« Que serait devenu ce million d’enfants juifs assassinés, encore bébés ou déjà adolescents, ici ou dans les ghettos, ou dans d’autres camps d’extermination ? Des philosophes, des artistes, de grands savants ou plus simplement d’habiles artisans ou des mères de famille ? Ce que je sais, c’est que je pleure encore chaque fois que je pense à tous ces enfants et que je ne pourrai jamais les oublier. Certains, dont les rares survivants, sont, il est vrai, entrés dans le camp, mais pour y servir d’esclaves. La plupart d’entre eux sont ensuite morts d’épuisement, de faim, de froid, d’épidémies ou, eux aussi, sélectionnés à leur tour pour la chambre à gaz, parce qu’ils ne pouvaient plus travailler. Il ne suffisait plus de détruire notre corps. Il fallait aussi nous faire perdre notre âme, notre conscience, notre humanité. Privés de notre identité, dès notre arrivée, à travers le numéro encore tatoué sur nos bras, nous n’étions plus que des stücke, des morceaux. Le tribunal de Nuremberg, en jugeant pour crimes contre l’humanité les plus hauts responsables, reconnaissait l’atteinte portée non seulement aux victimes mais à l’humanité tout entière. » (Simone Veil, le 27 janvier 2005 à Auschwitz-Birkenau, à l’occasion du 60e anniversaire de la libération du camp).
Selon un de ses fils, c’était son dernier mot avant de rendre l’âme : « Merci ! ». Cela fait deux ans que Simone Veil est morte, le 30 juin 2017 à Paris. C’est l’occasion de lui rendre une nouvelle fois hommage. Elle fut une femme exceptionnelle. Elle fut une ministre courageuse et déterminée, elle fut une première Présidente du Parlement Européen élu au suffrage universel direct aux convictions en acier inoxydable, elle fut aussi une membre rigoureuse du Conseil Constitutionnel, soucieuse des libertés, de la laïcité et de la lutte contre les discriminations.
Elle a montré qu’il valait mieux être une femme d’action qu’une militante féministe pour faire avancer la « cause des femmes ». Elle ne s’est jamais prévalue d’être une femme, elle n’a jamais mis en avant son combat pour le droit des femmes, parce qu’il y a une certaine indécence à vouloir tout aux femmes en retirant tout aux hommes. Elle ne considérait pas la demande légitime de la reconnaissance des femmes comme une guerre contre les hommes. Elle ne concevait pas la revendication des femmes d’avoir une vie aussi libre que les hommes comme une guerre contre les hommes, mais au contraire comme un complément enrichissant aux combats menés par les hommes sur les fronts que je viens d’indiquer (en particulier, lutte contre les discriminations et construction européenne).
En ce sens, on comprend bien qu’elle ne pouvait pas être en guerre contre les hommes, car sinon, elle aurait été en guerre contre son mari Antoine Veil avec qui elle avait tissé des liens d’amour durable autant sentimentaux qu’intellectuels et politiques. D’ailleurs, n’était-ce pas une avancée pour le droit des femmes le fait que cet énarque ambitieux et plein d’idées, gourmand de la chose politique, réseautant dans les milieux sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens, qui imaginait avoir un destin politique au moins ministériel, ait accepté de s’effacer derrière son épouse dès lors que cette femme pas encore quinquagénaire fut choisie par Jacques Chirac comme la seule ministre femme de son gouvernement, selon la volonté de Valéry Giscard d’Estaing de nommer des jeunes femmes au gouvernement ?
Pourquoi elle ? Probablement que son amie Marie-France Garaud, qu’elle a connue lors de ses missions auprès du Ministre de la Justice Jean Foyer, y fut pour quelque chose. Aussi étonnant que cela puisse paraître en raison des convictions souverainistes et anti-européennes de Marie-France Garaud, les deux dames fortes de la droite s’appréciaient tellement qu’avec leurs maris, ils dînaient ensemble toutes les semaines très discrètement, pendant des décennies, jusqu’à la mort du premier d’entre eux quatre.
