qu’elle provoque, on ne peut passer son existence à la cuisiner.
Ce don de la compassion, comme pour Jacques Hamel elles l’avaient reçu à l’école de l’obéissance à l’amour pour les humains. J’ai la chance d’avoir dans ma famille des personnes, certaines toujours de ce monde, d’autres qui ne le sont plus , de cette trempe-là.
Et mon regret est que les héroïnes invisibles je dirais même les héros DE l’invisibles que sont Sarah Mireille et Jacques, n’ont pas été proposés à notre contemplation par les autorités en charge de la mémoire nationale et de sa perpétuation
Ces figures simples qui ont été braves maintes fois dans leur vie, de façon discrète, nous pouvons nos identifier à elles pour reprendre confiance en l’avenir et en nous-mêmes.
Si j’avais un remède à proposer aux gilets aunes , aux jeunes désemparés et aux éternels râleurs français dont je suis, c’est de contempler et de bien réfléchir à la vie de Mireille, de Sarah et de Jacques, et pas seulement sur leur mort, spectaculaire, inexplicable et déroutante pour notre mortelle et faillible raison.
Entre les deux regards, s’il n’en fallait en garder qu’un, ce serait celui de leur vie.
Et je pense que si l’enseignement de l’histoire de la France est aujourd’hui agonisant c’est parce qu’il ne porte plus sur la vie mais sur la mort. Il ne porte plus sur l’à-venir mais sur le passé, plus sur le devenir mais sur le remords
Seul l’instant est “sanctuarisé”. Le “ressenti présent” et l’émotion “virale”. Une abominable nazification des consciences pour fabriquer une génération pulsionnelle. Vers l’acte d’achat immédiat et irréfléchi évidement.
Il faut regarder la vie simple de Mireille, Sarah et Jacques, qui ne militaient pour rien, qui n’avaient rien à vendre, ni idées ni papier, ni épicerie politique, pour comprendre ce qu’est vraiment la France et les français, leurs gloires, leur abandons, leurs peurs, leurs ivresses, leurs génie et leurs vertus, leur art et leur mythes. Leur foi.
Comme Sarah et Mireille, le père Jacques était un français modeste et la presque caricature du petit curé de banlieue ou de campagne (les banlieues d’aujourd’hui sont les campagnes d’hier)
Tous les français, même de la minorité non chrétienne pouvaient se reconnaitre en lui, surtout parmi les plus anciens qui ont connu Fernandel dans Don Camillo et les curés bonhommes et drôlatiques du cinéma des années 50 ou 60.
Le fait que des jeunes l’aient assassiné montre une perte de la “mémoire” historique tout comme le fait que des femmes âgées mais vaillantes, comme le père Hamel actives dans leur quartier et reconnues pour leur gentillesse et leur disponibilité dans des associations de bienfaisance ont été tuées par des personnes qu’elles avaient vu grandir ou dont elles connaissaient les famille ou l’entourage depuis longtemps.
He bien, cette identification des français “populaires” au bon père Hamel et aux ‘bonnes” femmes qu’étaient Mireille et Sarah a été volée par l’hagiographie immédiate des pouvoirs en place, pas seulement politique mais aussi communautaire mais aussi par les medias qui aujourd’hui vendent l’événement en direct comme produit d’appel vers leurs écrans publicitaires et ne se préoccupent pas de tisser le lien entre le public et les personnalités positives assassinées.
Un monde disparait avec ces personnes d’une génération où la virtualité des relations et l’échange n numérique n’existaient pas. On disait bonjour merci bonsoir en entrant dans la boutique et on ne commandait pas tous ses repas par internet. On sortait sous la pluie pour acheter le beurre et cela permettait de prendre des nouvelles des enfants de la concierge, de la santé du chien et de rassurer la voisine en plein divorce. Les nouvelles comme les médisances n les encouragements, se colportaient par gravitation naturelle d’une oreille à une autre, et non de clic en clic.
