Je lui explique d’emblée pourquoi je l’ai choisi, lui. Je ne lui dis pas que dès son arrivée, sa jeunesse, son visage sympa, ses posts sur les réseaux sociaux, m’ont touchée. Je lui explique que Tribune Juive est laïque, que j’essaie d’y faire entendre des voix diverses, juives, musulmanes, chrétiennes, athées, et que j’ai cru en lui reconnaître … ce dénominateur commun. J’ajoute que moi, je ne suis pas venue pour… le truc communautaire.
TJ : Ce qui m’a donné envie de vous rencontrer, c’est votre âge, (- Je ne suis pas si jeune que ça, j’ai 46 ans – rétorquera Monsieur le Maire), votre position à Sarcelles. Je vous rassure : on ne va pas faire une « interview juive ». J’aimerais pourtant savoir ce qu’est devenue La petite Jérusalem ? Ce qu’est devenue Sarcelles, la ville dont vous êtes le maire ?
Patrick Haddad : Tout d’abord, quelques mots sur ce qu’il s’est passé depuis l’année 2017 et comment je suis arrivé à la tête de la municipalité, il y a maintenant 9 mois. La transition n’était pas si simple. La fin de mandat de François Pupponi, d’abord premier adjoint de Dominique Strauss-Kahn, puis maire durant 20 ans, a ensuite choisi, dans le cadre de la Loi sur le Non-cumul des mandats, de démissionner pour conserver son mandat de député.
Suite à cette démission, on a fait venir Nicolas Maccioni de Paris, très sympathique et compétent. Il est resté maire de la ville un peu plus de 6 mois : cela n’a pas fonctionné. Sarcelles est une ville socialiste depuis 1995, mais c’est Annie Peronnet (PCF) qui a pris la suite et elle a tenu 7 mois. Malgré ses qualités, cela ne s’est pas bien passé non plus, hélas, et là, tout le monde s’est tourné vers moi : j’étais déjà adjoint de François Pupponi depuis 2014. Je suis Sarcellois, élu dans la ville de Sarcelles depuis 15 ans. J’ai été responsable du Parti socialiste dans les années 2000, donc j’avais à mon actif, un engagement politique dans la ville depuis plus de 20 ans.
Mes parents étaient militants socialistes, mon père était à la SFIO. J’ai grandi dans un milieu à la fois juif, Sarcellois, et politisé à gauche.
J’ai donc suivi avec passion tout ce qu’il s’est passé, notamment politiquement dans ma ville. J’ai ensuite pris une part plus active politiquement à la fin de mes études supérieures, tout en alternant professionnellement l’enseignement supérieur et le conseil en entreprise.
J’ai toujours souhaité être utile. Je n’ai pas joué des coudes pour avoir des responsabilités à tout prix, mais j’étais là : s’il y avait besoin de moi… J’étais prêt à prendre des responsabilités dans l’intérêt général : j’ai toujours procédé comme cela.
J’ai été élu assez facilement : nous avons une majorité assez importante. Ce n’est pas une élection à la proportionnelle à l’israélienne. Nous avons fait de bons scores. François Pupponi avait été élu à 63%, ce qui nous fait 38 élus.
TJ : Je vous suis, notamment sur Facebook, l’on vous voit partout, du plus petit ou plus grand évènement. Êtes-vous déjà en campagne ou alors est-ce votre façon de faire ?
Patrick Haddad : Maire ça n’est pas qu’un « savoir-être ». Ce mandat est passionnant et exigeant, il faut être présent ! Il faut être dans la ville. Ce n’est pas la seule mais c’est l’une des clés.
Lorsque j’ai été élu Maire, il fallait montrer qu’il y avait un Maire présent qui s’occupait et se préoccupait des gens. Un mandat, ce n’est pas un travail administratif. Il faut être à la fois très présent auprès de toutes les associations et de tous les partenaires, dans les écoles, publiques ou privées, dans les différents conseils de Quartier, etc…
Je suis Sarcellois. Je n’ai jamais quitté la ville donc cela crée un lien très fort, dans une ville de près de 60 000 habitants. L’une de mes priorités, c’est améliorer les choses du quotidien, et puis, avoir une ambition à long terme sur de grands dossiers, et enfin travailler sur l’image de Sarcelles.
