Mardi soir s’est tenue à l’Hôtel de Ville de Paris la 14e cérémonie des Prix de la Laïcité du Comité Laïcité République[1].
Laïcité : plus que jamais, en ce mois de novembre 2019, ce mot résonne et fait un bruit assourdissant : Ceux qui militent pour la laïcité n’auront jamais été autant vilipendés, Et voyez-vous, jamais ils n’auront été aussi résolus. Que leur engagement et leur obstination soient ici célébrés, comme ont été célébrés, ce 5 novembre, les lauréats, combattants de la liberté de conscience et de l’universalisme.
Les lauréats 2019: Ariane Mnouchkine, Karima Bennoune, Virginie Tournay, Fatiha Agag-Boudjahlat, Nadia Geerts.
Prix National de la Laïcité: Ariane Mnouchkine
Le Prix National de la Laïcité a été décerné à Ariane Mnouchkine : humaniste, combattante de l’universel, ardente défenseuse de la liberté de création, opposée au processus d’assignation identitaire, Fondatrice et animatrice du Théâtre du Soleil. Représentée par Simon Abkarian, elle évoqua cette drôle d’époque, où, au plaisir de recevoir le Prix national de la Laïcité, se mêlait comme un léger pressentiment d’être d’un seul coup devenue une cible et d’avoir à rejoindre le groupe grandissant des accusés subissant les réquisitoires journalistiques ou informatiques de dizaines de procureurs autoproclamés et se disant très en colère. Ariane Mnouchkine qui parla de fièvres dominatrices, prosélytes, mysoginiques, homophobiques, censurantes, liberticides, haineuses et meurtrières à l’égard de toutes différences de pensées, d’ethnies et d’abord de… convictions religieuses.
Prix International de la Laïcité: Karima Bennoune
Le Prix International de la Laïcité a été remis à l’auteur de « Votre fatwa ne s’applique pas ici », Karima Bennoune, Rapporteure spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, qui n’eut de cesse que de dénoncer le terrorisme et l’extrémisme, que de lutter contre la torture et les exactions pendant les conflits armés, Karima Bennoune, importante voix des Droits des femmes.
Elle remercia ses sœurs féministes algériennes : Beaucoup d’entre elles ont risqué leurs vies pendant la décennie noire du terrorisme islamiste en Algérie, sans soutien international adéquat, et actuellement beaucoup d’entre elles sont encore une fois présentes dans les rues d’Algérie pour y mener un combat pacifique pour les droits des femmes, et tous les droits humains, et qui dit ce besoin de briser les murs de la solitude, la solitude dans laquelle travaillent beaucoup des défenseurs des droits humains, défenseurs de la laïcité partout dans le monde. Mais encore ce besoin d’une coalition pour la laïcité aux Nations Unies. Et cita Mahfoud Bennoune s’adressant aux terroristes islamistes : « Votre mouvement, qui s’est trompé d’époque, de peuple et de cible, est la négation même de la raison et de la démocratie, du bon sens et des valeurs islamiques, humanistes et universelles. C’est la raison pour laquelle il ne peut être porteur ni de paix, ni de progrès… ni de culture, ni de civilisation… Votre mouvement est voué à l’échec ».
Prix Science et Laïcité: Virginie Tournay
Le Prix Science et Laïcité fut décerné à la Politologue et biologiste, directrice de recherche au CNRS, maître de conférences à SciencesPo Paris, Virginie Tournay. Souvenez-vous : Virginie Tournay fut à l’initiative de la tribune Pour une reconquête de la culture scientifique, face aux menaces de l’irrationalité et aux attaques obscurantistes. Dans un monde où des revendications identitaires malmènent le commun républicain, la promotion de la démarche scientifique et la résistance aux obscurantismes sont plus que jamais deux combats inséparables, affirma-t-elle : Nous sommes entrés en guerre. […] Le vent mauvais du communautarisme et de l’intégrisme s’est levé. Il menace notre société et ses savoirs.
