Isaac Franco. « Derrière les aboiements, un régime aux abois »

L’inhumation de Qassem Soleimani a été reportée après une bousculade qui a causé la mort d’une quarantaine de personnes ce matin 7 janvier à Kerman

Les erreurs d’appréciation coûtent cher au Moyen-Orient. Qassem Soleimani, le patron de la force Al Quds, bras armé des Corps des Gardiens de la Révolution à l’extérieur des frontières de la République islamique, maître d’œuvre de l’intervention iranienne en Syrie pour le compte du président Assad, architecte des réseaux pro-iraniens en Irak, au Yémen et au Liban, véritable numéro 2 du régime, homme-orchestre tout à la fois ministre des affaires étrangères et de la défense, chef du renseignement et chef d’Etat-major, fils spirituel du « guide de larévolution » Khamenei et potentiel successeur du président Rohani aux élections de 2021, ne risque plus d’en commettre.

C’est en effet une chose de saboter quelques tankers au large du détroit d’Ormuz, abattre un drone de dernière génération US ou lancer une attaque sophistiquée contre les installations pétrolières saoudiennes.

Le siège de l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad en est une autre. Une toute autre même de l’organiser après avoir négligé de tirer les enseignements des représailles américaines contre cinq camps de la milice pro-iranienne Kataib Hezbollah des deux côtés de la frontière syro-irakienne consécutives à l’attaque menée par cette même organisation contre une base des Etats-Unis du nord de l’Irak ayant provoqué la mort d’un civil et blessé quatre soldats.

L’erreur d’appréciation de Qassem Soleimani

Avec un président américain notoirement aussi réfractaire au recours à la force armée en particulier dans une année électorale, la ligne rouge à ne pas franchir était celle de s’en prendre directement à des vies ou à des intérêts américains de surcroît aussi symboliques que son ambassade.

C’est cette erreur d’appréciation que Qassem Soleimani paiera de sa vie à l’aube du 3 janvier dernier. Et avec lui périront aux abords de l’aéroport international de Bagdad une dizaine d’autres terroristes d’envergure dont Abu Mahdi al-Muhandis, chef du Kataib Hezbollah déjà cité, organisation membre des Forces de Mobilisation Populaires mises en place en Irak par Soleimani pour le compte de l’Iran, et le numéro 2 du Hezbollah libanais qui lui doit, lui aussi, aussi son existence et sa dangerosité…

C’est que le souvenir des 52 membres de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran pris en otage en 1979 pendant 444 jours a laissé des traces profondes dans la psyché de l’Amérique, singulièrement dans celle d’un président qui a fait de son imprévisibilité une marque de fabrique et un atout politique.

Dès lors, Donald Trump ne pouvait, cette fois, se retenir de réagir. Pour envoyer le message, volontairement loud and clear, qu’il fallait encore compter avec les Etats-Unis dans la région, d’abord. Et aussi, parce qu’il ne pouvait, 40 ans plus tard, être question pour cette administration de se laisser à son tour humilier et de passer pour aussi impuissante que celle du démocrate Jimmy Carter, ou aussi lâche que celle, démocrate encore, de Barack Obama et de sa Secrétaire d’Etat Hillary Clinton qui, en 2012, avait laissé assassiner son ambassadeur en Libye et quatre agents de sécurité sanslever le petit doigt.

Il faudra du temps à l’Iran pour trouver le substitut d’un homme charismatique au génie aussi malfaisant

On le sait, les hommes meurent mais les idéologies leur survivent. Qassem Soleimani sera donc remplacé comme l’ont été avant lui le chef d’Al Qaïda Oussama Ben-Laden, le « calife » de l’Etat islamique Abou Bakr al-Baghdadi, les patrons du Hamas Ahmed Yassin et Abdel Aziz al-Rantissi et celui du Jihad islamique à Gaza Baha Abu al-Ata, ou encore l’artificier du Hezbollah libanais Imad Mugniyeh.

Mais il faudra du temps à l’Iran pour trouver le substitut d’un homme charismatique au génie aussi malfaisant. Entretemps, on hurle à la vengeance, on s’égosille dans les rues et les palais en promettant l’Armaggedon, mais les options réalistes font défaut à une République islamique désarçonnée par un coup d’éclat auquel nul ne s’attendait, étranglée par les sanctions américaines et désormais aux abois.

Avaler l’affront sans aucune réaction est impensable, sauf à risquer de perdre la face et de son pouvoir d’intimidation à l’intérieur de ses frontières comme partout dans la région où la présence et l’influence encombrantes de l’Iran suscitaient déjà bien des réactions violentes dans les rues.

Et tout aussi inenvisageable est l’option d’un conflit ouvert de type classique avec la superpuissance américaine très largement au-dessus de ses moyens et capacités.

Reste la voie déjà entreprise du retrait des troupes « étrangères » d’Irak à la demande d’un gouvernement sous tutelle iranienne, et celle, étroite, de la guerre asymétrique et, à n’en pas douter, violente, dont peu d’actions toutefois ne restaureront l' »honneur » bafoué par l’humiliation de la perte de son Joker, hors l’élimination d’une figure équivalente de l’ennemi, une option qui signerait la fin du régime et celle, physique, du « guide suprême » qui sait désormais ce qu’il pourrait lui coûter de forcer encore la main du « Grand Satan » américain…

Une inconnue demeure, la plus importante

Une inconnue demeure, la plus importante. L’élimination de Qassem Soleimani se résumera-t-elle à un démonstration, certes brillante et ô combien réjouissante pour tout homme sain d’esprit, des capacités tactiques de l’armée et du renseignement américains quand l’ennemi outrepasse une ligne rouge en-deçà de laquelle il lui serait permis de continuer de capitaliser ses acquis?

Ou marque-t-elle un vrai changement de politique qui verra les Etats-Unis prêts à répondre militairement aussi bien qu’économiquement à chaque agression iranienne comme à son programme nucléaire et balistique, à sa mainmise sur les quatre pays qu’elle asservit et à l’exportation de sa guerre sainte idéologique?               

Isaac Franco

Isaac Franco est chroniqueur à Radio Judaïca – FM 90.2 les lundis de 17 à 18 heures (« Cherchez l’erreur« )

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