TJ : Alors justement, l’image de Sarcelles ?
Patrick Haddad : L’image de Sarcelles, c’est historique, c’est la ville emblématique des grands ensembles. Dans les archives de l’INA, des reportages des années 1960 évoquent la construction des grands ensembles avec leurs premiers habitants, et ces reportages font parler les gens sur ce nouveau mode de vie, ces nouvelles habitations, cette ville qui pousse, la population qui suit, et qui se stabilise dans les années 1970.
Environ 40 000 habitants sont arrivés entre les années 1960 et 1970. La question était : à quoi ressemble cette vie ? Lorsqu’on regarde les habitants de ces années-là, on voit qu’ils étaient plutôt d’une classe moyenne, des cadres, des familles qui avaient besoin de logements plus grands. A la fin des années 1950, c’était la crise du logement. Dans ces reportages, on présente une forme de mal-être lié au fait d’être dans de nouvelles habitations sans histoire, sans âme, et, de surcroît avec des commodités insuffisantes : la gare n’est pas encore existante donc il y a un manque de transports en commun important… Sarcelles, c’est un Grand Ensemble relativement homogène. Sarcelles est alors quelque chose d’assez unique, et c’est pour cela qu’elle est au cœur de ces reportages. Avec ses habitants qui expliquent qu’ils sont à la fois contents d’avoir des logements, mais qu’il leur faut se recréer une vie. Ils ressentent comme un déracinement. C’est ce phénomène nouveau que les reportages essaient de saisir, et qu’on va appeler la “Sarcellite”. Cette expression, qui n’est pas nécessairement très connue du grand public aujourd’hui est apparue. Elle correspondait au mal-être des Grands Ensembles. C’était bien avant la crise des banlieues qu’on a lié à l’immigration : on arrivait dans une ville créée ex nihilo.
Si cette image est basée sur des éléments objectifs, Sarcelles traîne ce cliché qui a un peu évolué mais qui reste connoté négativement, même si beaucoup de personnes ont de nombreux bons souvenirs de cette période.
Mais là nous parlons du Sarcelles de construction contemporaine, parce qu’il y a aussi Sarcelles village : le vieux Sarcelles. Le Sarcelles historique a été édifié au bord du Petit Rosne et regroupé autour de l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul qui date du XIXème siècle. Son architecture très ancienne a évolué, avec des constructions qui ont plus d’un siècle et demi. Le Manoir de l’Hôtel de ville est un manoir historique, il a été classé. Sarcelles village reste comme une autre ville, avec aujourd’hui une salle de spectacle, une gare, un petit marché couvert.
On essaye depuis des années de créer de l’homogénéité entre ces 2 pôles, ça avance, mais lentement. Aujourd’hui avec des parcours résidentiels, certains qui habitaient précédemment le Grand Sarcelles, habitent aujourd’hui Sarcelles village. Cela crée des liens même si la passerelle de l’un à l’autre n’est pas évidente. Justement nous aimerions relier les deux parties de Sarcelles, avec les mobilités douces, c’est-à-dire tout ce qui n’est par voiture, pistes cyclables etc…
TJ : Ça, c’est un de vos grands dossiers ?
Patrick Haddad : Oui c’est l’un d’entre eux. Il faut changer cette image de la ville. Il y a aussi une image péjorative liée à la crise des banlieues, à la précarité, au chômage, au peuplement fait d’une population d’immigrés. Si la première population qui arrivait était une population française, c’était lié à la crise du logement. Ici nous avons un grand parc de logements sociaux, plus de 50%, par conséquent les gens viennent. Petit à petit, ils acquièrent le potentiel et ont un parcours résidentiel qui va les emmener en dehors de Sarcelles.
TJ : Alors y-a-t-il une âme à cette ville ?