Simone Veil a raconté dans son livre (voir plus loin) sa « montée en puissance » pour devenir ministre : « Pendant sa campagne, le nouveau Président [Valéry Giscard d’Estaing] avait assuré les Français qu’il appellerait des femmes au gouvernement. L’idée était d’ailleurs dans l’air du temps. Quelques mois plus tôt, à l’occasion des fêtes de fin d’année, un magazine féminin, « Marie Claire » me semble-t-il, avait publié un retentissant article sur un éventuel gouvernement de femmes. J’en avais été bombardée Premier Ministre. L’hypothèse était d’autant plus pittoresque que j’étais inconnue du grand public, que je n’avais jamais exercé le moindre mandat électoral ni assumé de fonction ministérielle. Je n’appartenais donc en rien à la sphère politico-mondaine dans laquelle les journalistes aiment généralement puiser des noms pour alimenter leurs articles de politique-fiction. Françoise Giroud figurait évidemment en bonne place sur ce podium virtuel. J’avais trouvé l’hypothèse tout à fait étonnante, et je n’étais pas la seule. (…) Survient l’élection de Giscard. Dans les jours qui suivirent, une rumeur, étayée cette fois, commença à se répandre selon laquelle, parmi d’autres femmes plus en vue que je ne l’étais moi-même, le nouvel hôte de l’Élysée songeait à moi. C’était le Premier Ministre, paraît-il, qui lui avait suggéré mon nom. (…) Pour dire vrai, je n’avais qu’une très vague idée qui m’attendait. La curiosité aidant, je n’ai guère hésité. » (31 octobre 2007).
Simone Veil a été honorée au-delà de tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Ce fut Jean d’Ormesson, et les anciens résistants François Jacob et Maurice Druon qui l’ont convaincue de se présenter à l’Académie française au fauteuil de Pierre Messmer et de Paul Claudel (celui de Racine !). Elle fut élue le 20 novembre 2008 avec une très large majorité, son épée lui fut remise par l’ancien Président Jacques Chirac le 16 mars 2010 au Sénat, et elle fit son entrée solennelle sous la Coupole le 18 mars 2010 en présence de trois Présidents de la République, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy dont elle a toujours apprécié l’énergie et la chaleur humaine.
Elle s’attendait peu à « exceller » dans la littérature, d’autant plus qu’elle a toujours reconnu qu’elle n’était pas une écrivaine, auteure seulement d’un livre tardif à visée autobiographique, peu littéraire, peu structuré, peu précis pour des mémoires, mais intéressant comme témoignage vivant d’une existence, intitulé « Une Vie » (sorti le 31 octobre 2007). C’étaient surtout les Immortels qui étaient les plus honorés de la présence de cette femme formidable qui a connu la souffrance et qui a su se battre pour regarder toujours l’avenir sans se morfondre dans un passé douloureux.
Elle n’était pas une sainte mais la République qui a besoin de saints l’a canonisée presque immédiatement après sa mort en transférant ses restes (ainsi que ceux de si aimé époux) au Panthéon le 1er juillet 2018 (il y a un an) dans une cérémonie présidée par le Président Emmanuel Macron. Si Simone Veil avait imaginé qu’on aurait voulu la panthéoniser, je ne doute pas un seul instant qu’elle aurait refusé un tel honneur dans ses dernières volontés. À la fin de leur existence, on pouvait les croiser en ville en couple, comme Monsieur et Madame Toutlemonde, sans protection policière, sans aréopage médiatico-journalistique, comme de simples retraités.
Elle ne pouvait imaginer le Panthéon pour elle, il fallait avoir un orgueil démesuré comme De Gaulle pour rejeter dans un testament toute panthéonisation ! Elle était allée au Panthéon le 18 janvier 2007, comme présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, pour rendre hommage aux Justes de France aux côtés du Président Jacques Chirac. Remercier tous ces Français, parfois anonymes, qui ont caché et sauvé les Juifs en France : « Il y a eu (…) tous les homes, toutes les femmes, grâce auxquels les trois quarts des Juifs de notre pays ont échappé à la traque. (…) Dans aucun pays occupé par les nazis, à l’exception du Danemark, il n’y a eu un élan de solidarité comparable à ce qui s’est passé chez nous. ».
Et d’ajouter : « Les Justes de France pensaient avoir simplement traversé l’histoire. En réalité, ils l’ont écrite. De toutes les voix de la guerre, leurs voix étaient celles que l’on entendait le moins, à peine un murmure (…). Il était temps que nous leur exprimions notre reconnaissance. Pour nous qui demeurons hantés par le souvenir de nos proches, disparus en fumée, demeurés sans sépulture, pour tous ceux qui veulent un monde meilleur, plus juste et plus fraternel, débarrassé du poison de l’antisémitisme, du racisme et de la haine, ces murs résonnerons désormais et à jamais de l’écho de vos voix, vous les Justes de France qui nous donnez des raisons d’espérer. » (18 janvier 2007).