Mention au Prix National: Fatiha Agag-Boudjahlat
Une Mention au Prix National a honoré l’enseignante et essayiste[2] Fatiha Agag-Boudjahlat, militante laïque et féministe universaliste, et une Mention au Prix International à la Philosophe et essayiste Nadia Geerts, Initiatrice en Belgique du Réseau pour la Promotion d’un Etat Laïque et militante du droit à mourir dans la dignité. Fatiha Agag-Boudjahlat cita la féministe algérienne Wassyla Tamzali : « Comment, et où pouvons-nous trouver le droit d’être des hommes et des femmes libres, sinon dans la résistance à notre culture, à nos traditions religieuses quand elles sont contraires à ces principes ? A qui avez- vous vous-mêmes arraché ces droits, sinon à vos Eglises, votre religion, votre culture, vos traditions ? »
Mention au Prix International de la Laïcité : Nadia Geerts
Nadia Geerts, écrivain belge agrégée en philosophie, est initiatrice du Réseau d’actions pour la promotion d’un État laïque en 2007 et Directrice de publication de La laïcité à l’épreuve du XXIᵉ siècle. Elle évoqua sa Belgique qui reconnaissait et finançait certains cultes. Cette Belgique tétanisée à l’idée que s’abstenir puisse passer pour une mesure « islamophobe », voire d’extrême-droite. Elle prôna une séparation active et exigeantedes Eglises et de l’Etat, de la foi et du droit, du religieux et du politique.
Une cérémonie marquée par des discours éminemment résolus
Si chacun hier s’est exprimé, retenons certains temps forts de la soirée. Anne Hidalgo affirmé que la laïcité devait être proclamée et portée par des politiques concrètes : Insistant sur le fait que la laïcité était la condition de l’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté des femmes faisant peur aux obscurantistes, la Maire de Paris a eu le mérite de nommer le mal, évoquant des dérives dans certains services où se développait l’islamisme radical et affirmant sa volonté de ne plus rien laisser passer, de ne pas faiblir face à des situations qu’il fallait corriger ou empêcher.
Renaud Dély, Président du Jury des Prix de la Laïcité du CLR 2019, a dit son honneur d’avoir participé au choix des lauréats, au cours d’ échanges qu’il qualifia de riches, souvent passionnés, toujours respectueux et, évidemment, éminemment laïques, mais il insista encore sur la lourde responsabilité qui lui était revenue, par les (mauvais) temps qui couraient et menaçaient notre société, la lourde responsabilité que de consacrer l’engagement laïque […] de militants authentiquement engagés à préserver ce bien commun qui était en danger, attaquée de toutes parts qu’était la Laïcité : De façon spectaculaire et hélas tragique, sanglante, meurtrière, lorsque le terrorisme islamiste frappe. De façon plus sournoise, insidieuse, rampante, lorsque le communautarisme ronge le pacte républicain et la vie en collectivité, et assigne à résidence des individus, et d’abord des femmes, en les cloîtrant derrière les murs d’une identité rétrécie.
Il évoqua, Renaud Dély, l’antidote qu’était la laïcité pour faire face à cette dangereuse dérive, évoquant ceux qui s’acharnaient à en faire une arme ou une prison, quand elle était, au contraire, un bouclier et une libération. Ne machant pas ses mots, il nomma les injures, menaces, calomnies, et pire encore, qui visaient les défenseurs de la laïcité : Nous ne nous laisserons pas intimider. Surtout, nous ne tomberons pas dans les pièges grossiers que nous tendent ceux qui nous pourfendent. C’est en dressant une digue infranchissable entre les croyances qui relèvent du personnel, de l’intime, du privé, et la sphère publique irriguée par la raison et l’humanisme laïque que la vie en société restera possible. Notre idéal n’est pas éradicateur, comme veulent le faire croire – c’est le mot – nos adversaires, il est émancipateur.
Citant Henri Peña-Ruiz[3], il rappela enfin combien la laïcité tournait le dos au communautarisme en préservant une sphère publique commune à tous par-delà les différences, et annonça un palmarès 2019 étrangement… féminin : Un hasard sans doute, mais un hasard laïque évidemment…
Jean-Pierre Sakoun, Président du Comité Laïcité République, soulignant la violence des adversaires de la laïcité, après avoir rappelé que l’immense majorité des citoyens revendiquait une laïcité claire, ferme et émancipatrice, seule garante de la paix civile, insista sur la défense de la liberté de conscience. Appelant à s’engager et à soutenir ceux qui se battaient en première ligne, les laïques de culture musulmane et les femmes, il acheva son discours en citant Robespierre : « Fanatiques, n’espérez rien de nous ! »
Jean-Pierre Sakoun tint un discours éminemment déterminé, plus que jamais résolu, un discours courageux qui n’esquiva aucun des sujets dérangeants du moment. C’est pourquoi nous choisirons de le publier dans son intégralité.
