Deux notions – meurtre et irresponsabilité – s’affrontent à l’intérieur d’un enclos sur lequel veillent, dans un face-à-face obscur, les sœurs jumelles haine et pusillanimité politique, faisant semblant de se renier l’une l’autre. Tel serait le résumé de ce que la presse a appelé « l’affaire Sarah Halimi », si toutefois il était possible de résumer l’abjection.
Sur l’un des plateaux de cette balance rassurante que la Justice tient dans sa main, la certitude d’un meurtre rituel ; sur l’autre, l’aléa d’une évaluation psychiatrique. Tout part de là, tout se fige là. Tout est dans le faux équilibre qu’on a voulu imposer à la balance. Une vie pour une « bouffée délirante aiguë ».
Les « raisons plausibles » ont-elles valeur de vérité indiscutable ?
La médecine, dans cette affaire, n’arrive pas à être d’accord avec elle-même ; la justice non plus. Les « raisons plausibles » sur lesquelles celle-ci s’appuie pour supposer que le discernement du meurtrier était aboli au moment de son forfait ont-elles valeur de vérité indiscutable ?
Kobili Traoré est sorti de chez lui au milieu de la nuit. Son parcours a été, certes, quelque peu sinueux, mais il serait absurde de croire qu’il soit arrivé par hasard auprès du lit où dormait Sarah Halimi. Qu’il l’ait défini comme étant « le diable » prouve qu’il savait où il se trouvait – et, sans doute, qu’il avait eu l’intention précise de s’y rendre. Cela ressemble davantage à la préméditation qu’à une divagation consécutive à la perte soudaine du discernement.
La longue mise à mort, durant laquelle – selon le témoignage des policiers qui se trouvaient sur les lieux, inactifs – Kobili Traoré a récité des sourates, sa déclaration « J’ai tué le diable » – tout indique la détermination structurée, tout plaide en faveur du meurtre par conviction. Et rien de cela ne s’accorde avec l’abolition du discernement.
Passé vingt fois devant les juges pour d’autres méfaits, dont des actes de violence aggravée, Kobili Traoré n’a jamais été trouvé irresponsable, aucune altération de sa santé mentale n’a été détectée ou invoquée. Il a été condamné à plusieurs reprises et a fait de la prison. Interné après le meurtre de Sarah Halimi, les médecins ne semblent pas trouver chez lui les signes d’une pathologie psychique.
Une violence non fortuite…
Entendu à quelques reprises dans le cadre d’une procédure chaotique, il n’a pas déraisonné. Était-ce donc seulement l’effet momentané du cannabis ?
En sortant de chez lui, il a traversé un appartement, mais a ignoré ceux qui s’y trouvaient. Il a enjambé une fenêtre pour entrer chez Sarah Halimi. Mais, s’il était en proie à une « bouffée délirante », si son discernement était aboli, si tout ce qu’il voulait était de déchaîner sa violence, pourquoi n’a-t-il pas attaqué les premières personnes qu’il a croisées, les locataires de cet appartement qui ne lui a servi que de passage ? C’est que sa violence n’était nullement fortuite, ni revêtue du caractère gratuit de l’acte de folie qui fait frapper aveuglément.
Elle ne l’est pas, non plus, chez tant de manieurs de couteaux, dont on s’empresse pourtant, journaux et pouvoir politique confondus, d’affirmer qu’ils souffrent de quelque déséquilibre psychique induit par la malveillance qu’une société scélérate oppose à leur épanouissement. On parlait autrefois de simulateurs, qui, parfois, étaient particulièrement habiles ; aujourd’hui, experts médicaux et magistrats ne semblent pas disposés à prendre en compte une telle hypothèse.
Un meurtrier en liberté
Placé en hôpital psychiatrique – mais pour combien de temps et sous quelle surveillance ? – la situation de Kobili Traoré sera, à un moment donné, celle d’un meurtrier que les tribunaux ont refusé de juger, d’un meurtrier en liberté.
Situation qui devrait embarrasser aussi bien le pouvoir politique que la justice. Et si, comme l’assurent les juristes, il n’y aura pas de jurisprudence Sarah Halimi, il est toutefois impensable que lors d’une prochaine « affaire Sarah Halimi » – dont l’éventualité n’est pas à exclure d’emblée –, les défenseurs du futur coupable se privent d’invoquer l’exonération dont a bénéficié Kobili Traoré.
Il serait, sans doute, abusif d’affirmer qu’un permis de tuer vient d’être accordé aux fanatiques et aux drogués ; mais il n’est pas interdit de croire qu’ils ont reçu une très malsaine bouffée d’optimisme.
Ecrivain et journaliste roumain, Radu Portocala écrit notamment pour Atlantico et Causeur. Merci à Lui de nous avoir donné cette réflexion.
‘Bouffée délirante aigüe, très malsaine bouffée d’optimisme… » Du début à la fin ce très bon texte diagnostique le mal qui atteint les psychiatres et les juges, et explique les enjeux politiques…
Son auteur a bouffé du lion !
Les juges ont choisi sciemment de pas prendre en considération les faits qui réfutent les pseudo-arguments contradictoires qui sont censés justifier la conclusion infondée « abolition du disernement ». Sélectivité _ oh combien malhonnete – « à décharge ». Dans bon nombre d’affaires dans lesquelles des Juifs innocents ont été accusés et, le cqas échéant, condamnés injustement il s’agit d’une autre sorte de sélectivité – et le film de Polansky tombe bien pour nous rappeler un des exemples les plus connus.
Leur décision inique est à dénoncer sans réserve – y compris dans le cadre du « forum contre l’antisémitisme » et de la conférence internationale qui va se dérouler le 23 janvier à Jérusalem, tout en accueillant une trentaine de chefs d’état.
Il est indispensable que cette conférence serve à préparer des initiatives destinées tout au moins à réduire sensiblement la fréquence des derives et des abus judiciaires qui sont de nature à enhardir les auteurs de crimes antijuifs. Tant organisateurs qu’intervenants ont l’obligation morale de réclamer que soient adoptées – en France et ailleurs – des mesures législatives qui ne permettront plus le genre de manipulations, de la part de juges d’instruction, qu’on a constatées dans l’affaire Sarah Halimi, tout en minimisant les classements sans suite infondés et l’imposition de peines dérisoires ou indulgentes meme après la commission d’actes de violence et d’intimidation on ne peut plus graves.
Si, en revanche, la conférence se contente de beaux discours soi-disant rassurants, pour ne pas indisposer certains chefs d’état, elle n’aura servi à rien et les victimes juives du « nouvel antisémitisme » de plus en plus violent auront été trahies – ainsi que les rescapés de la Shoah qui ont tellement lutté et qui ont tant sacrifié au nom du « plus jamais ca ».