Patrick Haddad : Oui, parce qu’il y a un attachement à cette ville extrêmement important. De nombreuses personnes ont réussi en partie à Sarcelles. Aujourd’hui, on retrouve des gens qui ont vécu durant des années et des années à Sarcelles, qui sont partis mais ont l’envie de revenir, pour y travailler, pour y apporter quelque chose. A titre d’exemple, la Fondation Vareille, créée par Hélène et Pierre Vareille. Cet industriel a bien réussi. Il est, avec son épouse, passionné de culture. Il a créé une Fondation. Depuis 2 ans ils ont développé le projet suivant : offrir des cours de violon à des enfants de 6 à 9 ans. Pierre Vareille a ciblé la ville de Sarcelles. Pourquoi ? « Parce que moi, je suis allé à l’école à Sarcelles » a-t-il expliqué. Il faisait alors partie, lui qui a environ 60 ans, de ces premiers habitants qui ont bénéficié des nouveaux logements à Sarcelles. Il a donc voulu cibler l’école dans laquelle il était allé, petit. Hélène et Pierre Vareille veulent que les enfants aujourd’hui puissent bénéficier d’une possibilité d’émancipation. Là il s’agit de culture, mais nous avons comme ça d’autres exemples de gens qui disent : « Moi volontiers, je reviens, pour développer des projets à Sarcelles, parce que je suis resté attaché à cette ville ».
J’aimerais aujourd’hui les faire travailler davantage en réseau. Et qu’il y ait une forme de parrainage. Pour faire du grand, ensemble !
Ainsi, même si la ville a changé, même si la population a beaucoup évolué, on ne peut plus dire : les gens ne réussissent pas dans cette ville-là : il faut juste comprendre que lorsqu’ils réussissent, ils partent. On remet alors des gens plus pauvres et pour la plupart, les contingents qui ont accès au logement social sont des personnes envoyés par la Préfecture, dans le cadre d’accueil des populations venues de toutes parts. La population a beaucoup évolué, avec une composante issue de populations plutôt fragiles qui arrive : on essaye de rééquilibrer ça.
Nous, dans le cadre des projets immobiliers en cours, on essaye d’offrir de l’accession à la propriété à ces gens qui ont vécu ici et qui sont prêts à y rester et à investir, par l’accession à la propriété ou dans le Parc social, tout en restant proche de leurs amis, de leur famille, de leur cadre de vie.
Cela permettrait en partie de stabiliser la population, et c’est un enjeu. Lorsque vous avez la plupart de vos logements qui relèvent du Parc social que vous ne maîtrisez pas, et qui relève du droit au logement, même si cela fait partie de notre mission que de les aider et de les accompagner, ce n’est pas nécessairement facile.
TJ : La dimension juive de Sarcelles, elle existe toujours ?
Patrick Haddad : Oui la communauté juive de Sarcelles existe toujours. Dans le phénomène migratoire les gens aiment bien vivre avec ceux qu’ils connaissent. Ils ont naturellement tendance à vouloir se regrouper, par affinités. C’est valable pour la communauté juive mais aussi pour les autres communautés de la ville. Comme à Créteil ou à Villeurbanne, on trouve ces populations qui ont recréé, depuis les années 1960, une vie à partir d’affinités et une vie communautaire. Ça fait donc plus de 50 ans, presque 60, que la communauté juive existe à Sarcelles. Et le phénomène le plus notable, c’est qu’elle est bien inscrite dans le temps.
En nombre elle doit être un peu en érosion, mais elle reste très importante. Au total, je dirais qu’il n’y a pas moins de 10 000 habitants juifs. A noter : 2 autres évolutions notables, la première étant une stabilité avec un peu d’érosion numériquement, la 2e étant plus importante que la petite baisse numérique – la communauté s’est déplacée – Ce 2e point, très lié au premier, acte que la communauté juive, qui était un peu dans toute la ville, surtout dans le Grand Ensemble, et pas à Sarcelles village, où il y a très peu de logements sociaux, est aujourd’hui présente dans les zones pavillonnaires, à Sarcelles Village, et plus encore sur la commune voisine de Saint-Brice, qui est une sorte d’extension de la communauté juive de Sarcelles. Donc si on regarde non pas Sarcelles seule, mais Sarcelles plus Saint Brice, qui est limitrophe, contigu de Sarcelles Village, si on englobe cette zone-là, je pense qu’il y a au moins autant de Juifs qu’avant, si ce n’est davantage.
