Bon
Mardi
16 juillet
Comme une écume frissonnante sur une terreur ancienne, coule la voix de Maman..
Il a frappé violemment à la porte au petit jour.
Police! Ouvrez!!
N’obtenant pas de réponse, il a cogné plus fort encore jusqu’à tambouriner sans une respiration.
Les vociférations du gendarme lui blessent encore les oreilles .
Police!!!!!!
Ouvrez nom de Dieu!!!
OUVREZ!!!!!
Elle en frémit rétrospectivement.
La porte reste close.
Derrière, mère et fille retiennent leur respiration.
Puis on entend dans l’escalier le pas lourd et le souffle court de la gardienne qui monte péniblement.
Mais qu’est ce que vous faites !!! Arrêtez donc tout ce boucan!!
Je veux Eva et Zina Berkovitch.
Hein?
Mais elles sont pas là! Je les ai vu partir très tôt ce matin.
Partir???
Ben oui, elles sont parties.
Loin?
Qu’est ce que j’en sais, moi ? Elles m’ont pas dit. .. En tout cas elles avaient une valise.
Une valise?
La déconvenue fait mousser sa rage.
Il tape de nouveau dans la porte, donne un coup de pied , un second..
Courroucée , la gardienne avertit :vous allez réveiller toute la maison avec ce potin. Arrêtez!!!
Puis elle ajoute, placidement : pas la peine d’insister, je vous dis. Elles sont pas là.
Les années n’ont jamais cessé de charrier la peur et l’émotion dans la voix de Maman.
Elle étouffe un sanglot sec.
Bon.
Le gendarme est fort contrarié. Il ne peut cocher les Berkovitch sur sa liste. Putain de juifs. Qui gênent la bonne marche de l’ouvrage.
Je repasserai plus tard.
Faites comme vous voulez. Je sais pas si elles seront rentrées.
Il fait demi tour avec exaspération et ressentiment.
Suivi de la gardienne. Qui écrase les marches avec irritation.
Ce bruit des pas qui redescendent vrille encore les tympans de Maman. Terreur et soulagement coulent dans ses veines.
Puis un rire.
Au moment de fermer la porte pour fuir en zone libre, elle s’aperçoit qu’elle a oublié sa pince à épiler.
Eva a déjà donné un tour de clé.
Tant pis.
Ouvre Maman s’il te plaît.
Elle rentre ventre à terre chercher sa pince a épiler qui deviendra son talisman et le symbole de sa liberté.
Qui trône aujourd’hui dans ma salle de bains, le bord à peine émoussé.
La gardienne n’a pas son nom sur la liste des Justes parmi les nations.
Dommage.
Cette chronique était un hommage à cette femme qui a permis à ma mère et à ma grand mère d’assurer une lignée qu’une infâme barbarie à tenté de broyer à tout jamais.
Merci Madame
Que cette journée estivale ouvre une parenthèse de recueillement pour cet épisode si déshonorant conduit par certains sbires du collabo honni, Pétain
Je vous embrasse
Michèle Chabelski
Je vous embrasse aussi
Chère Michèle,
J’étais très émue, sinon bouleversée par votre vécu pendant la Shoah.
Je suis mariée avec un ashkénaze depuis 59 ans. En tant que tunisienne, nous avons échappés à la Shoah.
La famille de mon mari Claude, notamment les deux frères de ma belle-mère ne sont pas revenus d’Auschwitz grâce au zèle de la pourriture de la police française.
Comment cela s’est passé? La police française est arrivée dans l’immeuble où vivaient les deux frères, se sont adressés à la concièrge, réclamant les deux frères. Elle leur a précisé l’étage, sont montés, et redescendus en signifiant “qu’ils étaient surement absents.
– Vous plaisantez? Je les ai vu remonter il y a à peu près une demie heure. Remontez, insistez, vous me remercierais.
Mes deux beaux-frères sont inscrits, Alexandre et Godel Borntein sont inscrits dans “Le mémorial de la déportation des Juifs de France” de Serge Klarsfeld, présents dans la liste alphabétique numéro 3.