Dans un long entretien avec Charles Aznavour que j’ai publié le 24 février 1978, il me demanda tristement et tout de go : « Pourriez-vous m’expliquez, cher ami, pourquoi Israël ne reconnait pas le génocide arménien ? »
Dans l’embarras, j’ai répondu longuement à cette question épineuse en évoquant les contraintes politiques et la Raison d’Etat ainsi que la spécificité de notre Shoah.
Le petit Charles écoutait attentivement mais n’était point convaincu.
Ce géant de la chanson française conservera toute sa vie sa fidélité à sa terre d’origine. Au cours de chaque rencontre avec lui, l’ambassadeur infatigable de la cause arménienne ne comprenait pas l’obstination des Israéliens et le manque de solidarité.
Comment le formidable peuple juif qu’il admire, ce peuple qui a tant souffert à travers les siècles, victime de l’antisémitisme, des pogroms et de la Shoah, refuse-t-il de reconnaître officiellement le génocide du peuple d’Arménie ?
Pourquoi cette sorte d’ingratitude à l’égard de la famille Azavourian qui avait caché des Juifs durant la guerre ? Comment expliquer les belles chansons telles Sarah (1958), Yeroushalahim (1967) ou La Yiddeshe Mamma (1997)…
Freddy Eytan (à gauche) avec Charles Aznavour en 1978 (photo archives privées)
Voilà plus d’un siècle, les deux tiers des Arméniens furent massacrés par les Turcs et aujourd’hui encore la reconnaissance politique du massacre systématique contre le peuple d’Arménie fait toujours l’objet de débats et de controverses, notamment sur le terme « génocide » réfuté par certains historiens et surtout par la Turquie.
A ce jour, seuls 30 Etats, dont la France et le Vatican, ont reconnu le génocide et commémorent la terrible tragédie dans le cadre de cérémonies officielles.
Récemment, le Congrès américain a suivi dans ce sens, mais l’adoption de ce texte n’est pas contraignante et n’implique pas officiellement l’administration de Washington qui craint de compliquer ses relations avec Ankara.
Déjà, avant la création de l’Etat d’Israël, le mouvement Nili avait lancé une campagne pour reconnaître le génocide arménien. A l’époque, on avait comparé la tragédie arménienne à celle du massacre des Juifs par les Romains et la destruction du Second Temple de Jérusalem.
En janvier 2017, lors du Jour internationale de la Shoah, le Président Rivlin avait évoqué l’hécatombe arménienne et les nombreux rescapés ayant trouvé refuge à Jérusalem.
Le 2 juin 2016, la présidence de la Histadrout sioniste mondiale a reconnu le génocide. Trois mois plus tard, la commission culturelle de la Knesset en appela à débattre du sujet en séance plénière.
Dans ce contexte, il est bien temps que l’ensemble de la Knesset adopte elle aussi un texte sans ambiguïté.
Vu la détérioration de nos relations avec la Turquie d’Erdogan, une reconnaissance israélienne provoquera sans doute une terrible colère à Ankara, mais comment l’Etat juif peut-il encore nier des faits historiques irréfutables ?
Quoi qu’il arrive, apprenons donc à ne jamais craindre de dire la vérité, toute la vérité historique, elle est toujours en marche, comme nous le rappelle l’auteur de J’accuse, Emile Zola.
Freddy Eytan Le CAPE de Jérusalem, jcpa-lecape.org
Annexe
Ils sont tombés (1976)
Paroles de Charles Aznavour
lls sont tombés, sans trop savoir pourquoi
Hommes, femmes et enfants, qui ne voulaient que vivre
Avec des gestes lourds, comme des hommes ivres
Mutilés, massacrés, les yeux ouverts d’effroi
Ils sont tombés, en invoquant leur Dieu
Au seuil de leur église, ou le pas de leur porte
En troupeaux de désert, titubant en cohorte
Terrassés par la soif, la faim, le fer, le feu
Nul ne éleva la voix, dans un monde euphorique
Tandis que croupissait un peuple dans son sang
L’Europe découvrait le jazz et sa musique
Les plaintes de trompettes couvraient les cris d’enfants
Ils sont tombés, pudiquement sans bruit
Par milliers, par millions, sans que le monde bouge
Devenant, un instant, minuscules fleurs rouges
Recouverts par un vent de sable, et puis d’oubli
Ils sont tombés, les yeux plein de soleil
Comme un oiseau qu’en vol une balle fracasse
Pour mourir n’importe où et sans laisser de traces
Ignorés et oubliés dans leur dernier sommeil
Ils sont tombés, en croyant ingénus
Que leurs enfants pourraient continuer leur enfance
Que un jour, ils fouleraient des terres d’espérance
Dans des pays ouverts d’hommes aux mains tendues
Moi je suis de ce peuple, qui dort sans sépulture
Qui a choisi de mourir, sans abdiquer sa foi
Qui n’a jamais baissé la tête sous l’injure
Qui survit, malgré tout et qui ne se plaint pas
Ils sont tombés, pour entrer dans la nuit
Éternelle, des temps au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge
Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie.
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