S’agissant du Grand Ensemble, la communauté juive est essentiellement présente sur un quartier. Et c’est un phénomène extrêmement notable, cette population concentrée sur un quartier, celui de la Grande Synagogue. C’est un quartier où vous avez, à côté de la Grande Synagogue, beaucoup d’autres offices, et, juste derrière, des écoles juives, des commerces, des restaurants, des supermarchés très marqués, des salons de thé, un centre communautaire. Toute la vie associative également, les Institutions juives, toutes les commodités juives sont présentes dans ce quartier qui attire à la fois les habitants du quartier, les habitants juifs des autres quartiers, mais encore les habitants des communautés juives aux alentours. Ici les jours de fêtes, par exemple pour Shabbat, vous avez au moins une vingtaine d’offices, voire 25 pour les fêtes, et quand on est élu, on ne peut pas faire le tour en une seule matinée !
TJ : Donc cela veut dire que ces gens-là ne se sentent pas en danger ? Sinon ils seraient partis ?
Patrick Haddad : Cela se passe globalement bien, sans du tout nier certaines tensions. Cependant ce qui me gêne un peu, c’est l’effet miroir déformant : Vous prenez une réalité qui est une réalité minoritaire, et elle devient l’image majoritaire. La réalité pour moi est celle-ci : il y a oui parfois de l’antisémitisme, mais ça n’est pas ce qui caractérise la vie de ce quartier. On sait bien que depuis les années 2000, il y a une résurgence de l’antisémitisme, et puis encore ce nouvel antisémitisme, caché sous un antisionisme lié au conflit israélo-palestinien, et malheureusement Sarcelles n’échappe pas à cela. Tous les juifs de France ressentent la même chose, et ce n’est hélas pas qu’un ressenti. Sarcelles n’échappe pas aux actes antisémites. Les Juifs de Sarcelles vivent la même chose que les autres Juifs de France : une résurgence de l’antisémitisme. Comme en Belgique, en Angleterre, où les témoignages sur l’antisémitisme en lien avec le conflit israélo-palestinien en particulier sont inquiétants.
En juillet 2014, il y a eu des événements qui ont traumatisé la population. Suite à la recrudescence du conflit à Gaza. Il y a eu une manifestation de soutien au BDS. Et pas seulement au BDS. Nous avons eu droit aux slogans et banderoles « Mort aux Juifs »… La manifestation était interdite par la Préfecture et par la Mairie. Elle a été maintenue, avec des mots d’ordre un peu plus pacifiques. Mais cela a fini en émeutes avec des débordements à caractère antisémite et avec des commerces saccagés. Le cortège s’est dirigé de façon très agressive vers la synagogue, les forces de l’ordre, le SPCJ étaient là. Cela s’est dispersé à la fin, un peu grâce à la pluie… Cela a beaucoup marqué les esprits. On ne me parle systématiquement que de ça dans les interviews. C’était il y a 5 ans. Cela ne s’est pas reproduit. J’espère que cela ne se reproduira jamais.
Ces faits-là, ces phénomènes-là, il ne faut pas les nier, il faut en analyser les causes, il faut les prendre très au sérieux. Mais je ne veux pas qu’on ramène Sarcelles à ça et uniquement à cela. À Paris il y a eu exactement les mêmes exactions, et pourtant, quand on interviewe la Maire de Paris, on ne lui parle pas d’abord de ça.
Encore à noter : c’est une communauté juive beaucoup plus pratiquante que dans le passé. Ça n’est pas anecdotique, c’est extrêmement important. Moi qui ai grandi ici, je constate qu’il y avait beaucoup moins de commerces juifs, il y avait beaucoup moins de gens très pratiquants. On a aussi une communauté Loubavitch, qui s’est structurée dans les années 1980. Un émissaire d’origine marocaine envoyé par le Rabbi de New-York est venu au milieu des années 1980. Cette communauté est extrêmement active. Les Loubavitch sont ceux qui sont les plus actifs, dans le judaïsme le plus visible, et puis, – ça fait partie de leurs fondamentaux- ils ont le sens de la simha, la joie, et cela de façon visible, joyeuse, et par exemple pour Lag Ba’omer, la fin du deuil de Omer, dans les 40 jours qui suivent Pessah, ils font une très grande parade. C’est perçu par les non Juifs comme du folklore local, un folklore comme un autre. Parce que nous avons beaucoup d’autres communautés, donc très franchement, tout cela ne pose aucun problème.