Je voudrais ainsi revenir surtout sur cette horrible expérience humaine qui l’a obsédée toute son existence, ce drame qui a coûté la vie d’une grande partie de sa famille, la déportation dans les camps nazis. S’adressant au Secrétaire Général adjoint de l’ONU et à l’ensemble des représentants des États au cours d’un discours prononcé le 29 janvier 2007 à New York, Simone Veil a confié cette obsession : « Il faut que vous sachiez que, pour les anciens déportés, il n’y a pas de jour où nous ne pensions à la Shoah. Plus encore que les coups, les chiens qui nous harcelaient, l’épuisement, la faim, le froid et le sommeil, ce sont les humiliations destinées à nous priver de toute dignité humaine qui, aujourd’hui encore, demeurent le pire dans nos mémoires. Nous n’avions plus de nom, mais seulement un numéro tatoué sur le bras, servant à nous identifier, et nous étions vêtus de haillons. Ce qui nous hante avant tout, c’est le souvenir de ceux dont nous avons été brutalement séparés dès notre arrivée au camp et dont nous avons appris par les kapos, dans les heures suivantes, qu’ils avaient été directement conduits à la chambre à gaz. ».
Simone Veil était une adolescente insouciante malgré la guerre et sa clandestinité à Nice : « Je poursuivais mes cours au lycée et je n’hésitais pas à sortir en ville avec mes camarades. Disons-le sans détour : nous étions inconscients. (…) À chaque sortie, je me rassurais en me persuadant que ma fausse carte suffirait à me protéger. (…) J’ai (…) passé mes épreuves le 29 mars [1944], sans rencontrer le moindre problème et sous mon vrai nom. Le lendemain, j’avais rendez-vous avec des amies pour fêter la fin des examens. ».
Ce fut lors de cette sortie que des Allemands en civil l’ont arrêtée et ont tout de suite compris que la carte d’identité était fausse : « Le ton était aimable mais ironique. « Votre carte d’identité, on en a autant que vous voulez ». Je suis restée sans voix. ». En voulant prévenir la famille, un de ses camarades non juif fut suivi et c’était ainsi que toute la famille fut arrêtée chez elle : son père et son frère furent déportés dans un camp d’extermination en Lituanie sans laisser de traces. Elle, sa mère et une de ses deux sœurs, Milou, furent déportées à Auschwitz. Elle était la plus jeune (seulement 16 ans) et sur la recommandation d’un déporté déjà là, elle a affirmé qu’elle avait plus de 18 ans. Elle a pu ainsi survivre.
Simone Veil a eu plus de chance que d’autres. Comme les autres détenus, les trois femmes furent déplacées le 18 janvier 1945, à cause de l’avancée des troupes soviétiques qui ont libéré le camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945. Elles se sont retrouvées à Bergen-Belsen sans aucune hygiène, et avec une épidémie de typhus. Sa mère n’en a pas survécu. Simone Veil et sa sœur ont réussi à survivre. Elles ont eu plus de chance qu’une autre déportée devenue célèbre après la guerre, Anne Frank, ainsi que sa mère et sa grande sœur qui ont péri de typhus et d’épuisement. À leur retour en France, Simone Veil et sa sœur déportée ont retrouvé leur autre sœur Denise qui avait été résistante et qu’elles croyaient morte.
Pour Simone Veil, les survivants ont été marqués à vie par les camps : « Nous n’avions rien choisi. Nous n’étions que des victimes honteuses, des animaux tatoués. Il nous faut donc vivre avec ça, et que les autres l’acceptent. (…) Rien ne s’efface (…). Deux mille cinq cents survivants sur soixante-dix-huit mille Juifs français déportés. Il n’y a que la Shoah. L’atmosphère de crématoire, de fumée et de puanteur de Birkenau, je ne l’oublierai jamais. Là-bas, dans les plaines allemandes et polonaises, s’étendent désormais des espaces dénudés sur lesquels règne le silence ; c’est le poids effrayant du vide que l’oubli n’a pas le droit de combler, et que la mémoire des vivants habitera toujours. ».
Cinquante ans plus tard, après ses fonctions de Ministre d’État sous Édouard Balladur, et après le travail de la commission chargée d’étudier les spoliations dont les Juifs avaient été victimes, voulue par Jacques Chirac et présidée par Jean Mattéoli, Simone Veil fut proposée par Lionel Jospin pour présider la Fondation pour la mémoire de la Shoah, rôle qu’elle a tenu avec cœur une dizaine d’années. Elle a élargi la mémoire non seulement aux victimes juives mais aussi aux Tsiganes, eux aussi massacrés par les nazis.
