Affaire Sarah Halimi : la justice se rend dans le prétoire. Régis de Castelnau

 « L’affaire Sarah Halimi », tuée dans des circonstances particulièrement atroces a malheureusement pris une tournure politique et médiatique où polémiques, pétitions et emportements ont placé la justice sous une pression incompatible avec le déroulement normal d’une procédure pénale. La politisation a pour cause principale la question de l’incontestable montée dans notre pays de l’antisémitisme musulman.

Rappelons que le 4 avril 2017, Sarah Halimi d’origine juive et médecin retraitée de 65 ans a été rouée de coupspuis défenestrée par un de ses voisins musulman d’origine tunisienne. Cette horrible affaire venant après quelques autres violentes agressions antisémites et ravivant le souvenir des atrocités infligées à Ilan Halimi, a fort normalement suscité une émotion considérable dans la communauté juive. La procédure s’est déroulée sous le feu des critiques médiatiques où la plupart des décisions et initiatives des autorités judiciaires, que ce soit le collège des juges d’instruction ou les membres du parquet, ont été présentées comme marquées soit par l’antisémitisme de leurs auteurs, soit le refus de prendre en compte la montée de l’antisémitisme musulman. Au bout de leur instruction et contre l’avis du parquet du tribunal d’instance de Paris, le collège des juges d’instruction a conclu à l’irresponsabilité pénale de Kobili Troré l’auteur du meurtre pour « l’abolition de son discernement au moment des faits » et ce en application de l’article 122–1 du Code pénal. Le parquet et les parties civiles ont fait appel de cette décision et la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris doit se réunir le 27 novembre dans les conditions particulièrement minutieuses prévues par l’article 199-1 du code de procédure pénale. Tout ceci procède du traitement conforme d’une procédure criminelle où la question de l’état de démence de l’accusé au moment des faits est posée.

C’est dans ces circonstances que le parquet de la cour d’appel de Paris a fait savoir que contrairement aux réquisitions du procureur du tribunal, l’avocat général allait demander la confirmation de l’ordonnance d’irresponsabilité pénale. Information qui a bien sûr suscité une grande émotion, et relancé polémiques, procès d’intention et anathèmes.

On se permettra quelques observations concernant le « revirement » du parquet. En rappelant d’abord que cette autorité de poursuite obéit aux principes d’unicité et de caractère hiérarchique. Par conséquent l’avocat général doit prendre ses responsabilités en fonction de son opinion sur le dossier. Ensuite que l’adage « la plume est serve, mais la parole est libre » implique qu’à l’audience, tout procureur peut aller à l’encontre des réquisitions écrites de son parquet. Et c’est heureux, car cela facilite encore le débat contradictoire et de toute façon ce sont les juges du siège qui tranchent. Ces changements sont beaucoup plus fréquents qu’on ne croit, le dernier exemple marquant étant celui de l’affaire « Georges Tron » où tout au long de la procédure le parquet avait requis le non-lieu, pour requérir la condamnation de l’élu lors de l’audience. Il faut donc se garder en l’état de tout procès d’intention concernant cette modification.

Les éléments de la procédure ayant été exposés, essayons de revenir maintenant sur les questions de fond en se gardant de passions certes compréhensibles, mais qui obscurcissent le débat.

Pour cela on peut se référer à une tribune signée par un certain nombre d’intellectuels au mois d’avril dernier demandant que l’auteur du meurtre atroce de Sarah Halimi ne soit pas déclaré irresponsable par la justice pénale. Cette initiative était intempestive et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la lecture du texte montre bien la cause que les signataires entendent servir, celle de la lutte contre l’antisémitisme musulman. Combat nécessaire s’il en est mais qui ne passe pas par une volonté d’instrumentaliser la justice à son service, meilleur moyen de ne pas poser les vrais problèmes.

Rappelons que les tentatives de faire pression sur la justice dans ce dossier, ont été fréquentes, mais le texte de la pétition démontre en la caractérisant la volonté de faire de la procédure judiciaire l’otage d’un combat politique pourtant non seulement légitime mais nécessaire.