TJ : Avez-vous une part là-dedans ?
Patrick Haddad : Oui certainement. Mais mon prédécesseur plus encore que moi. Il a fait en sorte de travailler avec tout le monde. Ce phénomène communautaire existe, donc si on rejette les gens au nom de la laïcité, parce qu’ils sont structurés autour de communautés religieuses, on passe complètement à côté de sa propre ville. Donc il faut travailler avec chacun, lui reconnaître son existence pleine et entière et sa citoyenneté, dialoguer dans les Valeurs de la République. On demande à ce qu’ils se reconnaissent mutuellement, à ce qu’ils se respectent, qu’ils travaillent avec tout le monde. Ce lien-là doit avoir un vrai contenu politique, un sens qui est celui de la vie de la Cité. La vie de la cité doit être organisée en tenant compte de ce phénomène-là et non pas en le combattant, et, à mon sens, pas non plus en l’exacerbant.
Lorsque vous avez des gens qui viennent du monde entier, quand vous avez un phénomène religieux aussi marquant, comme celui de la communauté juive, des gens pratiquants de la communauté musulmane, des gens pratiquants dans la communauté chrétienne, avec des chrétiens qui viennent d’Orient, très pratiquants, qui ont une vraie vie communautaire et religieuse, quand on met tout cela bout à bout, et étant donné les désordres du monde, la crise des banlieues, la crise sociale etc., on se dit que c’est un peu ça le miracle Sarcellois : ça pourrait exploser mais ça n’explose pas. Parce que personne n’y a intérêt. Mais en fait, dans leur vie quotidienne, quel intérêt auraient les gens à se monter les uns contre les autres ? Ça n’aurait aucun sens.
TJ : Ce melting pot. Toutes ces communautés…
Patrick Haddad : Ce qui est intéressant sociologiquement à Sarcelles, c’est que vous n’avez pas une origine ou une communauté qui soit majoritaire à elle seule. Vous avez donc la communauté juive, importante, la communauté musulmane également, avec une partie d’Afrique sub-saharienne, et une partie maghrébine. Vous avez aussi, historiquement, une communauté ultra-marine, antillaise, une communauté comorienne, une communauté pakistanaise, une communauté tamoul, le Sri Lanka est également représenté, une communauté indienne, et vous avez une communauté assyro- chaldéenne, formée de chrétiens venant de Turquie, qui ont leur propre église, où les prières sont en araméen, et puis, l’église catholique, avec sa propre communauté.
Moi lorsque je me déplace dans ces communautés, je leur dis : On est là pour travailler ensemble, chaque communauté doit marcher aussi avec les autres communautés. Et chaque communauté doit marcher aussi pour l’ensemble de la ville. C’est un dialogue permanent à l’ouverture. Parce que souvent on se gargarise de mots sur le communautarisme. Or le communautarisme, on le voit chez les autres, mais on ne le voit pas dans sa propre communauté. Pour être clair, la communauté c’est la structuration d’individus autour d’un certain nombre de principes et d’affinités et autour d’organisations, et ça, on l’accepte, parce que ça fait partie des libertés fondamentales. Par contre, le communautarisme, c’est lorsqu’on se referme sur soi. C’est ce que l’on veut éviter, que chacun se referme sur sa communauté, et se construise contre le reste de la population et contre la République. Pour y parvenir, c’est un travail quotidien, et c’est aussi un travail dans la durée. Alors oui, de temps à autres, on a des actes antisémites, on a aussi des actes islamophobes, des actes de racisme « ordinaire », et ils sont souvent le fait de petites bandes de délinquants. Dans ces cas-là, tout le monde travaille ensemble : la mairie, la police municipale, nationale, les médiateurs… Nous prenons cela très au sérieux. Nous avons aussi dans les communautés des problèmes de délinquance, comme partout ailleurs, qui sont exacerbés par des problématiques sociales. Les statistiques de pauvreté et celles de délinquance sont également corrélées dans toutes les zones urbaines de France : nous n’échappons pas à la règle. Quand se rajoutent à ça des phénomènes de racisme et d’antisémitisme, ce qui peut aussi arriver, nous sommes très vigilants et le combattons sans relâche, mais une nouvelle fois, ce n’est pas le phénomène majeur.
