Daniela Touati. Madame le Rabbin libéral se raconte à Michèle Chabelski

Rabbin Daniela Touati

Je vais commencer par rappeler en quelques mots votre parcours pour le moins inédit. Vous êtes née Daniela Losner en Roumanie où vous avez vécu jusqu’à l’âge de 7 ans.

Vous êtes ensuite partie en Israël, pays qui vous a « achetée » aux Ceausescu, opération assez peu connue du grand public.

Puis à l’âge de 11 ans vous rentrez en France avec votre famille qui était francophone et c’est là que vous poursuivez vos études.

Votre papa n’était pas très pratiquant, mais profondément sioniste.

Votre maman était d’une famille traditionaliste et elle comptait même au moins un rabbin dans sa famille (comme la famille de votre papa d’ailleurs !). Mais elle avait adopté la non-pratique de son mari.

Votre école de commerce vous amène au poste de contrôleur de gestion, puis de responsable-marketing.

Vous montez ensuite votre propre cabinet et devenez consultante en recrutement.

Vous fréquentez la synagogue Copernic où vous rencontrez votre futur mari, Hervé Touati.

C’est un Séfarade traditionaliste, et votre chemin conjugal vous conduit ensemble vers un judaïsme éclairé, mais pour faire plaisir à ses parents vous vous mariez dans une synagogue consistoriale.

Vous avez 2 enfants, Romane et Ivan, qui sont étudiants et sont allés dans un Talmud Tora libéral.

Vous vous installez à Lyon où vous fréquentez une synagogue libérale, Keren Or, dont vous devenez présidente.

En l’absence partielle de rabbin, vous assurez vous-même une partie de la fonction (rencontre des nouvelles familles, demandes de conversion, organisation des brit milot, bar/bat mitsvot), mais vous souhaitez disposer de toutes les connaissances pour cela, et vous décidez alors de suivre pendant cinq ans l’enseignement de l’école rabbinique Leo Baeck College de Londres.

Vous avez été ordonnée Rabbin en juillet 2019 par Pauline Bebe.

Vous avez 53 ans. 

Michèle Chabelski : Pourquoi prend-on la décision de devenir rabbin quand on est chef d’entreprise ?

Rabbin Daniela Touati : Alors que je me formais à divers outils de développement personnel pour enrichir mes compétences dans mon métier d’accompagnement RH, j’ai réalisé qu’il était plus important pour moi d’accompagner les gens vers leur identité juive. Pour cela j’avais besoin d’étudier et devenir rabbin, ce désir allait pouvoir être satisfait à Keren Or, la synagogue libérale de Lyon, où j’avais eu des responsabilités laïques pendant de nombreuses années auparavant.

Le poste n’était pas vacant, il y avait déjà un rabbin à mi-temps lorsque j’ai commencé mes études et je devais compléter ce mi-temps.

Michèle Chabelski : Qu’est-ce qui vous différencie essentiellement des 3 autres femmes rabbins officiant en France, Pauline Bebe, Floriane Chinsky et Delphine Horvilleur ?

Rabbin Daniela Touati :  Peu de choses par rapport à mes collègues, sauf que j’arrive, moi, en seconde partie de carrière, avec une expérience de leadership laïque de Communauté.

Mon intérêt essentiel est l’aspect pastoral, l’accompagnement des personnes, et le lien inter religieux avec les Chrétiens et les Musulmans.

Je souhaite également promouvoir l’essaimage de Communautés libérales en province.

Deux Communautés du Sud de la France m’ont contactée récemment. Elles sont à divers stade de développement, et je serai ravie de les accompagner.

 La vraie différence réside dans le fait qu’il est plus facile d’être une femme rabbin à Paris qui est plus ouverte au judaïsme libéral.

Michèle Chabelski : Il n’est pas toujours facile d’être une femme rabbin en France.

Avez-vous songé à exercer à l’étranger ?

Rabbin Daniela Touati :  Jamais !! La France a besoin d’une voix supplémentaire car elle est très en retard et c’est ici qu’il faut agir.

La preuve de cette rareté des femmes rabbins c’est le grand nombre de demandes d’interviews reçues, comme si j’étais une curiosité, ce qui n’est le cas ni en Angleterre, ni aux Etats-Unis ni même en Israel.

Laliv Cleman, Daniela Touati et Floriane Chinsky

Il y a eu à Troyes au centre Rachi une réunion de femmes rabbins des mouvances libérales, massorti et moderne-orthodoxe qui toutes défendent la parité hommes-femmes dans le judaïsme. Ce dernier courant en en est aux balbutiements en France. L’enjeu est aujourd’hui de taille.

Michèle Chabelski : Avez-vous senti une hostilité, des menaces, une prévention violente des rabbins consistoriaux qui aurait pu vous faire reculer ?

