Tribune Juive

Sarah Halimi : Abolition du jugement ou abolition du crime ? Michel Rosenzweig

Au lendemain de la décision de La chambre d’instruction de la Cour de Paris qui vient de rendre une décision par laquelle Kobili Traoré a été déclaré pénalement irresponsable et ne pourra donc pas faire l’objet d’un procès en Cour d’assises, les réactions indignées ne se sont pas fait attendre.

Être indigné, scandalisé, outré, dégoûté, choqué, par une telle décision relève en effet et bien évidemment de la plus élémentaire des émotions légitimes pour quiconque ayant un minimum de conscience morale face aux faits avérés : un crime antisémite crapuleux et barbare en plein Paris.

La responsabilité des juges et des experts psychiatres

Cependant, le débat semble à présent s’engager sur la responsabilité des juges et des experts psychiatres.

Pour les tenants du retour au droit et rien qu’au droit, aucun manquement à signaler, la loi est la loi, en l’occurrence  l’article 122–1 du Code pénal, qui traite de la question et des conditions dans lesquelles un accusé peut être déclaré irresponsable :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

Toutefois, le texte poursuit dans son deuxième alinéa :

« La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s’assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l’objet de soins adaptés à son état. »

Le texte de loi offre ainsi le choix entre deux états de conscience mentale à retenir : l’altération ou l’abolition de la faculté du juger.

Quant aux experts psychiatres, le Docteur Zagury a été le seul à retenir l’altération contre l’avis de six autres experts mandatés par le juge d’instruction en application du premier alinéa de l’article 81 du Code de procédure pénale. Et tous ont conclu à l’abolition du jugement au moment des faits.

Les juges ont donc décidé de suivre la majorité des avis d’experts : l’assassin n’était pas en possession de sa raison à cause des effets du cannabis, il ne peut donc être jugé en cour d’assise et doit suivre un traitement psychiatrique approprié. En clair, il sortira probablement bientôt de l’unité de soins dans laquelle il sera interné.

Questions

A ce stade, plusieurs question gênantes se posent :

Les juges auraient-ils pu éviter de suivre les avis du collège d’experts en choisissant plutôt l’altération que l’abolition et renvoyer le prévenu en cour d’assises ? En ont-ils le droit et la liberté ? Les experts psychiatres ont-ils fait correctement leur travail en privilégiant l’abolition ? Et enfin, que recouvrent ces notions d’abolition et d’altération du jugement sous effet du Δ-9-tétrahydrocannabinol,(THC) ?

Avant de tenter de répondre à la première question, il est nécessaire de rappeler quelques notions fondamentales relative au concept de Loi. Qu’est-ce que la Loi ? Comme le rappellent à juste titre certains psychanalystes, la Loi n’est pas le gibet. La loi est d’abord un curseur, une autorité symbolique porteuse de sens, la loi donne donc un sens et une direction.

Autrement dit, la Loi n’est pas la sanction, et il ne faudrait jamais confondre les deux.

Ensuite, le droit n’étant pas une science exacte, mais un art, tout comme la psychiatrie, les deux disciplines sont soumises à l’interprétation. Si les juges ont pour fonction d’appliquer la loi, il faut rappeler qu’ils ont également la liberté de conscience de l’interpréter en fonction du dossier et de ses éléments. En dernier ressort, il appartient donc à la conscience du ou des juges de donner telle ou telle suite, condamnation, renvoi, non-lieu, déclaration d’irresponsabilité etc.

Les expert psychiatres ont quant à eux aussi une marge de manœuvre dans leurs travaux d’expertise, altération, abolition, diagnostics différentiels en fonction de la personnalité de l’individu, de son contexte familial et culturel.

Enfin, le principe actif du cannabis, le THC, peut-il altérer ou abolir le jugement ? La réponse est oui bien évidemment, mais cette réponse suffit-elle en soi pour conclure à l’irresponsabilité de l’auteur des faits. Les experts psychiatres sont unanimes sur ce point, la faculté de juger et donc sa conscience étaient abolies au moment de la commission des faits, et les juges ont suivi cet avis, chacun restant rivé à sa discipline et à ses compétences.