Le phénomène majeur, ici, ce sont des gens qui se promènent tranquillement dans leur tenue traditionnelle. Un gamin qui prend le tramway avec sa kippa ne subit pas d’insultes tous les jours. Le risque existe, et malheureusement cela arrive, mais ce n’est pas un phénomène majoritaire. Le phénomène majoritaire étant plutôt la tolérance, le respect.
TJ : Le fait que vous soyez un maire juif a-t-il posé des problèmes ?
Patrick Haddad : Il faut reconnaître que c’est une situation relativement rare. Dominique Strauss-Kahn a été maire durant 2 ans. Il n’a pas été seulement Maire d’ailleurs, il a été Député… La question s’est déjà posée au sujet de l’identité du Maire ou du Député, et je n’ai pas, moi, le sentiment que ce soit un élément de crispation. Il est vrai que je fais le tour de toutes les synagogues pendant les fêtes, mais je fais aussi le tour de toutes les mosquées, à la fin de Ramadan, J’ai aussi pris le soin de faire une rupture de jeûne quotidienne dans chacune des mosquées, j’ai été très agréablement surpris par la façon chaleureuse et respectueuse dont j’ai été accueilli dans les mosquées.Et j’ai également assisté à plusieurs messes.
TJ : Etes-vous confronté à un islam radical ?
Patrick Haddad : Dans la Grande Mosquée de Sarcelles, il y a eu une tentative de prise de pouvoir par des mouvements radicaux. Les dirigeants de la mosquée ont lutté contre avec l’aide des autorités locales et ont pu les empêcher de prendre la direction de la mosquée. Aujourd’hui il faut rester prudent. Nous voulons soutenir les modérés, mais nous ne sommes pas à l’abri que cela se reproduise. Ces tentatives de prise de pouvoir existent dans beaucoup de banlieues. Nous sommes en lien avec les Renseignements Territoriaux. Il faut avoir une réelle vigilance sur cette question. II faut surtout travailler avec toutes les communautés : Ça n’est pas la République contre les Mosquées, c’est l’ensemble des Républicains, qu’ils soient athées, pratiquants, ou de quelque religion que ce soit, qui ont ce même projet dans lequel tout le monde respecte tout le monde, dans une même philosophie, et cette philosophie- là est très amplement partagée, même si bien sûr il y aura toujours des gens pour surfer sur quelques tensions communautaires.
TJ : Dimanche 4 octobre un jeune de Sarcelles est mort à Villiers-le-bel
Patrick Haddad : Oui, Ibrahima BA est mort Dimanche alors qu’il n’avait pas 23 ans et je souhaite redire tout mon soutien à sa famille dans cette terrible épreuve. Je suis en contact régulier avec elle. Dès que j’ai appris le décès tragique d’Ibrahima, je me suis entretenu avec la commissaire de police de Sarcelles, puis avec le Procureur de la République pour m’assurer que tout allait être mis en œuvre pour que la lumière soit entièrement faite sur les circonstances de l’accident.
TJ : Sans transition, revenons, Monsieur le Maire, à vos autres grands projets. Quels sont-ils ?
Patrick Haddad : Conforter ce modèle de tolérance Sarcellois. Celui qui consiste à travailler avec tout le monde. Pour cela, nous travaillons sur un grand projet éducatif, dans les écoles publiques en particulier mais aussi avec les écoles privées. Dans ce registre-là, nous avons aussi un plan contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, avec la Dilcra, avec la LICRA, l’UEJF, et SOS-Racisme. Nous avons mis en place une série d’actions, des programmes qui coexistent dans les établissements scolaires publics et privés, le but étant de déconstruire les préjugés. Parce qu’ils existent. On leur apprend à se servir d’Internet, de ce point de vue là, mais le travail se fait aussi avec des associations sportives, culturelles. Un travail sur la Mémoire aussi : on a beaucoup d’actions ici pour reconnaître la Mémoire de chacun. La population arménienne a été frappée par le même génocide que la population assyro-chaldéenne. Nous voulons travailler sur la Mémoire de façon globale, faire que ce ne soit pas seulement les gens qui ont subi ces traumatismes se sentent concernés.