Comment en effet faire l’impasse sur un seul mot de cette allocution, qu’il s’agît de l’enquête de l’IFOP et de la Fondation Jean Jaurès de mars 2019 sur « Les Français et la laïcité », quasiment passée sous silence, de ce que dit cette enquête sur le soutien inébranlable de français massivement attachés à la séparation du politique et du religieux, de français éminemment laïques. Qu’il s’agît encore du refus de ces mêmes français de faire le moindre amalgame, en dépit du macabre décompte des victimes de l’islamisme depuis 2012, entre leurs concitoyens de religion musulmane et les fanatiques obscurantistes.
Qu’il s’agît encore des Identitaires d’extrême-droite et séparatistes islamistes, haïsseurs de la République, la démocratie, la liberté, l’égalité, la fraternité universelle, la laïcité : Les uns tuent par centaines et blessent par milliers, faisant le jeu des autres qui sont aux portes du pouvoir parce que depuis les années 80 nos gouvernants ont joué avec la peur de l’extrême-droite jusqu’à en faire l’opposant privilégié pour assurer leur élection. En même temps, en cessant de porter l’idéal laïque, ils ont permis au RN de se parer de ses couleurs et de récolter ainsi les dividendes d’un combat qui n’est pas le sien.
Qu’il s’agît encore de la responsabilité insigne de cette partie de la Gauche qui a troqué cet idéal indépassable contre l’objectif minimaliste de faire coexister les communautés ethniques et culturelles sans qu’elles s’entretuent, ce qu’on appelle le « vivre-ensemble ».
De cette Gauche qui a perdu le sens commun au point de faire sa jonction le 10 novembre prochain dans une manifestation intitulée « Stop à l’islamophobie » avec les associations fréristes et salafistes, l’islam politique, les groupuscules indigénistes, bref tous ceux que l’on n’entend jamais dénoncer la violence islamiste et défendre la liberté de conscience.
Qu’il s’agît encore du clientélisme et autres petits arrangements de nos dirigeants, du fait que ça n’est pas à la République de s’adapter aux religions, mais aux cultes de respecter les lois de la République, mais encore de cette pression cléricale venue aussi d’Europe…
Qu’il s’agît enfin de l’école de la République, traversée depuis 89 par la question du port des signes religieux, mais encore de l’enseignement supérieur dont certaines universités sont devenues des usines à fabriquer des doctorants en études identitaires, de la FCPE, et autres associations gangrénés par l’entrisme et le noyautage de petits groupes activistes.
Qu’il
s’agît surtout de l’avertissement du Président aux intersectionnels,
indigénistes, racialistes, post-coloniaux, cléricaux de toutes chapelles,
identitaires, auxquels le peuple français affirme chaque fois qu’on lui donne
la parole : nous sommes universalistes, laïques, sécularistes, parce que
nous sommes libres, égaux et fraternels.
En ce moment, vous tentez d’être les chefs, mais « beleve me », ce temps
est bref. Nous préférons être à notre place qu’à la vôtre.
Un nouveau trophée, la Marianne du CLR, œuvre d’art de l’artiste C215, a été hier, pour la première fois, remis à chaque lauréat.
[1] Le Comité Laïcité République (CLR) est une association qui promeut la laïcité dans le débat public. Le CLR alerte sur les manquements au respect de la loi de séparation des églises et de l’État. Il signale les accommodements communautaristes qui contournent ou violent les principes républicains. Le CLR réaffirme que seule la laïcité garantit la liberté absolue de conscience. Elle protège les citoyens contre toute discrimination au regard de convictions philosophiques ou religieuses.
[2] Le Grand détournement. 2017. Editions du Cerf. Combattre le voilement. 2019. Préfacé par Elisabeth Badinter.
[3] Dictionnaire amoureux de la laïcité.
Ouf, quel plaisir de savoir que dans nos campagnes et nos chaumières nous ne sommes pas seuls à oeuvrer pour la laïcité. Encore merci pour la défense de la laïcité.
Merci à Vous, Gil. Parfois le sentiment de batailler dans le vide. Mais ils sont là. Vaillants. Attaqués de toutes parts et debout: nous vaincrons. La laïcité vaincra.