Dans l’éblouissement d’un pays de lumière dans l’air éthéré, au soleil de onze heures pimpant, et quand le vent du sud faisaient trembler soirs embrasés, les enfants savaient que les roses sont éternelles.
Je me souviens des champs de blé qui ondulaient dans l’air léger du printemps revenu à l’été brulant qui jaunissait sous un soleil de fer.
Je me souviens des frimas de janvier qui chassaient les douceurs de l’automne sur nos hautes terres.
Je me souviens des neiges de février qui amoncelaient leurs couches blanches jusqu’au niveau de nos yeux et transformaient les toits de tuile, en grands chapeaux dont les stalagtiques étonnants.
Je me souviens du lumineux et tendre soleil de mars qui transformait la neige, en perles d’eaux brillantes de mille feux et des vents nouveaux pourchassant d’immenses nuages fuyant sur le fond d’un ciel bleuté à nul autre pareil.
Je me souviens du soleil pointu et aérien d’avril qui piquait ses rayons; sur nos épaules, vers onze heures, le matin et passait au-dessus de nous, pour caresser nos cheveux un peu fous.
Je me souviens nos courses échevelées en toutes saisons, dans la campagne toute proche qui jouxtait nos maisons, enivrés de vent, fusant autour de nous, qui courions sans fatigue et sans but, juste pour éprouver le plaisir de vivre et sentir l’air pur balayant la grande plaine.
Je me souviens des fleurs de mai qui irisaient les champs de leurs couleurs chatoyantes au rythme du vol erratique des papillons que nous avions élevés au rang de « papillons-rois » peut être qu’ils avaient plus de couleur et des ailes plus larges, peut être parce que c’était notre bon plaisir.
Je me souviens des chaleurs de juin qui abruptement, tombaient du ciel dans le crissement de centaines d’hirondelles, perçant la nue de leur vol vif et dansant.
Nous sortions à la fraicheur du soir finissant qui ramenait la paix sur la terre et le calme dans nos cœurs.
Je me souviens des lendemains heureux, les yeux papillonnants vers l’azur réconcilié.
Je me souviens des juillets brûlants enflammant les rues désertées de notre ville plantée dans notre haute plaine. Nous passions la nuit adoucie devant les terrasses des brasseries (Les cafés) bruissantes des murmures et des secrets échangés par les familles et leurs amis « attablés » tandis que des vendeurs d’eau s’égosillaient dans les rues alentour.
Je me souviens des défilés majestueux des spahis et des zouaves suivis de la marche solennelle et rassurante de la Légion étrangère en tablier, hache et fusil en bandoulière, le tablier brun entourant le bouc, symbole de sa puissance.
Je me souviens des bals dans la salle en sous sol ou je rougissais de l’invitation des filles à danser.
Je me souviens du temps des orages du mois d’août, qui tonnaient sur la ville rafraichie et des bulles bouillonnantes du choc de la pluie sur les trottoirs et dans les fossés,
Nous ne nous lassions pas des Créponnets faits de glace légère aux parfums éthérés.
Je me souviens des rentrées des classes en septembre, en tablier gris sous le préau, munis de nos cartables qui sentaient le cuir neuf et la solennité d’une nouvelle époque dans le cours de nos vies,
Je me souviens de la découverte (pour certains, les redoublants) la redécouverte des salles de classe avec leurs rangées de tables d’écolier, encriers intégrés et leurs taches d’encre, des générations précédentes. Il nous est resté la riche odeur du cuir des cartables de la rentrée, le parfum inoubliable de notre enfance.
Je me souviens moins du mois de novembre, sauf que les leçons et les devoirs, prenaient beaucoup de temps et ne laissaient pas nos imaginations courir librement dans les espaces de ce beau pays.
Je me souviens du mois de décembre, déjà appelés aux classes du secondaire, ou nous devions changer de cour pour passer des maths au latin, du français aux sciences nat.
Nous n’étions plus confinés dans la seule cour des « petits »
Je me souviens de l’enseignement de mes maitres qui m’ont ouvert les portes infinies de la Connaissance, les Humanités aurait-on dit, dans ces jours anciens.