Rabbin Daniela Touati : Non, aucune menace ni hostilité. Jusqu’à présent j’ai eu très peu de contacts avec les rabbins consistoriaux, en revanche j’ai des liens avec les responsables laïques de ces synagogues ainsi qu’avec les instances laïques, telles le CRIF ou le Bnai Brith.

Michèle Chabelski : Des félicitations du grand Rabbin Haïm Korsia lors de votre intronisation ?

Rabbin Daniela Touati : Bien sûr que non. Je l’avais rencontré à un dîner, mais il ne s’est pas manifesté.

Mes collègues, elles, sont en lien avec les instances consistoriales, le rabbin Pauline Bebe notamment dans le cadre de la mise en place du programme Emouna, formation à la laïcité qui regroupe des représentants des différents cultes et qui se déroule à Sciences Po.

Elle a été à l’initiative de ce projet et a travaillé avec le rabbin Moché Lewin, Vice-Président de la Conférence des rabbins européens, il ne faut pas oublier qu’elle est active depuis 27 ans.

Et le rabbin Delphine Horvilleur a une notoriété reconnue de tous.

Michèle Chabelski : Entretenez-vous des liens étroits avec vos collègues ?

Rabbin Daniela Touati : Oui bien sûr, ce sont des collègues et j’ose le dire, des amies.

Michèle Chabelski : Quel est l’objet et l’objectif de la mission d’une femme rabbin en France en 2019 ?

Rabbin Daniela Touati : Accompagner les familles à embrasser leur identité juive et se rendre compte de la richesse et de la joie que cela peut leur apporter.

Il faut savoir qu’aujourd’hui environ 10 % de la communauté juive adhère à une synagogue, alors que cela représente environ 30% de la communauté en Angleterre et aux Etats-Unis.

Il y a certes une augmentation du nombre de familles adhérentes du côté libéral, mais pas du tout du côté consistorial – à ma connaissance à Lyon, en tout cas-. Peu de gens vont au Talmud Tora consistorial et les soirées de Chabbat ne sont pas très remplies.

Nous avons chacun notre place.

Il y a également un courant de Juifs modernes-orthodoxes qui se développe, notamment aux Etats-Unis, Angleterre et en Israël, qui ordonne des femmes rabbins.

Michèle Chabelski : Votre interprétation des textes est-elle très différente de celle des rabbins consistoriaux ?

Rabbin Daniela Touati : Pour certains de ses aspects très différente. L’observance des règles éthiques de la relation à l’autre prime par exemple sur le rite.

Il faut savoir que le Judaïsme réformé a fêté ses 200 ans l’an dernier.

L’interprétation de la Halakha (Loi juive) est en pleine évolution.

Par exemple, nous prônons l’égalité Hommes-Femmes, car rien n’interdit aux femmes d’étudier ou d’être actives au sein de la communauté.

C’est une interprétation restrictive des rabbins, ou la prise en compte de voix minoritaires du Talmud qui a interdit certaines choses aux femmes.

Ce sont ces voix minoritaires qui ont été retenues en France mais également en Israël.

Il y a une sorte de repli, on a mis des barrières pour interdire aux femmes des choses qui leur étaient autorisées dans le Talmud. C’est très facile à démontrer.

Michèle Chabelski :  Votre position concernant les conversions ?

Rabbin Daniela Touati : Nous accueillons les personnes qui désirent se convertir de manière ouverte et bienveillante, ce qui n’empêche pas une étude rigoureuse de 2 ans pour se présenter devant le Beth Din.

Nous n’érigeons pas de barrières comme le Consistoire, nous ne culpabilisons pas les gens en conversion s’ils n’ont pas respecté tel ou tel Commandement.

Ils ne sont pas surveillés, mais encouragés à fréquenter la synagogue et des foyers juifs où ils pourront observer la pratique de la loi juive.

Leurs vêtements, leurs fréquentations, leur niveau d’observance, sont laissés à leur libre arbitre et à leur choix éclairé, il en est de même pour les membres de notre synagogue.

 Notre accueil est très chaleureux car nous considérons que ces conversions sont une chance pour le peuple juif.

C’est même une forme de réparation de la Shoah d’accroître dans nos rangs le nombre de Juifs.

Nous sommes rigoureux sur l’apprentissage des textes, mais nous privilégions un accueil bienveillant et inclusif.

Michèle Chabelski : Les femmes peuvent-elles être comptées pour un mynian ?

Rabbin Daniela Touati : Bien évidemment. Chez nous les femmes ont autant de droits et de devoirs que les hommes. Je l’ai dit : je suis pour l’égalité totale Hommes-Femmes.

Michèle Chabelski : La mode du mariage où officient des représentants de deux cultes, un rabbin et un prêtre ou un imam, arrive en France. Y êtes-vous favorable ?