Discussion

Or, c’est ici que la contestation et le débat commencent pour toute une série de personnes.

Pour les uns il n’appartient pas au droit de statuer sur l’état de conscience d’un individu, les juges appliquant la loi sans discuter du bienfondé des avis des experts, pour les autres, l’avis des experts est remis en question à cause de la nature du crime, son mobile antisémite.

La consommation de drogue constitue en général une circonstance aggravante, mais qu’aggrave-t-elle au juste ici ? Le crime et sa nature antisémite indubitable.

Or, et c’est là que les réactions d’indignations se font nombreuses et légitimes, dans cette décision, la consommation de cannabis devient dans cette affaire un facteur atténuant par les effets induits du cannabis qui ont, d’après les experts, entraîné l’abolition du jugement.

L’ultime question est donc de savoir si le criminel était conscient ou pas au moment des faits ?

Autrement dit, Kobili Traoré savait-il ce qu’il allait faire et pourquoi ? Savait-il ce qu’il était en train de commettre et pourquoi ?  Où était-il inconscient au point de ne plus être lui-même, incapable d’évaluer la portée de ses gestes criminels, mû par une force étrangère dues aux effets du cannabis.

Qui est coupable ? Le cannabis, son principe actif qui abolit ou altère le jugement, ou celui qui le consomme

J’aimerais rappeler ici une donnée fondamentale en toxicologie en tant qu’ancien spécialiste en la matière : les psychotropes ne font pas une personnalité, ils ne font qu’amplifier, déclencher, faciliter des passages à l’acte et des états modifiés ou/et altérés de conscience et ceci en fonction des contextes émotionnels, culturels, religieux, éducatifs. Les drogues ne rendent pas fou, ni antisémite, elles ne sont que des facilitateurs, des catalyseurs, elles ont cette capacité de révéler et de faire s’exprimer une personnalité, son caractère, ses tendances, et surtout ses pulsions.

Et rappeler aussi aux juges et aux psychiatres que le mot « assassin » vient du mot « haschishin », très ancienne pratique qui permettent aux assassins de libérer leurs pulsions meurtrières et leur surmoi trop encombrant en consommant du haschich (résine de cannabis), exactement comme avec les tueurs de Daesh qui se droguent pour pouvoir accomplir leurs crimes. Un peu d’histoire et d’étymologie s’il vous plaît.

Non, l’antisémitisme n’est pas soluble dans le THC

Non, l’antisémitisme n’est pas soluble dans le THC et personne ne devient antisémite en fumant du cannabis pas plus que quiconque ne serait poussé à assassiner une personne juive ou pas, au seul motif qu’elle a consommé du cannabis. Le cannabis déclenche la mise en acte d’une pulsion bien antérieure à la consommation.

Et les antécédents de Kolbili Traoré étaient bien connus, sa haine des juifs aussi.  

Alors ?

Cette décision est-elle celle qui privilégie l’abolissement du jugement de Kobili Traoré, ou bien celle qui abolit son crime ?

Ou encore celle qui abolit toute possibilité de jugement en Cour d’assise ?

Michel Rosenzweig

Michel Rosenzweig est philosophe de formation (histoire de la philosophie, ULB) et psychanalyste. Son intérêt pour la géopolitique se porte sur les enjeux relatifs à la montée de la nouvelle judéophobie inscrite dans l’idéologie de l’islam politique radical et conquérant. Il a publié à ce sujet des articles pour Metula News Agency, Guysen news international et Causeur. Très préoccupé par la dérive antisémite contemporaine, il est résolu à défendre le concept de l’intégrité d’un monde démocratique et libre de toute forme de servitude, affranchi des démons totalitaires liberticides, d’où qu’ils proviennent.

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