Direction d’école : ce métier où l’on peut souffrir en silence et mourir. Par Laurence David
Christine Renon. Elle s’appelait Christine Renon, cette directrice d’école dont le tweet administratif et glacial de Jean-Michel Blanquer ne fait apparaître ni le nom, ni le mot suicide. Elle n’a pas eu la force d’attendre « le bonheur professionnel des personnels » qu’évoquait le ministre dans sa conférence de presse de rentrée et a mis fin à ses jours dans son école.
Nombreux sont ceux qui ont lu sa lettre, publiée à la demande de sa famille. Elle dit tant de choses. Sa longueur et la précision des mots montrent tout ce qu’il faut écrire pour que l’Education nationale ne puisse pas se dédouaner de toute responsabilité par l’habituelle expression « Elle avait des problèmes personnels ».
Morte noyée, étouffée, ensevelie par cette institution pyramidale
N’en doutons pas : Christine est morte noyée, étouffée, ensevelie par cette institution pyramidale où le respect des personnels se limite à quelques mots de communicants, placés dans la bouche d’un ministre, sans jamais se traduire par un acte concret.
Pour comprendre son geste, il faut savoir que dans cette pyramide, chacun estime avoir fait son travail lorsqu’il a transmis une consigne venue d’en haut à l’échelon inférieur. La question de sa faisabilité n’est jamais abordée, la pratique du retour d’expérience pour améliorer le système n’existe pas, pas plus que des canaux efficaces pour faire remonter les difficultés du terrain.
Tout en bas de l’échelle, le directeur ou la directrice assume seul(e), parfois en ayant sa classe en parallèle, la complexité de la mise en pratique. Il œuvre sans secrétariat, quelquefois avec son propre matériel informatique car aucun cahier des charges n’existe pour définir l’équipement minimal d’une école. Certains sont même contraints de s’aménager un « coin direction » dans un placard car les inégalités territoriales s’incarnent aussi dans les conditions de travail à l’école. C’est donc au niveau de ces personnels, chargés de diriger sans être supérieur hiérarchique, que va naître le plus nettement le sentiment de perte de sens, la souffrance due aux injonctions paradoxales (obligations qui s’interdisant mutuellement, induisent une impossibilité de les appliquer), l’épuisement et la solitude.
Qui pourrait trouver du sens à rédiger un Plan Particulier de Mise en Sécurité dans une école en carton pâte, totalement vitrée et sans volets ? Que répondre aux élèves qui, à quatre pattes sous les tables, vous disent pendant les exercices de confinement : « Maîtresse, ça ne sert à rien, si le méchant tire par la fenêtre, on va mourir » ? Comment ne pas avoir le sentiment que votre administration cherche à vous piéger, lorsqu’elle vous transmet les documents en de multiples pièces jointes, contenant tant de liens hypertextes, que vous risquez de passer à côté de l’essentiel ? Comment ne pas trouver absurde de faire chaque année le même test académique d’alerte par sms sur son téléphone personnel, auquel on ne peut répondre qu’en rentrant chez soi le soir, car son école est hors réseau de téléphonie mobile ? Doit-on accepter avec sérénité que le conseiller prévention vous réponde en souriant : « Ne t’inquiète pas, c’est bon, marque juste que ça ne marche pas dans la case de l’application informatique de l’Inspection » ? Combien de directeurs se sont-ils dit, en apprenant la nouvelle de ce petit garçon sauvé par deux assistantes maternelles alors qu’il s’étouffait à la cantine, que si l’accident s’était produit à l’école, il serait peut-être mort, puisque aucune mise à jour régulière des compétences aux gestes de premiers secours n’existe pour les enseignants ?
Des textes rédigés dans le confort feutré de la rue de Grenelle
Ce sont des idées semblables qui tournent en boucle dans la tête des directeurs et directrices consciencieux. C’est ce conflit entre éthique personnelle et loyauté envers l’institution qui les ronge. Ce sont ces textes rédigés dans le confort feutré de la rue de Grenelle sans jamais évaluer le réel du terrain qui désespèrent ces personnels en charge d’impossibles mises en œuvre. C’est la cruauté des images d’écoles idéales castées sur mesure pour les visites Potemkine des ministres qui sont intolérables.
Mais le plus indécent, face à cette souffrance, est qu’il n’existe aucune médecine du travail dans l’Education nationale. De plus, si les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ont bien été mis en place, très peu de personnels du premier degré connaissent leur existence, pas plus que la possibilité d’utiliser les Registres Santé et Sécurité pour faire remonter les situations difficiles. L’inertie de l’administration à mettre en place ces outils et à vérifier l’existence effective des registres dans chaque école en dit d’ailleurs long sur la volonté réelle de permettre l’amélioration des conditions de travail et de sécurité. Jean-Michel Blanquer a affirmé dans sa conférence de presse de rentrée vouloir relever « le défi du bien-être au travail des personnels ». Il est plus que temps. Il est surtout trop tard pour Christine Renon et bien d’autres.
Très bon article sur la lourdeur administrative et le manque d’empathie de cette machine mammouthesque qu’est encore l’Educ. Nat. La plupart du temps c’est le pas de vagues qui tient lieu de remède à tous les maux (!) et c’est de là qu’il faudrait partir pour une remise à plat et en ordre de l’enseignement public français. Il existe une médecine du travail dans l’enseignement supérieur ; il faut que les profs du Primaire et de Secondaire désormais formés dans l’Universite s’en saisissent au lieu de se soumettre au « pas de vagues » qu’ils relaient parfois avec trop de docilité ; il y a aussi besoin de signaler aux Inspecteurs d’academie sous le chef d’information préoccupante le délabrement des locaux scolaires et les pathologies déclenchées par cet état de choses chez les personnels plutôt que de cultiver la honte et l’isolement en intériorisant la loi du silence. Sans parler du cas de cette professeurs qui hélas n’est plus, il est un fait que tant que la base ne sera pas plus solidaire et active pour dénoncer collectivement ce qui ne va pas, on restera dans le statu quo. Il ne s’agit pas de se plaindre pour se plaindre mais de se mobiliser, comme citoyens, pour rendre toujours vivable ce qui reste le plus beau métier du monde. J’adresse un salut très fraternel et admiratif à mes collègues du « terrain »