Rabbin Daniela Touati :  Absolument pas. Lorsqu’un couple mixte se marie, certains rabbins libéraux acceptent de les bénir, il ne s’agit pas d’un mariage, et il n’est pas question qu’un représentant d’un autre culte soit présent. Il s’agit là d’une bénédiction, pas d’un mariage. Un mariage juif suppose un certain nombre de rites, de symboles et de documents. Cette cérémonie mixte ne peut en aucun cas être considérée comme un mariage juif.

Michèle Chabelski : Pourriez-vous bénir un mariage gay ?

Rabbin Daniela Touati :  Tout à fait. Si les 2 mariés sont juifs, sans problème. Les Juifs libéraux se sont alignés sur la loi civile qui officialise le mariage homosexuel, et un rituel spécifique a été conçu pour les couples juifs homosexuels.

Michèle Chabelski : Quelle est votre position sur la PMA ?

Rabbin Daniela Touati : Question difficile. J’y suis favorable mais je suis contre la gestation pour autrui. Qui est légale en Israël. Je sais qu’il est écrit Croissez et Multipliez, mais il est essentiel pour moi que la part éthique prime sur le reste.

Michèle Chabelski : Quelle est votre opinion sur les homosexuels et les transsexuels dans la communauté ?

Rabbin Daniela Touati : Ils y ont tout à fait leur place et sont parfaitement accueillis dans ma synagogue.

On y reçoit du reste toutes les personnes qui sont mises à la marge dans les synagogues traditionnelles, ils sont accueillis avec respect et bienveillance, comme n’importe quel autre membre.

Michèle Chabelski : Considérez-vous comme normal que seule la mère puisse transmettre la judéité à un enfant ?

Rabbin Daniela Touati : C’est la grande question de la matrilinéarité opposée à la patrilinéarité.

La tradition de la patrilinéarité, d’origine biblique, a été appliquée jusqu’au début du Moyen-Age (Talmud).

Les choses ont ensuite changé.

C’est une préoccupation importante dans une société souvent monoparentale (Il arrive que ce soit le père qui élève les enfants) et où les enfants portent le nom juif de leur père.

Il s’agit d’une confirmation de judéité. Pour l’adulte, cela passe par un processus qui ressemble à la conversion, mais qui en règle générale dure moins longtemps. Pour l’enfant, la fréquentation des cours de Talmud Tora et la bar/bat mitsva confirment leur statut.

Notre religion n’est pas uniquement ethnique et déterminée par une filiation par le sang, donc passive. Elle passe aussi par l’Enseignement, et devient active.

Michèle Chabelski : Une question plus légère. Les 4 femmes rabbins françaises sont ashkénazes (rires) Pourquoi ?

Rabbin Daniela Touati : Ne vous inquiétez pas, des femmes rabbins séfarades arrivent. Ça va se rééquilibrer. Je porte un nom séfarade, beaucoup de gens croient donc que la 4 -ème femme rabbin est séfarade !

Il faut savoir que le 1er rabbin libéral à Copernic après-guerre était André Zaouri z”l et était originaire d’Algérie.

Il y a eu également Albert Dahan, Daniel Farhi…

Michèle Chabelski : Vous prônez la parité et l’égalité et cependant vous portez exclusivement le nom de votre mari. N’avez-vous pas été tentée de porter vos deux noms ? (Rires)

Rabbin Daniela Touati : C’est une question qui s’est posée au début de mes études rabbiniques.

Mes enfants avaient un peu peur et honte d’avoir une mère rabbin et auraient souhaité que je reprenne mon nom de jeune fille : Losner, nom d’origine polonaise…

Mais j’étais contente de porter le nom de mon mari à cause de l’Histoire lourde à porter… Porter un nom séfarade me plaît beaucoup…

Michèle Chabelski : Madame le Rabbin, merci infiniment d’avoir répondu à nos questions avec une grande patience et une grande sincérité.

www.rabbintouati.com

www.kerenor.fr

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1 Comment

  1. Michelle merci pour cette découverte exceptionnelle pour moi !

    encore une fois en cette nouvelle année 5780, que du bonheur à vous et votre famille.

    est-il possible d’entrer en contact avec Mme le Rabin Daniella TOUATI, nous sommes dans le Tarn exactement le type de communauté dont elle parle et dont j’ai l’honneur d’être la coprésidente et la représentante auprès des institutions laïques et religieuses.

    j’ai 50 ans
    et son parcours de vie m’interpelle tant dans ma vie personnelle que dans la vie de notre communauté tarnaise.

    a vous lire, vous entendre, et vous rencontrer chère Michèle lors d’un séjour à Paris.

    helena benarroch – 06 79 17 92 29

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