Dans les recherches d’archives, on a montré un document particulièrement poignant pour Simone Veil : « Je n’oublierai jamais l’intense émotion qui m’a étreinte lorsqu’un employé m’a montré un petit carnet semblable à ceux qu’utilisaient jadis les commerçants, avec souches et reçus, et sur lequel était consignée la somme de sept cents francs prise à ma mère lors de notre arrivée à Drancy. Papier dérisoire, preuve accablante, s’il en était encore besoin, du mélange de rigueur paperassière et d’aveuglement moral de l’administration. Alors que semaine après semaine, des convois de déportés partaient pour Auschwitz, de zélés fonctionnaires remplissaient des carnets à souche et remettaient des reçus aux Juifs. ».
Atteint d’une maladie incurable et en soins palliatifs, le cardinal Jean-Marie Lustiger avait demandé à Simone Veil, avant de mourir, de prendre la parole à ses funérailles, probablement en raison du point commun d’avoir eu une mère qui a péri à Auschwitz. Elle n’a pas finalement pas eu l’autorisation de l’Église de parler dans le cadre de cette cérémonie (« ce que j’ai perçu au moins comme une hésitation dans le dialogue judéo-chrétien »).
Dans son autobiographie, Simone Veil a vivement critiqué certains films voulant évoquer cette période très trouble de l’histoire, en critiquant notamment le film « La vie est belle » (de Robert Benigni), car il n’y a jamais eu de « happy end » après les camps, le film « Le Chagrin et la Pitié » (de Marcel Ophuls) car il laissait entendre que tous les Français étaient des collabos, et même les films « La liste de Schindler », « Lacombe Lucien », « Le choix de Sophie » beaucoup trop caricaturaux selon elle.Seul a trouvé grâce auprès d’elle le téléfilm « Holocauste », qui reprend très factuellement l’histoire de bourgeois juifs allemands partis en déportation.
Pour « Le Chagrin et la Pitié », n’imaginant pas son succès populaire ultérieur, Marcel Ophuls avait demandé une subvention à l’ORTF et à l’époque, Simone Veil était membre du conseil d’administration et avait mis sa démission en balance en cas de vote de la subvention (autre déportée, Germaine Tillion avait eu la même opinion sur le film).
Toute sa vie, Simone Veil s’est battue contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations et tout ce qui peut être la haine de l’autre. Lorsque, dix-neuf mois après sa mort, on a observé sur les murs de Paris, des boîtes aux lettres notamment, son effigie taguée d’une croix gammée, on peut comprendre que son combat avait un sens et qu’il faut inlassablement continuer à transmettre auprès des plus jeunes, les enseignements terribles de l’histoire et les valeurs de tolérance.
Simone Veil est un symbole tellement multiple qu’elle se retrouve logiquement au centre de plusieurs haines. Parce qu’elle était Juive, et surtout, parce qu’elle a été la preuve vivante, pendant soixante-douze ans, de l’existence des chambres à gaz et des camps d’extermination que certains voudraient encore aujourd’hui nier. Parce qu’elle était une femme, une femme libre et indépendante, courageuse et travailleuse, qui dérangeait. Parce qu’elle a sauvé beaucoup de condamnés à mort indépendantistes algériens lorsqu’elle a travaillé au Ministère de la Justice. Parce qu’elle a été l’auteure de la loi qui porte son nom et qui a légalisé l’avortement. Parce qu’elle a été une partisane enthousiaste de la construction européenne.
Bref, elle concentre ce que beaucoup d’une certaine frange de la classe politique déteste. Désolé pour cette frange : le souvenir de Simone Veil restera encore longtemps vivant dans la mémoire de la République, et cela, c’est rassurant pour le peuple français. Et le peuple des humains en général. Merci Madame Veil !
Source agoravox.fr
Simone Veil, qui avait une pensée pour les enfants de Gaza mais jamais eu un mot pour ceux de Sderot, la femme politique qui a empêché son fils avocat, PierreFrancois, d’aller au procès du refuznik Yossi Begun, parce que cela dérangeait sa carrière…cela aussi c’était Simone Veil. Alors un peu de décence dans le panégyrique…
Simone Veil doit rester le symbole de l’Holocauste et de la survie de l’esprit humain contre la barbarie. Son activité politique ne peut que diviser et ne devrait pas être exploitée.
Dans le même esprit, un survivant de Birkenau, interrogé par ACTUALITE JUIVE, avait résolu de devenir chirurgien pour apporter un soulagement rapide aux plus faibles, particulièrement les vieillards
L’insulte contre le général de Gaulle est inutile.
Simone Veil femme de droite ? Non, infiniment plus à gauche que la plupart de ceux ou celles qui aujourd’hui se prétendent « de gauche ». Elle avait en outre l’envergure d’un chef d’Etat. Elle eût fait une présidente infiniment plus digne et efficace que Sarkozy, et surtout Hollande et Macron. Quelle tristesse que la panthéonisation de la grande Simone Veil ait été présidée par le minuscule Micron !