Et comme le colportage permet de déformer les propos, celui qui vous injuriait voyait son injure réduite par les nombreuses pertes en ligne et celui qui chantait vos louanges aussi et vous rentriez chez vous sans rien apprendre de plus sur vous-même. La fulgurance du clic qui vous transforme en une nuit de débauche virtuelle sans manger ni pisser, en junkie nécromane ou en amant transi sans chair ni repos ne venait pas tourmenter les esprits.
La violence existait mais davantage sur le trottoir et la police appelée à la rescousse ne tardait pas.
Aujourd’hui elle tarde parce que le passage du domaine domestique et privé au domaine public, de l’appartement à la rue se fait en sourdine, dans le calfeutrement de l’intimité moite d’un clavier.
L’adresse postale est devenue une adresse IP
Mireille, Sarah et Jacques et leur famille n’ont pas obtenu pleine justice d’abord parce que les actes sont irréparables. Ensuite parce que leur nature est indicible puisque relevant de la pulsion shoatique. Ensuite leur mémoire a été interdite de mûrir dans l’inconscient collectif. Par exemple l’art et le cinéma ne s’en sont pas emparés. Tout simplement parce que l’art populaire n’existe plus.
On aurait pu faire un beau film, drôle et profond, sur une famille juive à Paris, sur le drame, sur tout ce que ca implique sur la société quotidienne de ces gens. On ne l’a pas fait. Pourquoi? D’abord parce qu’il n’y a plus de cinéma de fiction français. Ensuite, on ne sait plus styliser la douleur le plaisir, le courage, la vilenie ou le crime et le burlesque est parti en exil , découragé par la pornographie éthique des intellectuels et la dictature obscène de la “transparence” et de l’art-messager.
Enfin , les français sous-informés sur l’essentiel, càd les faits et gavés de commentaires fastidieux et artificiels et de phrases creuses qui cachent l’impuissance des états e des élites à se comprendre et à s’exprimer (l’illettrisme des cadres et des responsables est terrifiant) sont privés de toute identification avec des modèles non marchands : si Arletty existait aujourd’hui, il faudrait qu’elle soit une égérie écologique? Si Joséphine Baker revenait, elle devrait être le porte-drapeau de la cause anticoloniale ou une icone du féminisme protestataire spéciste et “vaginiste” et adieu son ceinturon-bananes!
Bref… J’adresse aux familles de Jacques Hamel, Mireille Knoll et Sarah Halimi mes pensées fraternelles et amicales et je les assure de toute ma compassion. Je sais qu’elles ont la force de transcender leur douleur par l’amour reçu de leur disparu et de ne pas écouter les vaniteux scribouillards comme moi.
Je déplore seulement qu’au nom de l’émotion passagère instantanée et payante, les intelligences chargées d’incarner et d’exprimer la mémoire nationale oublient le peuple qui a fait naître, grandir et connaître ces personnes, qui leur ont permis de se déployer et qui, après leur terrible mort, aurait du avoir droit; en leur nom, à ce que leur plaque, leur souvenir, leur mémoire populaire ne soit pas souillée par le déni, la vacuité médiatique et l’humorisme obscène et douteux des radios “populaires” du matin qui édulcorent la terreur heure par heure et effacent leur souvenir seconde par seconde.
A ces nobles et bonne figures du peuple français qui ne demandaient rien et ne parlent plus qu’à travers leurs enfants et les nôtres: merci!
Jean Taranto le 6 Janvier 2020, en le jour de la Visitation des prêtres-mages à Bethléem en Judée.
“Enfin les Français sous-informés sur l’essentiel, cad les faits et gavés de commentaires fastidieux et artificiels…l’illettrisme des cadres et des responsables est terrifiant” c’est tout à fait exact. Merci pour cet article. Et merci à TJ d’offrir à ses lecteurs (beaucoup trop peu nombreux)une source d’information de qualité, aux antipodes du vent de crétinisme qui souffle sur la société française.
Merci pour cet article très juste, qui donne un regard plus profond et humain sur ces trois personnes.