Je me souviens de l’apprentissage de l’aride solfège sous la férule d’un Maître impatient et du jour miraculeux ou je reçus mon bugle, un cuivre doux, qui m’emmena au paradis de la musique et m’introduisit dans le cercle magique des musiciens.
Je me souviens des concerts en plein air: L’aubade au Maire à la Sainte Cécile, patronne des musiciens, même juifs.
Dans les grands jours de printemps, la Formation musicale faisait chanter les flutes traversières (s’il vous plait), les clarinettes, saxophones ténors et barytons, les trompettes, le bugle, le cor d’harmonie, les basses et la caisse claire pour un public bienveillant.
Les concerts du 14 juillet entourés par les gens endimanchés écoutant notre orchestre ma foi, pas moins bon qu’ailleurs, étaient un fête.
Je me souviens du bruissement des robes et des costumes cherchant leurs places dans la salle du Théâtre avant concert, et des notes que nous échangions en sourdine, pour nous mettre au diapason.
Je me souviens d’avoir soulevé le rideau des coulisses pour m’émerveiller de voir la salle se remplir et de tenter d’identifier mes parents inconditionnels naturellement de leur fils musicien, soliste.
Je me souviens des parents élégants et attentifs, et pour moi, de mon père, calé en latin et fort en thème, qui me traduisait près du (Gaffiot) « La guerre des Gaules de César » « l’Enéide et les bucoliques de Virgile » et Sénèque et Tacite….
Je me souviens de ma mère revenant du Marché avec dans son panier un beignet à l’huile chaude et un livre de la « Bibliothèque verte » du bon Petit diable (qui s’appelait comme moi) aux mémoires d’un âne, de la Comtesse bien connue, ma mère m’a projeté vers Alexandre Dumas et ses complots visant à perdre la Reine de France, les exploits de ses mousquetaires hardis : « Bons cœurs et mauvais caractères »
Je me souviens d’avoir lu jusqu’à l’ivresse, les pieds sur le radiateur, les soirs d’hiver, cinq semaines en ballon de Jules Verne, le dernier des Mohicans et d’autres encore.
Je me souviens des ruées vers les plages, tassés nous étions, dans des autos trop petites pour de si grandes familles, et la découverte toujours émerveillée de la mer infinie qui se roulait sous nos pieds impatients.
Je me souviens de la légèreté de l’air de la haute plaine, la perle qui reliait et séparait les montagnes et la grotte merveilleuse, les gorges aux singes turbulents, la forêt ombreuse, descendant vers les immensités du désert redouté.
Je me souviens des jardins frémissants de la rosée de la nuit, lorsque l’aube aux doigts de rose ouvrait les portes du matin.
Je me souviens des bosquets de fleurs dans le jardin enchanté, dominé par la statue blanchâtre de Zeus-Jupiter, gardant l’entrée pour l’éternité et le tombeau de Scipion qui probablement n’y fut pas inhumé.
Un matin, parmi les coquelicots, les pensées, marguerites et boutons d’or qui s’ouvraient à l’aube, une rose est née, et jamais elle ne m’a quitté.
Jamais, je ne l’ai oubliée la rose qui a enchanté mon entrée dans le monde, c’est-à-dire le monde des grands.
Cette fleur unique surgit parfois dans les limbes de la nuit et m’annonce de belles journées.
Il n’est pas douteux que la reine des fleurs est née chez nous, même si des esprits chagrins prétendent que c’est faux, c’est-à-dire des botanistes et autres savants sans imagination.
Soyez sûrs, elle est bien de chez nous, la rose qui sent si bon, qui jamais ne se fane.
Elle ouvre nos vies qui se prolongent dans les replis du temps qui s’échappe comme le sable s’écoule du creux de nos mains.
La rose surgie un jour lointain, préparait un miracle. Mais là se cache un secret à ne pas révéler et qui restera secret jusqu’à la fin des temps.
Les enfants de là-bas, dans leurs villes et dans leurs villages, dans leurs rues et dans leurs champs ont connu les beautés et les merveilles des roses enfouies dans leur jeunesse lumineuse et dorée.
Tous ceux qui y sont nés et ont connu cette étrange contrée, enchâssée dans nos cœurs, peuvent raconter le soleil incandescent de l’Algérie d’avant.
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