On veut aussi que les gens apprennent à se reconnaître au-delà de leur communauté. Nous multiplions par 3 le volume de la Médiathèque. Nous voulons « tirer parti » du vrai brassage qu’il y a entre les populations. En leur donnant aussi de grands lieux de vie bien partagés, mieux partagés…
Un autre projet, c’est l’Université Populaire avec une série de Conférences de professionnels sur différents sujets de société, pour aller vers une structuration de pensée, débattre de grands sujets d’actualité, au-delà bien sûr de toute appartenance communautaire.
Cette première partie est vraiment sur l’éducatif, le culturel, et tout ce qui peut faire commun. C’est vraiment de la cohésion, de la cohésion sociale.
Mais il y a aussi la rénovation urbaine. Cela fait partie de toutes les négociations qu’on peut avoir avec l’État, avec le nouveau programme de Rénovation urbaine : nombre de quartiers et d’équipements en ont besoin, les grands ensembles s’essoufflent, on veut améliorer les logements et les équipements. Nous avons aussi le projet d’avoir une grande salle de spectacle, le grand ensemble a besoin de cet apport culturel, et puis, dans les grands projets structurants, et là, c’est à Sarcelles Village, cela s’appelle le Cèdre bleu. Il appartenait à la Ville de Paris il y a encore 4 ans. La ville de Sarcelles le reprend avec des partenaires. L’objectif étant d’en faire un grand parc, avec des établissements sociaux et culturels.
TJ : Toujours la culture au centre ?
Patrick Haddad : Oui, la culture, le social. Et puis cette dimension pour laquelle il y a une vraie appétence : le développement durable. S’il est vrai que nous, nous avons été extrêmement happés par les questions sociales, puis les questions identitaires, qui sont passés avant, très largement. Mais cette préoccupation, de la préservation de l’environnement, du développement durable, est partout, et très importante chez les plus jeunes.
Nous avons une petite rivière à Sarcelles, un cours d’eau qui s’appelle le petit Rosne. Il s’était enfoui en grande partie, on va continuer de l’ouvrir, de le restituer. Il y aura ce parc, le Cèdre bleu, de 8 ha, on veut rendre cet espace aux familles, que les familles puissent aller s’y détendre, s’y promener, ce sera un petit peu notre Central Park, avec une crèche, un accès handicapés, une zone pavillonnaire, je veux améliorer le cadre de vie avec des projets qui vont structurer les choses.
Sur 10 ans… Si nous faisons aboutir ces 3 projets, que l’on travaille avec la Communauté d’agglomération à laquelle nous sommes rattachés, c’est travailler sur le développement économique et sur l’emploi, et donc aussi sur l’accès aux richesses et aux emplois liés à la zone aéroportuaire. Aujourd’hui, nous n’en bénéficions pas assez, notamment parce que les transports ne sont pas fluides. Pour aller à Paris, c’est fluide, Châtelet est à 30 minutes. Mais pour la zone aéroportuaire avec ses 100 000 emplois, avec en plus les emplois qui vont continuer à se créer, cela fait des années qu’on se bat pour ça, nous sommes encore sur des difficultés. Il faut faire en sorte que la zone économique, la richesse de la zone économique de Roissy nous bénéficie davantage…
Si nous tenons tout cela, ça fait un beau programme. Donc le mandat à venir est déjà bien rempli.
On ne peut que féliciter Patrick Haddad pour ses initiatives variées visant à rassembler les différentes communautés, tout en étant conscient de la présence réelle, dans la ville, de divers éléments perturbateurs ayant tendance à stigmatiser les Juifs dès que certains événements politiques en Israël les contrarient.