Il faut redire encore que l’espace où doit se dérouler impérativement une procédure pénale n’est pas l’espace médiatique, mais bien celui du prétoire, avec ses règles destinées à faire émerger autant que faire se peut une vérité judiciaire support d’une décision rendue au nom du peuple français et opposable à tous. Prenant la forme d’un réquisitoire, nécessairement unilatéral, choisissant les détails, multipliant les sous-entendus sur l’attitude des magistrats et de la police de quartier intervenue ce jour-là, la tribune nous présentait l’affaire pour soutenir une cause : que Kobili Traoré soit déclaré responsable de ses actes traduit et jugé en cours d’assises. Ainsi « existerait-il un espoir que justice soit rendue à Sarah Halimi, victime d’un crime antisémite barbare. » Toutes les péripéties de la procédure, dont on rappelle qu’elle est contradictoire et qu’y interviennent le parquet autorité de poursuite, la défense, et les parties civiles, sont présentées comme autant de tentatives pour ménager et exonérer celui qui a tué Sarah Halimi. Arrêtons-nous sur la description des procédures d’expertises psychiatriques pourtant essentielles dans un dossier tel que celui-ci. Tout d’abord, un seul expert intervenu est identifié par les signataires, il s’agit de Daniel Zagury brillant et très médiatique psychiatre, comme s’il s’agissait de faire valoir à cette occasion comme une forme d’argument d’autorité. La pétition nous dit « qu’une expertise réalisée par Daniel Zagury rendue au bout de six mois établissait que K.Traoré avait fait une bouffée délirante aiguë (BDA) suite à une consommation massive de cannabis. Il conclut à l’altération du discernement, mais à une responsabilité pénale ». C’est l’article 122–1 du Code pénal qui traite de la question et des conditions dans lesquelles un accusé peut être déclaré irresponsable. Parlant d’abolition du discernement l’alinéa premier de cet article nous dit « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Le deuxième alinéa quant à lui traite de l’atténuation de la responsabilité et par conséquent de la peine en cas d’altération du discernement. C’est le choix de l’altération qu’a fait en conscience le Docteur Zagury. Le départ entre l’abolition et l’altération est une question très délicate à trancher, surtout lorsque l’on instruit et ensuite juge une affaire criminelle qui a par surcroît a donné lieu à beaucoup de passion. Les magistrats instructeurs ont souhaité avoir un nouvel avis, et il n’est pas très honnête de présenter cette initiative de procédure comme incongrue et probablement dictée par la volonté d’épargner Kobili Traoré. « Cette expertise n’a pas l’heur de plaire à la juge d’instruction qui en ordonne une seconde ; requête provenant usuellement de l’avocat de la défense qui ici n’avait rien demandé. » On va quand même rappeler ce que dit la Loi française dans le premier alinéa de l’article 81 du Code de procédure pénale : « Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge ». Les magistrats ont donc pour une fois fait leur devoir.

Une seconde expertise a donc été ordonnée et réalisée cette fois-ci par un collège de trois experts, qui ne sont pas nommés dans la pétition et ont tranché en faveur de « l’abolition du discernement ». Face à deux avis divergents, une troisième expertise a été ordonnée et confiée à un collège de quatre experts cette fois-ci qui ont à nouveau choisi cette même « abolition du discernement ». Nous avons donc l’avis de sept experts psychiatres assermentés, contre celui du seul Docteur Zagury . N’est-il pas un peu présomptueux de s’improviser praticien et nous expliquer à quel moment on peut considérer que quelqu’un est schizophrène ?

Le profane ne peut pas dire si Kobili Traoré avait son discernement aboli ou seulement altéré au moment où il accomplissait son immonde forfait. Il faut donc s’en remettre au traitement par la justice française de cette épouvantable affaire. Sinon quelle autre solution ? Il appartient aux magistrats en charge de ce dossier, au collège des juges d’instruction, à la collégialité de la chambre d’instruction, et éventuellement la collégialité de la cour d’assises, de prendre leurs responsabilités et de trancher la question de cette responsabilité pénale. Parce que c’est comme ça que cela doit se passer, et que le lieu pour statuer sur cette question, dans un pays civilisé, et il faut le répéter encore et encore, c’est le prétoire et non pas l’espace médiatique aussi prestigieux soient les signataires de pétitions.

Et il y a aussi une autre chose qu’il est nécessaire de rappeler : l’autorité judiciaire ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont posées, et dès lors qu’on lui assigne des objectifs qui ne sont pas les siens on ne peut qu’aboutir à la détourner de sa mission.

Parce qu’on a une nouvelle fois le sentiment que l’on compte sur la justice pour traiter des questions au caractère directement politique. « La psychiatrisation est-elle le nouvel outil du déni de réalité ? » interroge cette pétition. Eh bien oui, c’est bien s’affronter au réel que de le dire : les islamistes et leurs pulsions barbares sont des déséquilibrés. Et il est indispensable de s’interroger sur la tournure pathogène et criminalisante qu’a pris aux quatre coins du monde la religion musulmane. Sur le rôle, dans le passage à l’acte criminel, de l’interprétation littérale du Coran, recueil qu’on le veuille ou non d’interdits et d’injonctions à respecter sous peine de terribles punitions.
Et, plutôt que faire à grand bruit pression sur la justice, il vaudrait mieux prendre cette question à bras-le-corps, sans se laisser intimider par le « pas d’amalgame » et la crainte de l’accusation « d’islamophobie ».

Et présenter l’article 122-1 comme un passeport pour l’impunité des crimes antisémites c’est contribuer à la disqualification d’un principe fondamental de la responsabilité pénale : ne sont responsables que les individus conscients de leurs actes. Les Romains l’appliquaient, et si au Moyen Âge   on jugeait les animaux, cela ne constituait vraiment pas un progrès.

 Nous avons tous intérêt au respect de principes qui sont des acquis de civilisation.

Source: Vu du Droit. Un regard juridique sur l’actualité avec Régis de Castelnau. 26 novembre 2019.

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3 Comments

  1. Je n’ai pas lu entièrement cette trop longue analyse ,car , choqué dés le début par la phrase disculpante sur le manque de discernement du tueur !!!!Tout tueur , quel qu’il soit  » manque de discernement au moment de tuer ( ou des « faits  » comme ils disent ) … c’est une vérité de la Palisse …
    Donc tout tueur n’est ni responsable ni coupable ?
    Alors qui est coupable ? la société ? le gouvernement? la religion? les parents?l’éducation?
    est ce que cela fera jurisprudence ? tres perturbant pour le naïf que je suis …ça donne des idées aux cerveaux fragiles

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